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sur 287 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Amos Oz, fervent partisan d'un double État pour résoudre le conflit israélo- palestinien- dont j'avais lu avec passion en 2004, le récit de l'existence tumultueuse de sa famille et de ses aïeux - dans : "Une Histoire D'amour et de Ténébres "nous revient avec cet ouvrage qui se déroule , à la fin des années 50, à Jérusalem , coupée en deux, dont on arpente les rues, dès que l'on sort du huit- clos..


Car il s'agit bien d'un huit- clos qui rassemble trois personnages et mêle le destin individuel d'un jeune étudiant de 25 ans, Shmuel Asch, celui de Gershom Wald, un grand vieillard érudit et Atalia Abravanel , une femme belle et résistante, mystérieuse , deux fois plus âgée que Shmuel.


Shmuel, idéaliste et hypersensible , corpulent, barbu, timide, émotif, socialiste ( il est membre du renouveau socialiste ), asthmatique, cyclothymique , aux épaules massives s'enflammait pour de nouvelles idées, s'épuisait très vite, avait la larme facile, ce qui le plongeait dans la honte........

Plaqué par sa petite amie et sans le sou, il abandonne ses études et son mémoire de maîtrise " Jésus dans la tradition juive " ..
Il se met au service de Gershom Wald, ce grand vieillard de 70 ans, laid, physiquement diminué, mais incroyable brasseur d'idées, théoricien inlassable, érudit ; sceptique et ô combien caustique!

Atalia Abravanel, sa bru compléte le trio dans la maison de Gershom.
Sa beauté mystérieuse enflamme et envoûte Schmuel.
Au gré des pages et de l'évolution de l'intrigue, l'auteur convoque nombre de fantômes , celui de Micha, son brillant mathématicien de fils, disparu dans la nuit du 2 avril 1948- marié une année à Atalia..

Et surtout- surtout ---, celui de Judas-Iscariote- l'apôtre , qui, par un baiser, livra Jésus à ses bourreaux - l'incarnation même du traitre - selon la tradition chrétienne .
Car le thème de la Trahison est le thème central de l'intrigue:
Chacun de nous n'est- il pas le traitre d'un autre ??
Qu'est- ce qu'un traitre?
Qu'est-ce qui fait qu'un traitre est considéré comme traitre ?
L'auteur ne craint pas de puiser ses sources à la théologie, au questionnement sur les textes religieux et les rapports entre christianisme et judaïsme afin de tisser l'apprentissage intellectuel, sentimental et politique du jeune Shmuel.
Il lui apporte des éléments théoriques et philosophiques passionnants .
Au cours de ces conversations enflammées, la création d'Israël, le sionisme, la question Arabe sont au coeur du dialogue .
Un roman puissant, audacieux, une fiction poignante portée par les émotions et les pensées de Shmuel, Atalia et Wald, habitée par le passé de chacun...... Hantée par leurs fidélités, leurs erreurs et leurs reniements.
Un ample roman d'idées, empreint de nostalgie, de désillusion cruelle, pétri d'êtres de sang, de chair, de désirs et d"incertitudes, de chagrins , de tourments, des personnes cernées par le deuil; la perte et les spectres - auxquels- d'une maniére ultime -l'auteur invite Judas à se joindre.......




Une mise en scène juste et subtile des questions essentielles qui animent l'auteur depuis toujours .
Un trio hanté par le passé et une réflexion vibrante et puissante sur la Trahison dans la Jérusalem de 1959......
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J'ai vécu une véritable incursion dans un pan de l'Histoire que je connais très peu : Jérusalem à l'aube des années 60.
La trame du récit et les personnages ne sont que des simples instruments et messagers d'un propos plus grand qu'Amos Oz souhaite développer.
La présence constante d'éléments naturels tels la pluie, le vent et le froid, les innombrables tasses de thé constituent une ambiance feutrée, propice aux discussions, aux débats.
Amos Oz aime jouer avec les répétitions dans les descriptions des personnages et des lieux, de sorte que nous avons le sentiment de déjà vu, d'être des habituées des lieux et de bien les connaître.

L'auteur étoffe son récit par le rappel de faits historiques, des citations et des principes de théologie et traits d'esprit d'une grande intelligence.
Le conflit israélo-palestinien est le pilier du débat, sur lequel l'auteur aime débattre sur toutes les coutures. Il a une vision pessimiste et pragmatique quant à l'espoir de paix ou d'un arrangement de la reconnaissance territoriale au niveau politique.
Ecrivain israélien de gauche, militant pour la création d'un État palestinien et pour le rapprochement culturel des deux peuples ennemis, il pourrait aussi être vu comme le Judas de son clan.

Il s'attaque à des sujets extrêmement importants pour la religion judéo-chrétienne et notamment sur la dimension divine de Jesus qui n'est pas reconnue par les juifs.
Amos Oz a sa théorie à propos de Judas, le disciple de Jesus et devenu symbole de la trahison.
Il pense que sans Judas, Jesus n'aurait jamais été élevé au rang de divinité et le christianisme n'aurait pas vu le jour. Judas a certainement été le seul à vraiment croire au pouvoir divin de Jesus.

Trahison et loyauté : deux thèmes intimement liés et indissociables

A l'heure où j'écris ces lignes j'apprends qu'il y a eu un nouvel accès de fièvre dans le conflit israélo-palestinien.

Je retiendrai la joie d'avoir découvert une voix rare et précieuse.




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Un traître…est-ce l'infâme faux-cul qui vous lâche et vous livre ou un lonesome cow boy incompris qui a quelques longueurs d'avance dans sa pensée et quelques pieds de plus dans sa hauteur de vue ? Est-ce celui qui vous plante un couteau entre les deux omoplates en vous passant gentiment la main dans le dos ou celui qui voit clair trop vite ou trop tôt quand tous les autres ont encore la tête dans le guidon et les deux pieds dans la gadoue ?

Pour expliciter les choses : Abraham Lincoln, De Gaulle, Théodore Herzl: tous des traîtres ?

C'est autour de la figure du traître que se tisse le roman lent, ironique et spéculatif d'Amos Oz.

Shmuel Asch hiberne pendant trois mois dans une vieille maison de Jérusalem pour fuir sa thèse en panne, son amour en rade et sa famille sans tendresse.

Comme un ourson hirsute et mal léché, il se pelotonne, de décembre 1959 à février 1960, au coeur de la vieille ville, frileuse, à la fois glacée et poussiéreuse sous les vents d'hiver, dans une étrange tanière : une maison habitée par un vieil homme, Gershom Wald, et sa bru, la veuve Atalia Abravanel, fille d'un « traître » juif, Shealtiel Abravanel, militant actif contre la création de l'État d'Israël, mort en proscrit.

Dans cette maison, Shmuel exerce un étrange job : faire la conversation avec le vieux Gershom, bavard et cultivé, croiser parfois sa bru, Atalia, belle, mystérieuse et sensuelle qui enflamme Shmuel de désirs refoulés, manger la tambouille d'une voisine…et surtout faire le point.

Sur lui, sur sa vie…

Sur ses relations avec les femmes : l'éducation sentimentale auquel le soumet l'impérieuse Atalia le fait mûrir à grands pas !

Sur ses relations avec la religion – sa thèse abandonnée porte… sur le personnage de Judas, dont les Chrétiens ont fait l'archétype du traître…et du Juif, justifiant ainsi des siècles d'antisémitisme, alors que dans la doxa juive- comme le rappelle au XVIème siècle Rabbi Juda Arié-, Judas serait le vrai initiateur du christianisme. Non sans provocation, Shmuel affirme qu'il est « l'auteur, l' impresario, le metteur en scène et le producteur du spectacle de la crucifixion »

Faire le point aussi sur ses relations avec l'État d'Israël, tout jeune encore -12 ans !- et déjà vivement contesté : Shmuel est socialiste, d'un nationalisme plus que tiède et serait enclin à penser, comme le "traître" Shealtiel Abravanel, que Ben Gourion a commis une erreur impardonnable en dressant les uns contre les autres Juifs et Arabes, qui avaient pourtant tant de points communs : les uns « humiliés par les puissances coloniales », les autres subissant « pendant des siècles le mépris, l'expulsion, les persécutions, l'exil, les massacres et, pour finir, un génocide sans précédent dans l'histoire de l'humanité ».

Le temps d'un hiver, toute cette petite cuisine intérieure de questions plus ou moins lancinantes mijote et fristouille, entre les trois protagonistes, également hantés par le doute, par la perte, par le désir et par la figure ambiguë du traître.

Et puis le tremblement de terre d'Agadir a d'étranges répercussions sur le sort de notre sympathique anti-héros : il jette littéralement Shmuel dehors, le propulsant brutalement sur les routes de sa vie.

Et de tous les choix qui restent à faire.

J'ai beaucoup aimé cet évangile selon Judas, sa lenteur de gastéropode, ses éternelles discussions dignes d'une yeshiva, et, paradoxalement, ses profonds silences et tous ses non-dits, ses mises en garde inutiles, ses questions sans réponse, ses réponses à côté de la question.

Je l'ai lu lentement, par petite bouchées. Les personnages sont si finement approchés, dans une narration nonchalante, qui procède par cercles concentriques, qu'ils prennent une vraie épaisseur : on s'y attache et on les aime, surtout Shmuel, avec sa démarche de chien fou, sa maladresse, sa timidité et ses cheveux en bataille…

J'ai aimé séjourner dans cette Jérusalem de 1960, partagée en deux après la guerre d'indépendance, cette Jérusalem inhabituelle, hivernale, pleine d'arcades sombres où errent les mendiants, avec ses cafés enfumés et chaleureux, hantée par le passé des deux religions antagonistes et par la présence obsédante des check points, des soldats, des barrages..déjà.

Amos Oz, écrivain israélien de gauche, militant pour la création d'un État palestinien et pour le rapprochement culturel des deux peuples ennemis, fait ici, discrètement, une sorte de plaidoyer pro domo : il est le dernier « traître » de cet étonnant évangile..

Puisse-t-il faire école et son beau livre être entendu.
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« L'histoire se déroule en hiver, entre fin 1959 et début 1960. On y parle d'une erreur, de désir, d'un amour malheureux et d'une question théologique inexpliquée ». Ajoutons – le détail a son intérêt – que nous sommes à Jérusalem, alors divisée par la ligne verte.
Le dépit amoureux, c'est celui que vit Schmuel Asch, étudiant pataud et souffreteux de 25 ans, depuis que sa copine l'a plaqué pour en épouser un autre. Ce qui lui restait de moral s'étiole encore un peu plus quand, faute d'argent, il doit renoncer à ses études et chercher du travail. Répondant à une petite annonce, il devient alors homme de compagnie d'un vieux savant aussi érudit que fantasque, Gershom Wald, qui vit reclus dans la maison qu'il partage avec une certaine Atalia Abravanel, sans que le lien qui les unit soit donné au départ.
Le désir, Schmuel le rencontre en même temps qu'Atalia. Celle-ci a deux fois son âge, est belle, séduisante, cruelle, inacessible. Elle est aussi la fille de Shealtiel Abravanel, figure du mouvement sioniste, décédé quelques années plus tôt.
Les séances de conversations quotidiennes entre Wald et Schmuel sont l'occasion d'aborder des sujets aussi différents que le contexte de la création de l'Etat d'Israël, dont le vieil homme fut un témoin privilégié, ou le personnage de Judas, le traître biblique, le juif déicide abhorré des chrétiens, dont Schmuel tente de décrypter le rôle dans sa thèse universitaire consacrée à « Jésus dans la tradition juive ». Des sujets a priori totalement étrangers, donc, et pourtant Amos Oz crée un lien entre eux. La question théologique de la trahison de Jésus par Judas est mise en parallèle avec la position de Shealtiel Abravanel qui, en 1947, allait à contre-courant de la volonté dominante personnifiée par David Ben Gourion et s'opposait au plan de partage de la Palestine et à la création d'un Etat juif indépendant, convaincu qu'il était encore possible de s'accorder avec les Arabes pour fonder un Etat unique où ceux-ci cohabiteraient pacifiquement avec les Juifs. De la même façon que Judas qui livra Jésus aux Romains devint la figure de la trahison par excellence, les chimères anti-nationalistes d'Abravanel lui valurent d'être exclu du Comité Exécutif Sioniste et considéré comme traître à la cause juive.
Et, au travers du destin de ces personnages fictifs, l'auteur de s'interroger : et si Judas était en réalité le premier chrétien authentique, le seul, dont l'erreur fatale aura été, précisément, de croire avec une foi inébranlable en la nature divine de Jésus ? de pousser celui-ci à se laisser crucifier pour ensuite miraculeusement descendre vivant de la Croix et révéler à cette occasion son immortalité ? Qu'en aurait-il été du christianisme sans cette croyance ? Qu'en aurait-il été de la haine des chrétiens envers les juifs ?
L'analogie avec le traître Abravanel est tentante, lui dont l'erreur avait été de croire que Juifs et Arabes pouvaient vivre ensemble dans un même Etat sans s'entre-tuer. Que serait-il advenu si une telle idée avait pu s'imposer ? Qu'en aurait-il été de la haine réciproque entre Juifs et Arabes ?

Je ne savais rien d'Amos Oz avant de lire ce roman, fort peu de choses de l'histoire de l'Etat d'Israël, et guère plus sur Judas et Jésus que ce que j'en ai appris au cours de religion à l'école. Je ne suis donc pas capable de juger de la vraisemblance des idées développées dans « Judas », mais quoi qu'il en soit, j'ai trouvé ce roman très riche et très intéressant, voire passionnant.
D'une belle écriture fluide, Amos Oz entrelace avec talent histoire, politique et religion – thèmes indissociables en Israël – à un passage à l'âge adulte assez cocasse et une tragédie familiale émouvante. Un grand roman et une belle découverte.

Merci à Masse Critique de Babelio et aux éditions Gallimard pour ce beau roman.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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La couverture Folio de ce livre met la figue à l'honneur. Il est vrai que ce fruit charnu est souvent cité dans le roman d'Oz qui commence comme un conte: une mystérieuse petite annonce permet à notre héros qui l'est peu d'entrer dans une maison sans doute hantée où il sera payé pour distraire un infirme aussi laid que mélancolique tandis qu'une belle femme apparaît et disparaît mystérieusement, glissant telle un fantôme d'une chambre interdite à l'autre.
Si la figue symbolise le sexe féminin dans l'imagerie populaire, elle a bien ici toute sa place puisque Shmuel, abandonné par sa petite amie, rêve de séduire Atalia dont la fente qui descend de son nez à ses lèvres ne cesse de le fasciner.
Mais l'histoire n'est pas seulement conte, elle est aussi parabole. Sur le point de chasser les marchands du Temple, Jesus maudit un figuier stérile tandis que Marc se permet de tancer celui qui aurait oublié qu'un figuier ne peut produire de fruits hors de sa saison. Or, nous rappelle Shmuel, « L'histoire a souvent produit des individus courageux, en avance sur leur temps, qui étaient passés pour des traîtres ou des hurluberlus.  » le figuier maudit par le Christ n'est pas en avance sur son temps, c'est là son moindre défaut.
Judas a pressé Jesus, qui aurait bien attendu encore un peu, de prouver qu'il était fils de Dieu. Contrairement au figuier qui ne donne pas ses fruits quand on a besoin d'eux, Jesus est allé au devant du supplice. Et Judas désespéré d'avoir tué son maître et ami s'est pendu, au lieu d'attendre les trois jours qui lui auraient prouvé qu'il avait raison.
Oz n'est pas le premier à décrire Judas comme le meilleur disciple. Kazantzakis l'avait déjà fait dans La Dernière Tentation du Christ; et l'évangile de Judas est un texte révéré par les gnostiques. Mais ce qui rend le roman d'Oz aussi fascinant, c'est qu'il met en parallèle la figure du traître et l'histoire d'Israel.
Qui a trahi ? Paul de Tarse qui a créé le christianisme contre le Judaïsme, faisant du Juif le symbole même du traître et ouvrant la voie aux pogroms puis à la Shoah ? Ben Gourion qui imposa Israël par la guerre et rendit impossible la coexistence pacifique avec les Arabes ? Shealtiel Abravanel, le père de la belle Atalia pour qui Israël perdait son âme en faisant la guerre? Ou bien Amos Oz lui-même ?
Et le traitre n'est-il pas, finalement, celui qui aime le plus et qui se sacrifie jusqu'à l'opprobre ?
Il faudrait des pages et des pages pour étudier tous les symboles qu'Oz place dans son roman, sans qu'il devienne pour autant un pensum lourdement illustratif. le scorpion qui pique et fait advenir l'amour parental préfigure la marche qui cède et le corps endolori bientôt rassasié de plaisir. À la souffrance du crucifié répond celle du soldat qui agonise, abandonné par les siens, torturé par ses ennemis. Au portrait pataud de Schmuel font écho tous les chiens abandonnés sur sa route, qui mendient un morceau de pain et une caresse. Et si le roman semble se terminer sans qu'aucune réponse n'ait été donnée, on peut aussi penser que la seule marche à suivre a été évoquée dès le début: moins pleurer, moins s'émouvoir et agir, même si l'on ne fait rien d'autre que de recueillir un chat famélique, c'est toujours un peu de misère qu'on aura contribué à faire disparaître: il n'y a pas de saison pour le don de soi.
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D'une lecture parfois un peu ardue, le nouveau roman d'Amos Oz aborde tous les grands thèmes qui caractérisent l'oeuvre de ce grand écrivain Israélien. Dès le premier paragraphe Amos Oz nous résume son livre : « L'histoire se déroule en hiver, entre fin 1959 et début 1960. On y parle d'une erreur, de désir, d'un amour malheureux et d'une question théologique inexpliquée».

Jérusalem, hivers 1959, Shmuel vient d'être abandonné par sa petite amie. Il décide de renoncer à ses études universitaires et ses recherches sur Jésus dans la tradition juive. Notre héros, qui se cherche, accepte de tenir compagnie à un vieux professeur handicapé, Gershom Wald un vieillard d'une grande capacité intellectuelle. Il se retrouve dans une vieille maison habitée par Gershom mais aussi par Atalia sa belle-fille.
C'est le début pour Shmuel d'une vie solitaire mais aussi de réflexions et de découvertes.
D'abord sur les personnages qui vivent dans cette grande demeure. Sur la mort du fils de Gershom. Sur le père d'Atalia, Shealtiel Abravanel, qui pour s'être opposé à Ben Gourion et à la création de l'Etat d'Israël est considéré comme un traitre. Ensuite, sur le sionisme, les fondements de l'Etat d'Israël et la question israélo-palestinienne. Enfin, grâce aux discussions avec Gershom, il approfondit ses idées pour sa thèse. Juda n'aurait pas trahi Jésus, mais aurait été le dernier et le plus fidèle de ses compagnons, il croyait que l'épreuve de la crucifixion serait l'ultime miracle.

Un roman écrit dans un style direct sans fioritures, parfois sentimental, parfois ironique mais toujours juste. Les réflexions d'ordre historique, politique et religieux s'alternent tout au long du récit. Dans ce huis clos, Amos Oz comme tout grand intellectuel émet différents points de vue, différentes hypothèses, sans jamais énoncer de certitudes. Au lecteur de se forger une opinion.
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Nous sommes à la fin des années 50 en Israël. Imaginez une maison rue Arav Elbaz dans la banlieue de Jérusalem. Franchissez la porte comme l'a fait Schumuel Ash, jeune étudiant qui vient d'abandonner son mémoire sur "Jésus dans la tradition juive". Parcourez le long corridor qui mène à la bibliothèque. Là vous découvrirez Gershom Wald, un vieil invalide, difforme et dont l'érudition n'a d'égale que l'incommensurable laideur. C'est à lui que Schmuel doit servir d'homme de compagnie. C'est en tout cas ce que lui a expliqué sa belle-fille, Atalia Abravanel, une jeune femme mystérieuse, lointaine, inaccessible.
Ce sont les trois principaux personnages du dernier roman d'Amos Oz : Judas, écrit en 2014. Sur eux, planent l'ombre de deux morts : Micha, fils de Gershom, mari d'Atalia et Shealtiel Abravanel, père d'Atalia. Ce sont eux que j'ai suivis avec beaucoup de curiosité et d'interrogations car n'étant pas une grande connaisseuse ni une grande lectrice des Evangiles ou du Talmud, j'ai moins accroché au thème de Judas, présent sous forme de flash-back sur l'histoire de Jésus dans la tradition juive.
Ce qui m'a frappé dans le roman c'est moins tant le thème de la traîtrise que celui de la dissidence et de l'exil intérieur. Les personnages de l'histoire incarnent d'une façon ou d'une autre l'un de ces deux thèmes quand ce n'est pas les deux. Prenez Shealtiel Abravanel, dissident en 1947 par rapport à la création de l'état d'Israël telle que la préconise Ben Gourion, il va payer un lourd tribut à ses convictions et sera chassé de la vie politique et sociale. Solitude et exil intérieur seront désormais ses compagnons. Il sera rejoint par sa fille et son "meilleur ennemi" Gershom Wald pour lesquels la mort atroce de Micha pendant la guerre d'indépendance en 1948 va être le déclic pour un exil volontaire dans cette maison qui deviendra à la fois une prison et un refuge. Schmuel ne sera pas dépaysé lorsqu'il rejoindra la rue Arav Elbaz car lui aussi traîne derrière lui une solitude et une souffrance un peu pleurnicharde qui lui collent à la peau.
Ces deux thèmes : la dissidence et l'exil intérieur sont si largement développés qu'ils m'ont paru entrer en forte résonance avec les dernières années de vie d'Amos Oz, dans un Etat israélien dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne correspondait en aucune façon à son idéal politique.
La structure en cercles concentriques convient parfaitement à cette ambiance de huit-clos où va se tisser, au fil de scènes répétitives à quelques détails près, des avancées, des ouvertures, en tout cas pour Schmuel à qui Atalia et Gershom vont servir respectivement de mère d'adoption et de mentor.
J'ai vraiment ressenti ce roman en raison de sa structure et de son écriture comme un roman d'ambiance tout autant qu'un roman à thème. Certaines scènes récurrentes, comme celles des balades de Schmuel et Atalia dans Jérusalem devenue ville fantôme, sont très marquantes par l'atmosphère qui s'en dégage. L'écriture d'Amos Oz est minutieuse, précise, témoigne d'un sens aigu de l'observation et l'humour n'en n'est pas non plus absent surtout lorsqu'il s'agit du sens de la dérision ou de l'auto-dérision.
Je ferais pourtant quelques réserves concernant certains procédés d'écriture. J'ai été gênée par le nombre très important de : tel, comme, pareil qui annoncent une comparaison. de même pour certains portraits dont l'intégration au récit n'est pas non plus évidente.
Peut-être s'agit-il d'un problème de traduction ? Je suis tentée de le croire au vu de la force d'écriture d'Amos Oz dans certains passages notamment celui de la crucifixion de Jésus d'une "horrifique beauté" ou bien ceux où ses héros débattent avec une véhémence toute polémique sur le bien-fondé de leurs convictions;
C'est le premier roman d'Amos Oz que je lis et il m'est difficile de faire des comparaisons avec d'autres.
J'aimerais avoir d'autres avis sur la question...
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C'est un roman qui nous instruit sur l'histoire (d'Israël à ses débuts), la religion (la figure du Christ dans la tradition juive), la philosophie et ses rapports à la politique (Qu'est-ce que la trahison et quelles en sont les motivations?) — que sais-je encore ? — mais c'est aussi un roman psychologique, un roman d'amour, un roman initiatique... un livre bien écrit qui a su me happer en me guidant sans me perdre à travers ses passages du général (les grands débats autour de la fondation d'Israël, de celle du christianisme...) au particulier (les tourments du héros qui, suite à un dépit amoureux et une rupture avec sa famille, cherche sa voie à travers d'autres références). J'ai donc aimé ce subtil mélange d'analyse psychologique intime et de brassage intellectuel d'idées auxquelles je n'ai cependant pas toujours adhéré. Il m'est difficile de me figurer, en particulier, un Judas metteur en scène qui aurait orchestré la crucifixion pour vérifier le caractère divin de son héros...
Il m'en reste une impression d'érudition et de savoir-faire d'un écrivain que je me promets de lire de nouveau prochainement.
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Si vous le permettez, en ce début de vacances et afin de profiter un peu mieux de mes lectures, je m'attarderai un peu moins sur mes chroniques que je rédigerai de façon plus conscise.
Et donc....

Judas de Amos Oz a su éveiller mon intérêt et susciter ma réflexion.
Les conversations qu'ont Shmuel et Gershom Wald, le vieillard dont il s'occupe, concernent essentiellement la création de l'état juif, encore récent en 1959, ainsi que le thème du mémoire inachevé du jeune homme, "Jésus dans la tradition juive".
À travers ces échanges tumultueux, c'est la définition même du traître qui fait matière à débat.
La traîtrise de Judas Iscariote n'était-elle pas plutôt une foi exacerbée qui l'a mené à l'erreur ?
Quant à Shealtiel Abravanel, sa soi-disant traîtrise n'était-elle pas seulement une vision différente de la cohabitation entre Juifs et Arabes ?
Le fait d'avoir tenté un dialogue avec ces derniers faisait-il vraiment de lui un traître ?

Si le débat m'a vraiment passionnée, le personnage de Shmuel par contre m'a laissé de marbre.
Mou, presqu'inconsistant, il ne trouve un peu d'énergie que lorsqu'il disserte.
Même son attirance pour Atalia, la fille d'Abravanel et belle-fille de Wald, manque d'implication, d'initiative.

Un très bon livre qui nous fait parcourir Jerusalem en tous sens mais qui, d'après moi, ne nécessitait pas cette très fade intrigue amoureuse.
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Judas. Tel est le titre de ce livre d'Amos Oz... Judas, ça veut dire traitre !... C'est plus qu'un titre, c'est un pavé lancé... de quel côté va-t-il retomber ? Comment ne pas fâcher ou blesser ?...

Un coup d'oeil autour de nous. Il n'est pas un seul homme politique qui n'ait été un jour accusé de trahison... Traitres, nous le sommes tous ; je trahis, tu trahis, il ou elle trahit, etc... Voilà ! C'était juste pour dédramatiser le titre avant de nous pencher avec sérénité sur l'ouvrage.

Quel est le genre de ce roman ? Drame psychologique, récit politico-historique, recueil de débats et d'idées ? Il est un peu tout cela ; tout y est entremêlé, dans un ensemble très cohérent ; c'est ce qui rend le livre absolument passionnant. Essayons d'y mettre bon ordre.

Nous sommes en 1960, à Jérusalem. La ville est loin d'être ce qu'elle est aujourd'hui ; terrains vagues, no mans land, barbelés. C'est l'hiver. Il fait froid, il pleut, il vente.

Shmuel Asch, vingt-cinq ans, n'a plus les moyens de poursuivre ses études. En échange du gîte, du couvert et d'une petite rémunération, il tient compagnie le soir, dans une petite maison de banlieue, à un vieil homme invalide, érudit et disert. Cette opportunité lui permet de continuer à travailler à son mémoire de maîtrise « Jésus dans la tradition juive ».

Chaque soir est l'occasion de discussions enflammées entre Shmuel et cet homme âgé, disgracié, du nom de Gershom Wald ; une forte personnalité à l'esprit affûté et au tempérament emporté ; établi en Israël bien avant la création de l'Etat. Ensemble, ils parlent histoire, politique, philosophie, sciences. Wald, est un intellectuel pragmatique, Shmuel, socialiste, est un rêveur. Tous deux sont sionistes, laïques, sans doute athées. Les religions ne sont pour eux que sujets historiques ou politiques.

Dans la maison, vit aussi Atalia Abravanel, une belle femme d'une quarantaine d'années. Sa féminité mystérieuse et majestueuse fascine Shmuel, qui va tout essayer pour la séduire. Pas gagné d'avance. Avec son look d'homme des bois bedonnant, son agitation brouillonne alternant avec des tendances à la procrastination, sa manie de ressasser indéfiniment malaises, problèmes familiaux et déboires sentimentaux, Shmuel n'a rien d'un prince charmant. Mais son extrême sensibilité, sa naïveté, sa balourdise et son empathie sincère finissent par le rendre attachant.

Wald et Atalia s'ouvrent à lui. Shmuel prend ainsi connaissance d'un malheur survenu il y a douze ans, pendant la guerre d'indépendance. Deux ombres planent depuis sur la maison. Celle de Shealtiel Abravanel, son ancien propriétaire, père d'Atalia... Et celle de Micha...

Shmuel découvre que dans les années quarante, ce Shealtiel Abravanel avait été un dirigeant sioniste important. Il avait été écarté peu avant la création de l'Etat d'Israël, car il y était opposé ainsi qu'au plan de partage des Nations Unies. Il estimait que ce projet ne tiendrait pas dans le temps et qu'il était préférable que Juifs et Arabes trouvent ensemble un arrangement. Plus généralement, il considérait que le concept d'Etat était archaïque et qu'il fallait habituer les peuples à vivre ensemble sans frontières, passeports ni drapeaux. Un rêveur idéaliste... mort tristement deux ans plus tard, abandonné par ses anciens amis qui le tiennent pour un traitre.

Shmuel travaille aussi à son mémoire sur Jésus et il développe une hypothèse originale, en rupture par rapport aux évangiles canoniques. Selon ceux-ci, Judas Iscariote avait dénoncé Jésus aux autorités romaines en échange d'une récompense de trente deniers, devenant ainsi l'archétype haïssable du Juif traitre et vénal, fondement de vingt siècles d'antijudaïsme chrétien. Pour Shmuel, Judas était au contraire un adepte fervent et dévoué de Jésus. Convaincu de sa nature divine – ce dont doutait Jésus lui-même – il l'avait délibérément mené à la crucifixion, afin qu'en se libérant miraculeusement du supplice, il se révèle à la face du monde et instaure le Royaume de Dieu sur terre... Judas, un idéaliste, naïf, illuminé.

Nous voici donc face à deux dilemmes : Abravanel et Judas, traitres ou rêveurs idéalistes ? Chacun se fera librement son opinion. Mais malheureusement les meilleurs – Jésus, Micha – périssent toujours dans des conditions atroces.

Shmuel pose la question : Pourquoi sa thèse, lumineuse et crédible, n'a-t-elle jamais été défendue avant lui par un érudit ou savant juif ? Cela aurait pu mettre fin aux malentendus entre Chrétiens et Juifs... Rêverie, quand tu nous tiens ! semblent penser Wald et Atalia.

Écoutons Gershom Wald, le réaliste (nous sommes en 1960) : « Les Arabes du cru tiennent à cette terre parce que c'est la seule qu'ils possèdent. Ils n'en ont pas d'autre. Comme nous, pour les mêmes raisons. Ils savent que nous n'y renoncerons jamais et nous savons qu'ils ne lâcheront pas prise non plus. Par conséquent, une parfaite entente règne entre nous. Il n'existe pas de malentendu et il n'y en aura jamais. » ... On ne peut pas parler d'optimisme béat.

Encore Gershom Wald pour le mot de la fin : « Grâce aux rêveurs, nous les réalistes sommes un peu moins pétrifiés et désespérés ».

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Amos Oz (1939-2018) R.I.P

Mon père parlait 11 langues, mais il a fait mon éducation en Hébreu, j'étais alors un « petit chauvin déguisé en pacifiste». Un «nationaliste hypocrite et doucereux », un « fanatique », qui jouait à la guerre et s’enflammait contre les Anglais et les Arabes, j'étais, j'étais, comme une panthère dans la .....?......

Nuit
Cave
Tourmente
Neige

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