Marthe est française et Mathilde est allemande, elles sont nées en 1902 à Colmar. Leur petite-fille raconte l’histoire compliquée de sa famille alsacienne, indissociable de l’Histoire de cette région.
En 1871, l’Alsace devient allemande, annexée au Reich par le traité de Francfort. Dix ans avant qu’elle ne redevienne française, les parents de Mathilde s’installent à Colmar, dans l’immeuble des parents de Marthe. Commence alors une grande amitié entre les deux petites filles qui durera toute leur vie.
Le 18 novembre 1918, « Colmar tout entier fredonne le mâle hymne national », la Marseillaise. Mais les Alsaciens sont des Français qui parlent allemand ; ils aiment la France mais leur culture est germanique. En 1919, avec l’expulsion des premiers allemands, la famille de Mathilde craint d’être renvoyée de l’autre côté du Rhin.
Quand en 1940, l’Alsace connait un nouveau retournement de situation, c’est Marthe, veuve d’un officier français, qui doit se réfugier à Tours avec ses deux fils. Il faut attendre la fin de la guerre pour que les deux amies soient réunies, « Kolmar redevient Colmar et les rues changent de nouveau de nom ». Quelques années plus tard, le fils de Marthe épouse la fille de Mathilde.
Avec Marthe et Mathilde, Pascale Hugues dresse un portrait authentique de sa famille et de l’Alsace. C’est une galerie de personnages marqués par les guerres et les conséquences qu’elles ont eues sur leur vie. Les Alsaciens, qu’ils soient français ou allemands, ne faisaient par partie de « la France de l’intérieur ». Ils étaient avant tout Alsaciens avant d’être Français ou Allemands.
Pascale Hugues raconte aussi l’histoire de femmes libres, qui veulent être maîtresses de leur destin, comme Mathilde qui reste rebelle jusqu’à sa mort, en refusant d’être inhumée dans le caveau familial, ou comme Georgette, sa sœur, qui participe à la révolution communiste de 1918 à Berlin, ou encore comme ses filles qui prônent l’émancipation du corps, ou sont séduites par la bible du féminisme allemand : Ich bin ich (je suis ce que je suis).
C’est un livre qu’il faut lire si on a envie de mieux comprendre les Alsaciens, c’est aussi l’histoire d’une amitié exemplaire entre deux femmes que tout séparait.
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Je suis néerlandaise, mais l'Alsace est ma région d'adoption depuis bientôt 28 ans. J'ai épousé un Alsacien de pure souche, passionné de l'histoire alsatique, autant dire que je connais un peu l'histoire particulière de cette belle région.
Pascale Hugues nous raconte au travers de l'amitié, qui lie ses deux grands-mères depuis plus 90 ans, l'histoire mouvementée de l'Alsace. Marthe, l'alsacienne et Mathilde l'allemande, sont nées toutes les deux en 1902. Elles se rencontrent à l'âge de 6 ans et ne se quittent plus jusqu'à leur mort, à l'aube de leurs 100 ans.
Marthe et Mathilde, ce n'est pas seulement l'histoire d'une amitié qui a duré toute une vie, mais c'est aussi l'histoire d'une population déchirée entre la France et l'Allemagne. L'Alsace annexée à l'Allemagne depuis 1870, redevient française en 1918, après la fin de la guerre. Entre les deux guerres, l'Alsace est française. Elle redevient allemande pendant la deuxième guerre mondiale et enfin elle est française depuis 1945. Ce qui veut dire que pendant leur vie, nombreux alsaciens ont ainsi changé 4 ou 5 fois de nationalité !!
La période après-guerre était difficile et confuse : après presque de 50 ans de germanisation, les Alsaciens ne connaissent presque plus la langue française, mais veulent être considérés comme français. Les « Altdeutschen », les allemands qui s'étaient installés en Alsace après l'annexion, se voient expulsés et doivent retourner en Allemagne. En suit une période confuse où la discrimination, le chômage et les répressions règnent. Les Alsaciens veulent oublier cette période allemande, mais Marthe, la française reste fidèle à son amie Mathilde, l'allemande.
En épousant un français Mathilde devient française, et une période plus « calme » s'annonce. Dans la période 1939-1945, l'Alsace redevient allemande et cette fois-ci c'est Marthe, devenue veuve entretemps, qui se voit obligée de quitter son Alsace si chère à son coeur. Pendant les 5 ans de guerre les deux amies ne se voient pas, mais après la libération Marthe retourne à Colmar et les deux amies sont de nouveau réunies pour le restant de leur vie. le fils ainé de Marthe épouse la fille cadette de Mathilde et de cette union naissent Pascale Hugues et son frère.
J'ai trouvé ce récit très touchant parce qu'il explique bien l'histoire de l'Alsace et entre autres les crises d'identité qu'ont pu traverser les personnes comme Mathilde, qui se sentait alsacienne, mais qui était considérée comme allemande par son entourage et pour qui son coeur balance entre la France et ses racines allemandes. C'est ce qui explique aussi l'histoire de cette population alsacienne au caractère bien trempé et fière de leur région.
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Destins croisés et en miroir de deux amies, aux caractères que bien des traits opposent, mais dont les concordances de vie sont si nombreuses que l'on pourrait les croire artificielles. Il s'agit pourtant de la véritable histoire de ses deux grands-mères que nous raconte ici l'auteur.
Nées puis décédées la même année, l'une française, l'autre allemande, leurs prénoms commencent par même lettre. Ce qui parait être qu'une anecdote illustre pourtant le lien entre les deux femmes. Voisines depuis l'enfance dans leur immeuble de Colmar, leurs desseins ne cessent de se tracer tantôt en symétrie dans leur vie privée (mariage, maternité, unions entre leurs enfants..) tantôt en opposition au gré des changements d'appartenance de l'Alsace au fil des guerres. Ces déchirures entre la France et l'Allemagne touchent en premier lieu Mathilde puis Marthe, mais en aucun cas, elles ne pourront affecter leur amitié.
Ce récit constitue un beau et vibrant hommage intime qui fait résonner l'amitié exceptionnelle (et pourtant pas si unique que cela, heureusement) dans un environnement historique et politique tragique. Cette relation forte et complexe est sans contexte une inspiration pour leurs petits-enfants communs mais aussi pour leurs deux nations.
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Le sort des "Malgré-nous" suscitait immanquablement une vive émotion autour de la table familiale. Après la défaite de 1940, une bonne partie des Alsaciens se replièrent sur eux-mêmes, se bornant à entretenir un minimum de relations avec les nouveaux maîtres des lieux. Le Gauleiter Robert Wagner, redoutable chef de l'administration civile en Alsace, un nazi convaincu, leur reproche cette tiédeur : "Les Alsaciens ne peuvent plus se contenter d'assister en spectateurs passifs à la lutte décisive que mène la nation. Ceci est incompatible avec leur sens de l'honneur."
Le 25 août 1942, le Gauleiter Wagner décide par décret l'incorporation de force des Alsaciens dans les armées nazies. Le Führer a besoin de troupes fraîches sur le front. Il espère que le service sous l'uniforme allemand fera enfin des Alsaciens de vrais citoyens du IIIe Reich, des nazis convaincus. Ce décret est une violation de la convention d'armistice signée avec la France en juin 1940 et des conventions de La Haye qui interdisent à une puissance occupante de mobiliser la population d'un territoire occupé. L'incorporation de ceux que l'on appelle les "Malgré-nous" est donc un acte illégal.
" Tout au long de ce voyage de dix jours à travers le Sud de l'Allemagne, nous n'avons rencontré aucun homme, aucune femme(et pourtant la majorité des femmes avaient été fascinées par Hitler) qui ne l'aient pas renié. Tous les allemands que nous avons rencontrés nous ont juré, main sur le coeur, qu'ils n'avaient jamais été membres du parti. Il n'y a jamais eu de nazis en Allemagne !..."
En ces lendemains de guerre, les vainqueurs déploient leurs cartes d'état-major et se partagent l'Europe. Ils rangent chaque peuple dans une case aux contours strictement délimités. L'Allemagne cède l'Alsace-Lorraine à la France. Le droit du sol de la République française est transformé de facto en droit du sang. L'Etat français instaure exceptionnellement en Alsace un droit allemand.
Chacun lance une poignée de terre. Mon frère rebouche le trou. Personne n'a pensé à apporter une croix de bois.
J'ai copié les paroles de la chanson. Je distribue le texte . Et nous chantons, doucement d'abord, puis à tue-tête et tous en coeur "Muss i denn zum Städele hinaus". Soudain ce dernier acte n'est plus ridicule. Pour la première fois je comprends le sens de ces paroles. Cette chanson parle du départ, du mal du pays. Mais elle porte la promesse d'un retour prochain à la ville.
C'est cette chanson que les hordes de jeunes Alsaciens haineux entonnèrent en regardant les Allemands expulsés de 1918 quand ils traversèrent le pont de Neuf-Brisach à pied, leurs valises à la main. Mathilde a voulu tendre ce fil symbolique d'un bout à l'autre de sa vie. C'est son histoire qu'elle nous fait chanter. En face du Schnepfenried, tout là-bas au loin par temps clair, Mathilde voit la forêt-noire.
l'Allemagne est toute proche.
3 Jours à Berlin - Pascale Hugues .3 Jours à Berlin : Rencontre avec Pascale Hugues autour de son ouvrage "La robe de Hannah, Berlin, 1904-2014" aux éditions Les Arènes. Traduction des passages en allemand par Daniel Mirsky. http://www.mollat.com/livres/hugues-pascale-robe-hannah-berlin-1904-2014-9782352043256.html 1. Podington_Bear_-_Program_Reverie http://podingtonbear.com/ 2. Droit réservé ®