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Critiques filtrées sur 5 étoiles  


En exergue du Devoir de violence Yambo Ouologem écrit : « A l'humble compagne des jours mauvais et de ceux qui furent pires. »

Et, oui, Ouologem, avec son « devoir de violence », a connu le pire : il avait obtenu le premier prix Renaudot donné à un Africain en 1968. Encensé, pour son propos audacieux, ses longues tirades lyriques, son écriture cultivée, son originalité remarquable, il fut ensuite dénoncé d'avoir plagié « le dernier des justes » Or, ironie de l'histoire, Schwarz- Bart avait lui même été accusé de plagiat. Pour ce dernier livre. ( était-ce la mode en 1970 ?).

Et la critique se déchaina, le Seuil arrêtant la publication de ce livre trouvé génial, puis vilipendé par le Nord ( pour plagiat, pour violence, pour vérité inacceptable , la colonisation !) et par le Sud ( offensée dans sa dignité : la négritude de Senghor est remplacée par l'expression « négraille », pour désigner l'esclavage organisé par les dirigeants africains durant les huit précédents siècles. Inacceptable.

Ouologem paye cher son succès, est offensé par les envieuses calomnies, se retire à Bandiagara, dans son pays natal, et ne sort plus du silence. Blessé, profondément blessé, de voir son génie balayé par une critique unanime autant qu'imbécile.


Sa généalogie d'une lignée féodale du Nakem, état dont le nom est fictif, et qui peut se situer à l'ouest du Niger : Tillabéri- Bentia, égrène au long des siècles la violence - entre fratricides, parricides, exactions, meurtres déguisés en accidents, esclavage – qui se perpétue depuis le Moyen Age jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Saïf ben Isaac El Heit .Il va couvrir une longue période dans la majeure partie du livre et va garder les rênes de son pays, même après l'arrivée des blancs, qu'il assassine habilement lorsqu'ils le gêne en utilisant la sorcellerie apparente qui n'est autre que la domestication des vipères aspic. Bien entendu il continue à vendre ses sujets, il a ses propres esclaves, et il pratique un droit de cuisage particulier, avec excision et fibulation.

Le tout impuni, il est trop malin, il n'use apparemment pas de la force, mais de la ruse. (Dieu nous fasse miséricorde). Malheur à celui qui tue pour lui…. En y étant obligé sur sa vie… de toute façon, il la perd. Une larme sur sa tombe.

Devant lui, les Flençessi jouent leur carte, entre traités extorqués et occupation du territoire en zones, entre l'innocence présumée , la volonté de conquérir et la franche naïveté, car Saïf connaît le français mais ne le parle pas, à dessein : il a un interprète…. Qui , lui, trahit plus qu'il ne traduit, Dieu aie son âme.


Avec de plus une ironie profonde dans certaines scènes comme par exemple Le Blanc qui veut séduire Awa, laquelle susurre effrontément : « ce que vous en avez, de livres ! » et l'autre qui ment: « ce sont tous ceux que j'ai écrits. »( or, elle est loin d'être naïve, elle)

Morceau d'anthologie ironique, l'ethnologue allemand, bien décidé à être le premier à faire connaître au monde la richesse de la culture du Nakem et à qui Saïf, le traducteur, et autres racontent n'importe quoi concernant leurs coutumes : « habillé avec une élégance tapageuse de colon en fête, riant souvent, il voulait trouver un sens métaphysique à tout, jusques à la forme de l'arbre à palabres où devisaient les notables. …. Il considérait que la vie africaine était art pur, symbolisme effroyablement religieux, civilisation jadis grandiose- hélas victime des vicissitudes de l'homme blanc- puis, sitôt qu'il lui fallait constater l'aridité spirituelle de certaines manifestions de la vie sociale, il tombait dans une sorte de somnolence hébétée , étant même incapable de tristesse. ( Ouologem fait- il référence à l'analyse qu'a fait Marcel Griaule dans « Dieu d'eau »de la culture dogon, lui qui est né et mourra dans les falaises de Bandiagara ? Si oui, il se permet par la même occasion de se mettre en péril, lui, l'étudiant brillant, alors que Saïf n'envoyait en France que ses esclaves)

Ce n'est pas du tout un livre facile, par ses différentes approches, passant du plus cru de l'érotisme au plus audacieux récit de sévices, c'est un livre inoubliable lorsqu'on en termine la dernière page, et que l'on a digéré le lyrisme flamboyant et les pires sauvageries des uns comme des autres.

J'aime à imaginer ses autres livres qui n'ont jamais été écrits. Je pleure sur cet écrivain qui a préféré se taire après avoir été tellement vilipendé. Y compris la réedition du Devoir de violence en 2003, ne le réconciliera pas .
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Misère misère misère.

Ce livre est tellement dur. Yambo Ouologuem invente un pays, au risque d'essentialiser l'Afrique... (Enfin, qui suis-je pour...) Dans son cas, c'est courageux.
Qu'est-elle, cette Afrique ? Une terre battue par des centaines d'années d'horreur, de violence, de souffrances. Parfois crues, d'une cruauté infinie. Parfois plus raffinée et "justifiée". Pour le pouvoir, pour la puissance, pour les femmes... Ce patriarcat puissance mille. Patriarcat sacré, par l'Islam, par le christianisme, par l'animisme, peu importe : c'est systématiquement la même rengaine : la soif de morts-de-soif du pouvoir, de tout pouvoir. Et tout ce qui dépasse sera massacré.
L'Afrique ne souffre pas que depuis la colonisation. Oh, depuis bien avant. Et les Africains eux-mêmes ont participé à leur propre désastre, à leur propre esclavagisme. Une solution cataclysmique pour ne pas encore être plus dans le cataclysme... Solution dont bien sûr certains ont profité. Peu. Si peu. 

Le texte de Ouloguem est clair, tout en étant tortueux, dans sa construction, dans ses symbolismes, dans sa grammaire : sujet verbe complément sont parfois posés en tous sens. (Exemple de phrase : Wampoulo avait endormi avec de la viande droguée  le chien de la sentinelle, laquelle ronflait à son poste de garde, à quelque cinq cents mètres de la résidence du gouverneur.) Il faut s'accrocher pour saisir le langage.

Le contenu ? Ca assassine à tout-va, ça viole, ça cherche à fomenter, à supplanter... Tour à tour, le dictateur s'allie à qui il faut s'allier, religions ou Blancs, France, etc. Pour continuer de se servir et d'asservir.
Tout est dur.
Par moment, le style s'envole et c'est assez remarquable, splendide même. Tellement léché, trop léché même ou pas assez, on ne sait pas. On ne sait plus.
J'ai eu beaucoup de mal, me demandant "comment vais-je arriver à ne pas casser ce livre, tordu, qui enferme l'Afrique dans des images ignobles et sempiternelles, justifiant en plus tous les clichés ?"... L'écriture a sauvé l'âme ou l'âme a sauvé sa création et sa créature.
Puis, à partir des trois-quart du texte, coup sur coup des passages me sont apparus sublimes et ont oblitéré l'impression initiale. Le passage relatant une relation homosexuelle est exceptionnel, fin, dur, troublant. Cet assemblage d'hommes, chacun au comble du pathétique et du gouffre aussi... Ca m'a épaté. 
Le dernier quart a bénéficié de cet élan autrement dramatique, où l'amour vient en soutien, fragile, misérable mais là... Et une parole qui soutient. Et du soutien il en faudra. Il en faudra pour abandonner cette violence qui ne devrait jamais être un devoir, jamais être une nécessité. Non. Réduire cette violence humaine-inhumaine à une conséquence malheureuse, d'abord et, un jour, à une conséquence évitable. Mais. Des. Centaines. D'années. De. Violence... 

Ce livre est dur, et aussi une flammèche d'espoir dans un fleuve débordant de malheurs.
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Le devoir de violence, quel choc !
Brûlot iconoclaste, objet romanesque non identifié, savant patchwork de références littéraires, à travers ce roman composite mais à la très forte unité de ton et de propos, s'exprime la rage, la révolte d'un jeune et brillant universitaire malien, Yambo Ouologuem, qui à 28 ans, en 1968, voulut dans ce livre renvoyer dos à dos la légende de la grandeur africaine et la violence de la colonisation, dont ni l'une ni l'autre ne trouvent grâce à ses yeux et lui inspirent un opus original fondé sur le dérision et la parodie, qualifiée ensuite à tort de plagiat, comme moyens de dénonciation de l'asservissement pré et postcolonial.
Il lui faut pour cela déconstruire d'abord le mythe d'une Afrique précoloniale innocente et exempte de péchés et de crimes. Grâce au pastiche hilarant et rageur de divers textes légendaires ou voulus comme tels (Bible, Coran, le Flaubert flamboyant de la Légende St Julien, Schwarz-Bart), il entonne l'histoire imaginaire de l'empire du Nakem, de ses tyrans, de ses notables, de sa traite d'esclaves en direction de l'est du continent ou de la péninsule arabique puis de celle du trafic triangulaire européen. On sent le texte pris entre le rêve d'un passé supposément glorieux, et une dérision impitoyable soulignée avec un humour féroce par des incises bibliques parodiques.
Mais dès que le récit abord la période coloniale, les sarcasmes visent les autorités françaises, fantoches caricaturaux pleins de suffisance et de bonne conscience. Se dressent face à face le roi africain usant de la ruse et de la cruauté pour résister tant bien que mal à l'occupation européenne et ses adversaires coloniaux, qui imposent par la force leur domination militaire, religieuse et culturelle.
Au milieu de cette violence se niche l'idylle de deux serfs, Kassoumi et Tambira, humbles et fidèles sujets du roi Saïf ben Isaac El Héït, dont le nom est lui-même un puzzle ironique. Car c'est à dessein que l'auteur rapproche le destin de deux peuples, juif et africain, maudits par l'histoire, à travers le sobriquet insultant de « négraille » ou de dynastie « négro-juive », dans une fantastique et ambivalente expression de honte, voire de haine, de soi. Ainsi peut également s'expliquer le pastiche du Dernier des Justes.
Les enfants du couple aux prénoms prédestinés (René Caillé ! René Descartes ! Raymond Spartacus !) pourront devenir la première génération de cadres africains, admis à poursuivre des études supérieures en France et promis au destin politique des élites fantoches de la décolonisation.
On trouve de tout dans ce roman, y compris des passages érotiques extrêmement lyriques et parfois empruntés ou adaptés (Robbe-Grillet, Maupassant), ou bien le délire halluciné d'un personnage de zombie drogué marchant vers son destin, qui touche au sublime dans un lyrisme à la Rimbaud, ou encore la traduction poétique (en prose) des ambiguïtés de la chair lorsque le héros se prostitue à Paris. Parfois on reste bouche bée devant la beauté du texte.
Ce roman est un diamant inclassable, un cri de révolte et de rage devant le drame de l‘Afrique, doublement asservie par ses élites puis par les Européens, un chef-d'oeuvre d'ironie désespérée où le sexe est une échappatoire sans doute illusoire. Ne restait donc à Yambo Ouologuem que l'écriture. Mais elle fut tuée par le scandale du plagiat, créé artificiellement d'un continent à l'autre, et qui le contraignit au silence. On comprend la fascination que ce livre emblématique a pu exercer sur M. Mbougar Sarr et tant d'autres auteurs africains.
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Un choc. Un des meilleurs livres que j'ai jamais lus. Tant pis pour les polémiques qui ont entouré la première publication, et qui ont bouleversé le destin étrange de l'auteur. Merci d'avoir sorti ce roman à nouveau! Un grand grand livre...
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À la question de savoir en quoi le choix de Ouologuem pour le prix Renaudot était « très intéressant et très sympathique », Roger Grenier (alors membre du jury) répond au micro de Colette Godard que « le Devoir de violence est le premier vrai roman africain, un roman qui ne doit rien à l'influence des cultures occidentales ou européennes. » Selon lui, si le choix de Yambo Ouologuem était « très intéressant », c'est parce qu'il remettait en mouvement un système de pensée qui s'était fixé en idéologie… une idéologie qui consistait très exactement à présenter un pauvre Noir opprimé par Le Blanc. le Devoir de violence nous permet de voir, dit-il, « à travers toute cette dynastie, comment les Africains font leurs petites affaires sans tellement se préoccuper de la colonisation qui est une sorte d'épiphénomène [et] qui continue dans le fond à servir leurs rivalités féodales et la puissance des seigneurs contre les pauvres gens qui, sous tous les climats et en tout temps, restent des pauvres gens."

En effet, l'écrivain malien revisite singulièrement l'histoire africaine « depuis les empires traditionnels jusqu'aux formes de domination arabo-islamiques puis occidentales et leurs effets néfastes sur le devenir des sociétés africaines postcoloniales. »

À cette fin, il met en place une large palette de personnages dont il se sert comme instruments pour dévoiler une « réalité » qu'il estime quelque peu gênante, une « vérité » qui, dite autrement, serait insupportable. Il présente tout au long de son roman une image du continent africain où « tout semble se résumer à la violence, affrontement et à la mort, veulerie, sans compter stupre et fornication » à une époque où « chacun, tant au niveau culturel que politique, oeuvre à le réhabiliter, à attester de sa grandeur et à louer sa fierté. » Il prétend vouloir retracer, dès l'incipit, une histoire, une histoire fictionnalisée mais qui reste tout de même « la véritable histoire des nègres » et qui « commence avec les Saifs, en l'an 1202 de notre ère, dans l'empire africain de Nakem, au Sud du Fezzan, bien après les conquêtes d'Okba ben Nafi El Fitri. » Cet incipit est déjà une adresse au lecteur. Il annonce la couleur de l'ensemble, dont le ton dominant est au révisionnisme. Ouologuem demande ici au lecteur « d'oublier toutes les autres histoires, lues ou entendues, car elles sont fausses pour lire/écouter la seule qui soit vraie. » Une injonction donc, qui est « suivie d'une batterie de dates exactes, de nom de personnes importantes, de lieux précis quoique disparates, d'événements détaillés. Tout cela, semble-t-il, pour donner l'impression de véracité historique. »

Cependant, à l'époque du tiers-mondisme et dans une Afrique s'affirmant victime de l'Histoire et de l'Occident, mettre en scène une telle histoire; je veux dire, une histoire qui sous-entend clairement que le continent a une énorme responsabilité dans ses malheurs et qui incrimine non pas la République française soucieuse de pérenniser la poursuite d'une utopique « mission civilisatrice » mais plutôt les notables locaux, les personnalités indigènes, qui auraient non seulement écrit, selon Ouologuem, à des degrés différents, les pages noires de la colonisation, mais qui auraient également entretenu et intensifié la traite des esclaves qu'ils « abattaient, stockaient, marchandaient, fouettaient et livraient aux Portugais, aux Espagnols, aux Arabes et aux Français[…] » bref, ce qui était inadmissible et inopportun pour les héraults de la Négritude, c'est le fait qu'un auteur primé et encensé à travers toute la France, ose représenter le peuple négro-africain, c'est-à-dire son propre peuple, comme des « gens cruels, dont le langage est une espèce de croassement, tueurs féroces identiques à l'homme des bois, vivant dans un état de bestialité, s'accouplant avec la première femme qu'ils trouvent, de grande stature et d'aspect horrible, très velus et aux ongles extrêmement longs, se nourrissent de chair humaine, et, armés de boucliers, dards et poignards, vont nus, sauvages dans leurs coutumes, barbares dans leur vie de chaque jour, sans foi, sans loi, sans roi, sans toit autre que des vagues cabanes en forêt, d'où ils sortent au petit matin, détruisant tout par le fer, le feu, pillant toutes les régions traversées… »
Il y aurait lieu de se demander, honnêtement, où est-ce qu'on peut situer la différence entre ce passage du Devoir de violence que je viens de citer et les réflexions que Hegel se permettait de développer au dix-neuvième siècle, dans La Raison dans l'histoire, à propos des Africains, qui, selon lui, n'auraient eu aucune histoire et qui seraient entièrement restés prisonniers de l'esprit naturel. N'est-ce pas Hegel qui écrivait que le continent africain « n'est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l'homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l'empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation ?» N'est-ce pas Hegel qui écrivait que « le nègre représente l'homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline, [qu'en Afrique] partout se produisent des meurtres et des vols, et les vengeances privées se donnent libre cours ? » Dans ce bref chapitre qu'il consacre à peine à l'Afrique « pour n'en plus faire mention par la suite car elle ne fait pas partie du monde historique » le philosophe allemand annonce à propos des Africains que certes, « ils sont réduits en esclavage par les Européens et vendus en Amérique, [mais] leur sort dans leur propre pays est presque pire, dans la mesure où ils y sont soumis à un esclavage aussi absolu. »

A défaut de connaitre ses réelles intentions derrière la publication d'un tel roman, il faut saluer la description grotesque qu'il fait de la violence et qui permet au lecteur de pénétrer dans le récit. C'est à travers la multiplication quasi-fantastique des expériences sexuelles, la présence envahissante de la violence, la surenchère de la grossièreté et d'outrance, les croyances primitives, les exagérations, les hyperboles nettement appuyées, que Yambo Ouologuem réussit à livrer, magistralement, un récit qui déclenche au premier abord la consternation du lecteur parfois jusqu'à le faire frémir d'horreur. A lire absolument !!!
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