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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


« L'histoire se déroule en hiver, entre fin 1959 et début 1960. On y parle d'une erreur, de désir, d'un amour malheureux et d'une question théologique inexpliquée ». Ajoutons – le détail a son intérêt – que nous sommes à Jérusalem, alors divisée par la ligne verte.
Le dépit amoureux, c'est celui que vit Schmuel Asch, étudiant pataud et souffreteux de 25 ans, depuis que sa copine l'a plaqué pour en épouser un autre. Ce qui lui restait de moral s'étiole encore un peu plus quand, faute d'argent, il doit renoncer à ses études et chercher du travail. Répondant à une petite annonce, il devient alors homme de compagnie d'un vieux savant aussi érudit que fantasque, Gershom Wald, qui vit reclus dans la maison qu'il partage avec une certaine Atalia Abravanel, sans que le lien qui les unit soit donné au départ.
Le désir, Schmuel le rencontre en même temps qu'Atalia. Celle-ci a deux fois son âge, est belle, séduisante, cruelle, inacessible. Elle est aussi la fille de Shealtiel Abravanel, figure du mouvement sioniste, décédé quelques années plus tôt.
Les séances de conversations quotidiennes entre Wald et Schmuel sont l'occasion d'aborder des sujets aussi différents que le contexte de la création de l'Etat d'Israël, dont le vieil homme fut un témoin privilégié, ou le personnage de Judas, le traître biblique, le juif déicide abhorré des chrétiens, dont Schmuel tente de décrypter le rôle dans sa thèse universitaire consacrée à « Jésus dans la tradition juive ». Des sujets a priori totalement étrangers, donc, et pourtant Amos Oz crée un lien entre eux. La question théologique de la trahison de Jésus par Judas est mise en parallèle avec la position de Shealtiel Abravanel qui, en 1947, allait à contre-courant de la volonté dominante personnifiée par David Ben Gourion et s'opposait au plan de partage de la Palestine et à la création d'un Etat juif indépendant, convaincu qu'il était encore possible de s'accorder avec les Arabes pour fonder un Etat unique où ceux-ci cohabiteraient pacifiquement avec les Juifs. De la même façon que Judas qui livra Jésus aux Romains devint la figure de la trahison par excellence, les chimères anti-nationalistes d'Abravanel lui valurent d'être exclu du Comité Exécutif Sioniste et considéré comme traître à la cause juive.
Et, au travers du destin de ces personnages fictifs, l'auteur de s'interroger : et si Judas était en réalité le premier chrétien authentique, le seul, dont l'erreur fatale aura été, précisément, de croire avec une foi inébranlable en la nature divine de Jésus ? de pousser celui-ci à se laisser crucifier pour ensuite miraculeusement descendre vivant de la Croix et révéler à cette occasion son immortalité ? Qu'en aurait-il été du christianisme sans cette croyance ? Qu'en aurait-il été de la haine des chrétiens envers les juifs ?
L'analogie avec le traître Abravanel est tentante, lui dont l'erreur avait été de croire que Juifs et Arabes pouvaient vivre ensemble dans un même Etat sans s'entre-tuer. Que serait-il advenu si une telle idée avait pu s'imposer ? Qu'en aurait-il été de la haine réciproque entre Juifs et Arabes ?

Je ne savais rien d'Amos Oz avant de lire ce roman, fort peu de choses de l'histoire de l'Etat d'Israël, et guère plus sur Judas et Jésus que ce que j'en ai appris au cours de religion à l'école. Je ne suis donc pas capable de juger de la vraisemblance des idées développées dans « Judas », mais quoi qu'il en soit, j'ai trouvé ce roman très riche et très intéressant, voire passionnant.
D'une belle écriture fluide, Amos Oz entrelace avec talent histoire, politique et religion – thèmes indissociables en Israël – à un passage à l'âge adulte assez cocasse et une tragédie familiale émouvante. Un grand roman et une belle découverte.

Merci à Masse Critique de Babelio et aux éditions Gallimard pour ce beau roman.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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