Huit nouvelles tragi-comiques qui racontent la vie au kibboutz Yikhat.
Amos Oz,qui a vécu près de trente ans dans un kibboutz ,montre qu'en faite cette forme de société communautaire peut "qu'opérer des changements mineurs dans l'ordre social,mais la nature brutale de l'homme ne change pas.Les votes d'une assemblée ou d'un autre ne réussiraient jamais à éradiquer l'envie,la mesquinerie ou la jalousie."(p.143).Trés,trés agréable à lire!
La vie suit son court au kibbout Yikha. L'auteur y arrête son regard - le temps d'écrire huit nouvelles - pour nous faire partager des moments fondamentalement humains, qui dépassent les différences culturelles ou religieuses.
Dans cette communauté les gens se moquent, souffrent, se souviennent, s'épient, se jalousent, se séparent, se querellent, mais surtout : ils s'aiment.
Derrière chaque drame personnel, Amos Oz nous parle beaucoup des liens d'amour qui unissent les membres de cette communauté. L'amour paternel, l'amour trahi, la compassion aussi, l'amour perdu, l'amour qu'on a jamais osé déclaré ou l'amour que l'on garde pour l'Humanité malgré les mauvais tours que la vie peut jouer.
Cela faisait un moment que j'avais repéré des titres de cet auteur israélien (que je connaissais surtout pour son engagement pour la Palestine) et j'ai été charmée par sa plume sensible et pudique et les analyses très fines qu'il a su livrer de ses personnages en quelques pages. Bien sûr, il y a des nouvelles que j'ai moins aimé, mais pas de quoi m'arrêter là.
« Entre amis » est un recueil de huit nouvelles qui ont toutes pour décor le kibboutz Yikhat, au nord d'Israël, fin des années 50, et pour personnages divers habitants du Kibboutz, qui se croisent dans chaque nouvelle.
Je retrouve avec Amos Oz dont j'ai déjà lu quelques ouvrages qui m'ont beaucoup plu une caractéristique qui fait que j'apprécie tant la littérature israélienne : un style en apparence simple, des descriptions très concrètes, ancrées dans le quotidien le plus sommaire, d'où émerge peu à peu, au fil des mots et des phrases, une puissance d'évocation poétique inouïe. Je pense que ce trait commun prend racine entre autres dans la langue originale, cet hébreu ex-langue morte ressuscitée où se côtoient mots très anciens et vocabulaire ultra-moderne, mais aussi dans la mentalité même des habitants d'Israël, les pionniers comme les sabras, qui ont pu à la fois rêver, fantasmer le pays et se confrontent chaque jour à une réalité des plus pragmatique.
Il me semble que le rythme de la prose d'Amos Oz épouse le rythme de sa parole (cf la vidéo de la Grande Librairie postée sur la page de l'auteur) : fluide et posé, clair, dénué de tout effet dramatique.
En apparence, la vie s'écoule plutôt paisiblement au Kibboutz Yikhat. Chacun se consacre à la tâche précise qui lui a été dévolue selon son aptitude et éventuellement ses goûts, l'organisation de la communauté « égalitaire » est soumise à un règlement non moins précis, et démocratique, dans l'esprit des pionniers fondateurs : les enfants dans le bâtiment des enfants, les couples dans des logements de même superficie, femmes et hommes soumis à une parité d'avant-garde…
Seulement, dans ce beau mécanisme rigoureux paré à tout gérer, de la tondeuse à gazon en panne au financement des études des futurs étudiants en passant par les tours de garde nocturnes, les hommes et les femmes sont soumis aux lois plus nébuleuses du désir, de l'amour, de l'épanouissement personnel ou de la maladie…
C'est cela qu'Amos Oz nous raconte tout en nous brossant un tableau très réaliste de la vie des Kibboutzim, vie qu'il a lui-même connue pendant plus de vingt-cinq ans.
Avec une ironie tout à fait délectable, il se moque de l'organisation où « Marx a remplacé le Talmud », tolérant l'amour libre mais puritain de bien d'autres façons, où les femmes, bien qu'égales sont systématiquement assignées à la cuisine, la puériculture, la couture, la buanderie… J'ai particulièrement goûté les portraits de certaines d'entre elles, fières, déterminées, fortes et plus solidaires entre elles que les hommes qui les prennent et les quittent ou les aiment en silence. L'une d'elles prophétise ainsi que le kibboutz finira par évoluer, que les femmes y auront plus de pouvoir, mais que la patience est de mise… car les hommes sont lents.
Certains portraits masculins sont aussi très savoureux : le professeur quinquagénaire séducteur impénitent qui emménage avec la fille de 17 ans de son meilleur ami, le jardinier qui passe son temps à relater les catastrophes de l'actualité mondiale, l'humoriste du groupe soumis et malmené par sa femme, et le vieux malade dont le rêve est d'enseigner l'esperanto afin que l'humanité un jour soit en paix…
Tout le monde est ami, chacun oeuvre pour le bien commun, et surtout, tout le monde épie tout le monde. Comme pour tout groupe humain quel qu'il soit, ça cancane à tout va, ça commente, on jalouse ici, on se moque là, et les histoires d'amour et de sexe font battre le coeur du kibboutz bien plus que toute théorie marxiste.
Certaines nouvelles, comme « Deux femmes », sont parfois cocasses et m'ont fait rire. La plupart, bien que jamais franchement dramatiques, oscillent entre une certaine légèreté et une douce mélancolie. Enfin, deux particulièrement ont des relents tragiques à peine esquissés mais poignants.
Ainsi, « La nuit » se déroule lors d'un tour de garde nocturne. Un homme et une femme se croisent alors que tout le monde dort, il fait froid, ils se connaissent depuis toujours, s'accompagnent quelques instants : rien ou presque n'est dit, tel geste est esquissé, tel autre est retenu, les chacals hurlent au loin, le danger rôde sans que l'on puisse précisément l'identifier… l'aube arrive, rien n'a changé et tout a changé.
« Papa » a pour personnage principal un jeune adolescent placé au kibboutz comme en famille d'accueil à cause de difficultés familiales. Il n'a pas choisi d'y vivre, et refuse en partie de s'y intégrer, de suivre les règles. Il demande l'autorisation d'aller voir son père une journée, et nous l'accompagnons dans son périple interminable en bus sur des routes poussiéreuses et défoncées, tandis que ses pensées errent entre le passé et l'avenir, sa famille mal en point et le kibboutz prêt à le prendre en charge, lui donner un avenir, qu'il n'aurait peut-être pas choisi… Sobriété, épure, certains passages rappellent Dino Buzzati, ou même Camus, teintés d'absurde et de non-dit.
Un moment fort de lecture, envoûtant sous bien des aspects, et la plume « à deux voix » (cf. encore la vidéo de la Grande Librairie) d'Amos Oz inscrit une oeuvre singulière et de toute beauté.
Un Kibboutz, assemblée en hébreu, est une communauté, un village collectiviste en Israël. A vocation essentiellement agricole et d'influence socialiste Marxiste (tendance Karl pas Groucho), il n'existe pas de propriété privée, la communauté doit pourvoir à tous les besoins de ses membre et de leurs familles. Egalité entre tous, décisions prisent en assemblées générales, laïcité et égalité des sexes, le kibboutz, société idéale ou utopie du siècle dernier ?
Amos Oz a rejoint le Kibboutz de Houlda à l'âge de quinze ans dans les années cinquante. En huit nouvelles qui se lisent comme un roman, il nous fait pénétrer dans ce monde clos. Pour nous accompagner, le romancier donne vie à une dizaine de personnages tous plus attachants les uns que les autres.
Véritable concentré d'humanité, le Kibboutz s'anime, amour, passion, amitié mais aussi solitude, peur de l'engagement, désir de liberté, les héros se débattent pour exister dans un monde clos, certes rassurant mais aussi étouffant. En courtes histoires, il fait exister ses personnages, leur donne de l'épaisseur et nous raconte le vivre ensemble de manière simple et profonde. Bref, un court roman en nouvelles à savourer tout près d'un bon feu de cheminée.
Qu'elles sont belles et simples ces huit nouvelles d'Amos Oz qui rejoint ce jour ma galerie de chouchous. D'une simplicité biblique,c'est le cas de le dire,au coeur de l'Israel des kibboutz des années cinquante, sous la gouvernance de David Ben Gourion.Ecoutez leurs titres: Un petit garçon, Papa, Entre amis, Deux femmes. Beaucoup est ainsi déjà dit, huit histoires de tous les jours, de l'ordinaire dans une vie extra-ordinaire en cet Israel encore presque naissant. Comme vous l'avez vu en lisant les titres il s'agit la plupart du temps de problèmes de famille à l'intérieur de la plus grande famille,le kibboutz,cette entité si spécifique, cette communauté aux règles strictes et qui conjugue la solidarité jusqu'à en faire une extravagance. Ainsi se posent des questions qui ne sont faciles nulle part mais moins encore au sein de cette drôle d'assemblée proche encore de l'esprit pionnier du sionisme.
Comme c'est le cas dans le recueil Scènes de vie villageoise il y a en fait une trentaine de personnages qui se connaissent tous très bien forcément et qui sillonnent les pages et entrecroisent leurs soucis à peu près au vu de tout le monde.Faut-il laisser un petit de cinq ans dormir dans la maison commune des enfants malgré sa faiblesse ou l'autoriser à rejoindre ses parents? Un jeune homme de vingt ans aura-t-il l'autorisation de partir étudier en Italie si ce n'est pas tout à fait utile à la vie du kibboutz? Et David,instituteur gardien du dogme et de la plus ferme obédience,qui s'accommode fort bien de vivre avec la fille de son vieux compagnon,dix-sept ans à peine, qu'en penser?
Témoignage passionnant et limpide de cette vie en autarcie, où règne le travail mais où crépitent de minuscules velléités d'autonomie,chez les femmes surtout, le recueil Entre amis fait en 160 pages le tour de cette micro-société laborieuse et tout à sa foi. Ici et maintenant le vie est rude mais l'union fait la force avec cependant quelques maillons faibles. Après tout là comme ailleurs et de tout temps les hommes ne sont que des hommes.Et encore,pas souvent. Dire que sur la surface de deux régions françaises vivent Oz, Grossman, Appelfeld , Yehoshua. Rêveur je suis... A la fin octobre Amos Oz déjà lauréat de très importantes distinctions en Allemagne, en Espagne, recevra à Prague le Prix Littéraire Franz Kafka. Ci-dessous un court extrait et cinq minutes formidables avec Amos Oz.
«Au début de la fondation du kibboutz, nous formions une grande famille. Bien sûr, tout n'était pas rose, mais nous étions soudés. le soir, on entonnait des mélodies entraînantes et des chansons nostalgiques jusque tard dans la nuit. On dormait dans des tentes et l'on entendait ceux qui parlaient pendant leur sommeil.»
Cinq ou six étoiles brillaient dans le ciel sombre teinté de pourpre où le vent emportait des nuages bas et obscurs. Le kibboutz dormait à poings fermés. Les projecteurs de la clôture formaient des flaques de lumière jaune sur le sol. L'un d'eux, sur le point d'expirer, vacillait comme en proie à l'incertitude. Yoav dépassa à pas lents les massifs ténébreux et contourna la grange, les souliers pleins de boue. Tu es complètement aveugle, obtus et sourd, songea-t-il accablé. Nina s'était penchée pour lui prendre la main et la presser contre son coeur lorsqu'il lui avait promis de lui trouver un endroit où dormir, se rappela-t-il. Il aurait dû saisir le message et la prendre dans ses bras. Elle lui avait donné un signal auquel il n'avait pas répondu. Et un second en lui frôlant le bras - il l'avait ignoré une fois de plus.
Ignorer la dureté de l'existence est à mon sens aussi stupide que sacrilège. Nous ne pouvons peut-être rien y faire, mais ce n'est pas une raison pour ne pas en parler.
( dans "Le roi de Norvège ")
"Au début de la fondation du kibboutz, nous formions une grande famille. Bien sûr, tout n'était pas rose, mais nous étions soudés. Le soir, on entonnait des mélodies entraînantes et des chansons nostalgiques jusque tard dans la nuit. On dormait dans des tentes et l'on entendait ceux qui parlaient pendant leur sommeil.»
[Moment entre un petit garçon et son papa]
Les timbres étaient de petits visiteurs venus de lointaines contrées, précisa Roni après avoir allumé une cigarette. Chacun racontait l'histoire de sa patrie, les paysages, les gens célèbres qui y vivaient, les fêtes qu'on y célébrait, les beaux monuments
Youval voulut savoir s'il existait des pays où les enfants n'étaient pas méchants ni bagarreurs et avaient le droit de dormir avec leurs parents la nuit. Perplexe, Roni, se borna à répondre qu'il y avait des gens gentils et des gens cruels partout, avant de lui expliquer le sens du mot "cruel". En son for intérieur, Roni considérait que la cruauté se déguisait en intolérance ou en dogmatisme, défauts dont personne n'était complètement affranchi. Pas même lui. (p. 81) "Un petit garçon"
La nuit était froide et claire. Le chant des grenouilles ponctuait le silence. Un chien aboya au loin. En levant les yeux, il vit les nuages s’amonceler au-dessus de sa tête. Ce qui semblait important ne l’était pas, et il n’avait pas le loisir d’approfondir ce qui l’était vraiment. Les années passaient sans qu’il prenne le temps de méditer sur les choses de la vie, les capitales comme les ordinaires : la solitude, la nostalgie, le désir et la mort. Les hurlements des chacals déchirèrent le profond silence. Yoav les accueillit avec gratitude. Il n’était pas croyant, mais dans les moments de solitude et de complet silence, tel cet instant, il avait l’impression que quelqu’un l’attendait, jour et nuit, patiemment, sans un mot ni un geste, pour l’éternité.
Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......