Mon opinion de ce roman,
Un monde vacillant, a changé régulièrement au cours de ma lecture, passant de l'intérêt à la curiosité, puis de l'ennui (mais brièvement seulement, je ne voyais plus où cette histoire s'en allait) à l'amusement en passant par la bizarrerie. Au final, j'en garde un bon souvenir mais… il y toujours ce mais qui persiste. Je dirais que ce sont les personnages et la drôle d'atmosphère qu'ils dégagent due à leur cohabitation.
Commençons par le commencement. Les premiers chapitres ont su me captiver, même s'il ne s'y passe pas grand chose. le lecteur est introduit à
Rose Meadows, une jeune femme presque sans attache (orpheline, elle vivait aux crochets d'un distant cousin Bertram, lequel restait soumis à son amante militante Ninel), qui entre au service de la famille Mitwisser, des juifs allemands qui ont fui le régime nazi. C'était en 1935. Un habitué de l'auteure
Cynthia Ozick reconnaitra là des thèmes qui lui sont chers.
Les premiers chapitres font des allers-retours entre cette période et les années d'enfance de Rose. Je trouvais étrange qu'on fasse ce bond dans le passé si tôt mais les transitions étaient bien faites. Et ça permet de mieux cerner la protagoniste et, surtout, de sympathiser davantage avec elle.
Je ne peux en dire autant des membres de la famille Mitwisser. Était-ce volontaire ? Non pas qu'ils soient antipathiques, loin de là, mais leur étrangeté et leur excentricité (vues par un simple Américain) détonne. Bien sûr, leur exil est vécu comme un traumatisme. Dans tous les cas, ce le fut pour la mère Elsa, qui sombre dans la dépression. Mais le père Rudolf est trop diffus et absorbé par ses vagues travaux pour s'y attarder. le karaïsme, un courant obscur du judaïsme, ne peut attendre. (D'abord, je croyais que c'était une pure invention, une fantaisie de l'auteure mais ça existe pour vrai, j'ai vérifié !) Quant à l'aînée de enfants, l'impérieuse Anneliese, elle est trop occupée à tenir la maisonnée.
Et
Rose Meadows, dans tout cela ? Son rôle évoluera au fil du temps et des besoins. « Je ne parvenais pas à saisir ce que mes obligations pouvaient être, et quand je tentais de m'en enquérir, la réponse se dissolvait dans le chaos. » (p. 47) Même après deux semaines ! S'occuper de la fillette de trois ans Waltraut ? Contenir l'activité frénétique des adolescents Gerhardt, Heinrich et Wilhelm ? D'ailleurs, ces trois-là, ils me semblaient assez interchangeables. Ou bien soutenir Rudolf dans ses travaux, classer ses livres et taper à la machine ? Finalement, elle devra surtout tenir compagnie et surveiller Elsa qui perd tranquillement contact avec la réalité.
Pour le lecteur, à l'instar de Rose, entrer dans la famille Mitwisser, c'est comme pénétrer dans un univers parallèle. Ce monde quasi-disparu de la Mittleeuropa, transplanté dans un New York de l'Entre-deux-guerre, est un voyage fascinant. Pendant une bonne partie du roman, ce fut suffisant pour moi. Les chocs culturels, les personnages plus grands que nature, forcés de s'adapter à une nouvelle condition, à une nouvelle réalité.
Toutefois, après quelques centaines de pages, j'avais envie d'un peu plus. Les travaux de Rudolf ne semblaient mener nulle part, la famille sombrait dans l'autodestruction, même Anneliese, le pilier, commençait à faire des siennes. Bref, tout devenait noir. L'auteure a brouillé un peu les cartes en ramenant le cousin Bertram. D'abord, je n'en étais pas convaincu mais, finalement, je crois qu'il avait sa place dans cette étrange galerie où deux univers entrent en collision.
Jusqu'à la fin du roman, le destin de la famille Mitwisser, de Rose et de Bertram continueront de s'entremêler dans un enchevêtrement claustrophobique de péripéties à la limite du ridicule… pour le plus grand bonheur du lecteur. Toutefois, avec
Cynthia Ozick, il n'y a habituellement pas de « happily ever after ». En ce sens, le dénouement m'a laissé un drôle de gout, un mélange de doux-amer. Quelque part à mi-chemin entre l'échec et la réussite. Si certains y trouvent leur compte, c'est indirectement, par le biais d'un autre personnage. Et cela de la façon la plus inattendue. Ainsi continuera longtemps leur interdépendance.