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Une enquête de Mario Conde tome 8 sur 10
EAN : 9782757856970
720 pages
Points (21/01/2016)
4.02/5   399 notes
Résumé :
Disparu dans le port de La Havane en 1939, un Rembrandt est repéré dans une vente aux enchères à Londres. Propriété de sa famille dès le XVIIIe siècle, le tableau a une valeur inestimable pour Elias Kaminsky. Il lui rappelle le destin tragique de ses aïeux, déportés alors qu'ils tentaient de rejoindre Cuba. Qui mieux que le désabusé Mario Conde pourrait partir sur les traces du chef-d’œuvre ?
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Critiques, Analyses et Avis (84) Voir plus Ajouter une critique
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Trois parties composent ce passionnant et riche roman de Leonardo Padura, Hérétiques.
Elles concernent trois personnages. La première intitulée Livre de Daniel raconte l'histoire de ce jeune juif polonais de Cracovie Daniel Kaminsky envoyé chez son oncle Joseph à Cuba pour échapper à la fureur nazie et l'espoir qu'il a eu de retrouver sa famille fin mai 1939 lors de l'arrivée à La Havane du paquebot Saint-Louis parti de Hambourg quinze jours auparavant. En effet, les parents et la soeur du petit Daniel faisaient partie des neuf cent trente-sept juifs passagers. Mais, six jours après son arrivée au port, le président Bru cédant à la pression nord-américaine ordonne au Saint-Louis de sortir des eaux territoriales cubaines, les passagers se voient ainsi refuser l'entrée à Cuba. À peine un peu plus d'une vingtaine de juifs ont pu descendre du bateau. Daniel Kaminsky se débat alors dans les brumes de sa douleur et prend la ferme décision de renier sa condition de juif. Il ne reverra jamais les siens…
Le deuxième livre est consacré à Elías Ambrosius Montalbo de Ávila, Juif séfarade, qui en 1643, prend la décision irréversible d'apprendre l'art de la peinture et devient apprenti de Rembrandt, contre la Loi de sa religion.
La troisième partie, Livre de Judith concerne une jeune emo, Judy, les emos constituant une des « tribus urbaines » apparues vers 2008 dans la rue G à La Havane. Elle fait partie de ces ados tourmentés qui avec piercings et scarifications rejettent la société et sont en quête d'individualité.
Les trois protagonistes en cherchant, chacun à leur manière un moyen de s'affranchir des diktats de leur temps ou de leur communauté pour vivre libres, exprimant une façon de penser dissidente, marginale, deviennent ainsi « Hérétiques ».
Mario Conde, cet ancien policier cubain pure souche reconverti en acheteur de livres anciens va nous guider parmi ces amoureux de la liberté, en se lançant sur la piste d'un mystérieux tableau de Rembrandt, disparu dans le port de la Havane en 1939 et retrouvé comme par magie des décennies plus tard dans une vente aux enchères à Londres. Ce portrait d'un jeune juif ressemblant au Christ est le véritable fil rouge de l'histoire.
Hérétiques de Leonardo Padura est une véritable épopée dédiée à La Havane. Il est aussi un formidable roman d'aventures dans lequel l'enquête policière avec le destin énigmatique de ce tableau peint par le Maître a une place de choix et il est surtout un bel essai sur le libre arbitre, abordant maintes pistes de réflexion sur le combat à mener pour vivre libre.
Ce roman très dense, véritable fresque foisonnant d'informations m'a emportée de Cuba, à Amsterdam et même en Pologne pour mon plus grand plaisir, même si j'ai pu être lassée parfois par quelques longueurs. Mais le personnage fétiche de Padura, cet ex-policier, avec sa compagne Tamara, ses copains chaleureux et accueillants, toujours prêts à trinquer avec une bonne bouteille de rhum et surtout ses talents de fin limier m'ont fait passer d'excellents moments de lecture tout en tutoyant la grande histoire.
La condition des Juifs, la vie cubaine avec l'ère Batista, puis la révolution et le régime castriste, la jeunesse d'aujourd'hui qui tend à se marginaliser, la peinture hollandaise au XVIIe siècle, tels sont les thèmes évoqués dans ce richissime bouquin, le tout sous-tendu par cette quête de liberté si justement exprimée par Elías à son grand-père, au haham Ben Israël et à Rembrandt : « Vous m'avez appris qu'être un homme libre c'est plus que vivre dans un lieu où on proclame la liberté. Vous m'avez appris qu'être libre, c'est une bataille qu'il faut livrer tous les jours, contre tous les pouvoirs, contre toutes les peurs. »
Polar, roman historique, essai philosophique sur le libre arbitre, Hérétiques de Leonardo Padura (Retour à Ithaque, La transparence du temps, Poussière dans le vent, L'homme qui aimait les chiens) est un roman passionnant et enrichissant où fiction et réalité se mêlent avec brio !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Hérétiques est plus qu'un roman, Hérétiques se divise en trois livres et se termine par une Genèse. Les trois livres portent les prénoms de DANIEL, ELÍAS et JUDITH, personnages bibliques hébraïques.
J'imaginais que Hérétiques avec le personnage de Mario Conde, ex-policier reconverti dans le commerce de livres anciens et détective à ses heures était un roman dans la lignée de Brumes du passé que j'avais apprécié. Erreur, si Mario Conde fidèle à lui-même, un homme sensible, humain, analyste, qui va au fond des choses, occupe une place de choix dans une grande partie du roman, il est absent du second livre, livre de ELÍAS, partie historique consacrée au peintre Rembrandt et son époque. Pour ce qui est du troisième livre, le livre de JUDITH, Mario Conde découvre une jeunesse cubaine qui se marginalise, divisée en tribus, emo, freaks, rockeurs ... tous voulant afficher leur non-conformisme et leur liberté. Conde recherche une jeune fille émo disparue ...
Leonardo Padura, fidèle à lui-même, raconte Cuba et La Havane personnage principal de ses livres et raconte, dans le livre de ELÍAS qui se déroule dans les années 1643-1645 à Amsterdam, la Nouvelle Jérusalem, une partie de l'histoire des Juifs, de leurs persécutions, l'atelier de Rembrandt et l'évolution d'un de ses élèves, juif qui brave sa religion lui interdisant la peinture, pour revenir à La Havane en 2008 dans le livre de JUDITH.
Hérétiques est un roman magistral !
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Autant le dire tout de suite, on a affaire ici à un roman très dense et on comprend qu'il ait fallu plus de trois ans à Leonardo Padura pour nous produire cet opus de 603 pages (qui sont bien remplies...).
Je l'avais découvert avec «Les brumes du passé» et enchainé avec «Mort d'un chinois à la Havane». Je ne suis pas déçue d'avoir pris un peu de temps pour lire «Hérétiques».
Pour ceux qui ne connaissent pas Padura, le héros, Conde, est récurrent: c'est un ancien flic, aujourd'hui la cinquantaine, devenu revendeur de livres anciens que certains cubains désargentés sont contraints de vendre.
Dans les aventures qui nous intéressent ici, il va rencontrer un homme américain, Elias Kaminsky, peintre de son état, dont le père, Daniel Kaminsky était arrivé enfant en 39 à la Havane pour la fuir vingt ans plus tard. Il avait débarqué seul et avait été accueilli par un oncle.
Le reste de sa famille juive devait le rejoindre avec pour monnaie d'échange si nécessaire pour soudoyer les autorités cubaines, un tableau de Rembrandt (dans la famille depuis trois siècles).
Seulement voilà, le petit Daniel Kaminsky verra depuis le port le bateau Saint Louis à bord duquel se trouvent ses parents et sa petite soeur, quitter les eaux cubaines le 1er juin 1939 après six jours interminables d'attente et de palabres avec les autorités. Ce bateau qui n'avait pratiquement à son bord que des juifs fuyant l'Europe sera aussi refusé par les Etats-Unis et retournera en Europe où l'on sait le sort qui fut réservé à ses passagers...(le fait est véridique).
Bref, Elias Kaminsky voudrait bien savoir, avec l'aide de notre héros Conde, ce qui s'est passé et pourquoi aujourd'hui le tableau de Rembrandt se retrouve en vente à Londres.
Le roman est constitué de trois «livres» et d'une genèse en toute fin (références bibliques obligent).
Le premier, «livre de Daniel» prend place à la Havane de 1939 à 1959 (comme toujours ville-personnage à part entière chez Padura), le Miami de la communauté cubaine exilée dans les années 60 et enfin en 2007, année où se situe «l'enquête».
Le second, «livre d'Elias» se situe entre 1643 et 1647 à Amsterdam (appelée la Nouvelle Jerusalem par les juifs ayant fui l'inquisition qui y trouvèrent refuge et liberté). On suit un jeune juif, Elias Ambrosius, fervent admirateur du Maître Rembrandt, qui souhaite devenir peintre malgré le fait que la pratique soit interdite par «le deuxième commandement de la Loi sacrée» car source d'idolâtrie et qui risque le bannissement par sa communauté s'il enfreint la règle.
Enfin, dans le dernier livre, «livre de Judith», on retrouve Conde chargé d'enquêter sur la disparition d'une adolescente à la Havane en 2008.
Bien entendu, tout est lié...Et la genèse de la fin (bel oxymore...) du livre nous donne aussi quelques clés sur l'histoire du fameux tableau disparu et surtout sur le massacre des juifs perpétré en Pologne dans les années 1650.

Le propos du livre est centré sur l'exercice du libre-arbitre de chacun des principaux personnages qui ont à faire des choix qui peuvent aller à l'encontre de leurs communautés.
J'ai préféré les deux premières parties à la troisième bien que cette dernière dépeigne certainement avec beaucoup de justesse le désenchantement d'une partie de la jeunesse cubaine actuelle mais je l'ai trouvé un peu long.
Le personnage de Conde est définitivement attachant (vieux garçon et compagnon d'un chien plutôt repoussant), aimant partager des moments (toujours bien arrosés) avec ses vieux amis et amoureux de sa Tamara avec laquelle il hésite désormais à se marier.
Le talent de Padura tient dans le fait que certes, l'écriture est assez exigeante, avec parfois de longues phrases (mais avec quel talent!... et bravo au passage à la traductrice) et de la réflexion mais qu'il sait aussi faire part de beaucoup d'ironie et de tendresse en particulier lorsqu'il évoque Conde et ses relations amicales et amoureuses. Les différentes atmosphères sont très bien restituées.
La partie sur Amsterdam est vraiment passionnante et si vous avez eu l'occasion de visiter la maison de Rembrandt, vous pourrez «visualiser» un certain nombre de scènes ce qui est toujours intéressant.
Le livre est émaillé de références à des enquêtes passés (les titres des romans sont indiqués) mais ça ne gêne en rien la lecture si on ne les a pas lus.
Je conseillerasi peut-être cependant de commencer plutôt par «les Brumes du passé» qui est plus court et et si cela vous plait, d'enchainer sur ce brillant ouvrage.


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Troisième Leonardo Padura à mon actif !

Une somme- trois livres en un, en fait, comme l'ont déjà dit maintes critiques avant moi.

Un peu longuet, malgré l'intérêt évident des périodes évoquées, très « politiques » , très « historiques » comme toujours chez Padura.

Plus de 600 pages, donc , qui baladent le lecteur de la Havane à la fin des années 30 à Miami à la fin des années 50, d'Amsterdam au milieu du XVIIème siècle à La Havane en 2009, pour se terminer par une Genèse qui est aussi une sorte d'Apocalypse- en Pologne, au moment des pogromes de Chemiel le Cosaque…

Un peu pesant aussi, car, pour assurer la lisibilité du lien qui relie les trois livres de cette double enquête, Padura s'étend parfois laborieusement sur ce qui les rapproche.

A savoir, cette hérésie-du grec airèsis, le choix- qui relie les trois livres et leurs trois héros éponymes-Daniel, Elias, Judith- : hérésie morale et religieuse pour Daniel, hérésie religieuse et artistique pour Elias, hérésie sociétale et philosophique pour Judith.

Des longueurs et des pesanteurs, donc, mais néanmoins un livre instructif et fascinant : en dépit des dictatures, des persécutions, des intolérances exogènes ou endogènes, en dépit des déterminismes sociaux ou familiaux, en dépit des règles et des lois, Padura proclame hautement la primauté du choix, de la liberté individuelle, celle de la VIE qui doit toujours l'emporter sur tous les carcans , toutes les pressions, toutes les pesanteurs de la société ou de la religion.

Et notre Conde avec son chien foutraque et puant, ses potes improbables, sa compagne libre et sensuelle, son goût immodéré pour le rhum et les grandes bouffes amicales et surtout son indépendance viscérale est certainement le meilleur ex-flic pour dénouer les fils embrouillés de cette intrigue tissée autour d'un tableau de Rembrandt, qui, venu à La Havane depuis l'Allemagne nazie, sur le paquebot Saint Louis de honteuse mémoire, échoue dans une vente publique de Londres, déclenchant questions, morts et remords…

La Havane est comme toujours un des « personnages » les plus vivants ( d'une partie ) de cette trilogie. On la retrouve comme on retrouverait une vieille amie un peu usée par la vie, le rhum et les désillusions.

Surtout on apprend mille choses sur la diaspora juive à Cuba et Miami, au temps du nazisme ou de la dictature de Batista, puis au temps de la révolution castriste, ou encore à Amsterdam, cette « Nouvelle Jérusalem » du XVIIème siècle, fragile îlot de tolérance dans une Europe où l'Inquisition sévissait sur les juifs sépharades et les terribles pogromes des Cosaques sur les juifs ashkénazes…

Autre délice aussi, pour moi : visiter l'atelier de Rembrandt, écouter ses secrets, admirer sa « manière » si novatrice, si « hérétique » elle aussi !

Au final, donc, un bilan mitigé : une lecture de l'auteur cubain moins enthousiaste, un peu plus poussive, parfois, que les précédentes, mais un apport historique, culturel immense, et une très grande richesse de contenu !
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J'ai beaucoup d'éloges à écrire à propos du roman Hérétiques, de Leonardo Padura. Beaucoup d'éloges, oui, même si quelques détails m'ont agacé. Des trois parties, le premier livre commence par une enquête policière avec Mario Condé, un ancien policier converti en libraire (mettons !) mais aussi détective privé à ses heures. Il se voit confier une affaire par Elias Kaminsky, le fils d'une vieille connaissance. Une peinture de Rembrandt qui appartenait depuis des siècles à la famille mais qu'on croyait perdue a refait surface dans un encan à Londres. Qui l'a dérobé ? Oui, bien sur, mais surtout comment ? Car le sort du tableau est lié à celui, tragique, de la famille Kaminsky.

En effet, Daniel Kaminsky, le père d'Elias, était un juif originaire de Pologne. Sa famille l'a envoyé à Cuba, où l'oncle Joseph habitait déjà, et espérait l'y rejoindre rapidement. Elle pensa y parvenir à la fin 1938 quand elle acheta avec ses dernières économies un billet sur le navire St-Louis. Il ne lui restait comme seule possession que le fameux tableau Malheureusement, des intrigues politiques mirent fin à leur espoir : on refusa l'asile aux centaines de réfugiés et le navire dut rebrousser chemin sous le regard impuissant de Daniel. La famille Kaminsky (le père, la mère et la soeur Judith) fut prise dans la tourmente de la Seconde guerre mondiale et de l'Holocauste. Mais qu'est-il advenu du tableau dans tout ça ? Comment s'est-il retrouvé à Londres ?

Cette histoire était très intrigante. En tant que lecteur, on est pris entre ces deux époques. Mario Condé qui mène ses recherches à notre époque, mais aussi Daniel Kaminsky qui essaie de survivre dans les années 30 et 40, qui est témoin de l'arrivée du St-Louis dans le port de LaHavane mais aussi de son renvoi. Padura a un don certain pour ce qui est d'intégrer la petite histoire des personnages à la grande Histoire de l'humanité. J'y ai cru, à ce jeune juif et à son oncle Joseph, à leurs déboires mais surtout à leur ingéniosité et à leur débrouillardise pour se créer leur petit monde dans ce grand monde presque hostile qui les entourait.

Puis, dans le deuxième livre, on est transporté plus de trois cents ans en arrière, à l'époque de Rembrandt. On comprendra assez facilement que cette partie du roman racontera comment le fameux tableau du maitre peintre s'est retrouvé entre les mains de la famille Kaminsky. J'ai trouvé ce passage très instructif. J'ai appris beaucoup de choses sur les Pays-Bas, Amsterdam, le protestantisme mais aussi sur le judaïsme et les communautés juives, sur leur sort dans une Europe en pleine guerre de religion et de bouleversements multiples. Évidemment, Padura s'est beaucoup documenté et son roman est une preuve de sa grande érudition.

Puis, avec le troisième livre, on revient à nouveau à notre époque. Mais, cette fois-ci, Mario Condé est supplié par la jeune Yadine (qu'il avait croisé par hasard lors de son enquête) de retrouver son amie disparue. Cette jeune fille a vu le détective en action et, devant l'inaction de la polcie, elle croit qu'il pourra faire quelque chose. Une autre trame à une histoire déjà longue et inutilement compliquée ? J'ai compris assez vite qu'elle n'y avait pas été intégrée sans raison, qu'un lien quelconque allait la rattacher aux autres livres, soit le sort du fameux tableau. Mais, rendu à près de 500 pages, même si l'intrigue est intéressante, on a hâte d'en arriver au dénouement. Au moins, il nous présente un LaHavane différent, celui des émos, des gothiques, des laissés-pour-compte.

La principale critique que j'ai à formuler à propos d'Hérétiques : un peu trop long ! C'est ce qui m'empêche de lui donner 5 étoiles. Mais j'ai tout de même passé un excellent moment à lire ce roman. On a plus qu'une seule intrigue policière et c'est probablement ce qui m'incitera à vouloir le relire dans quelques années.
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critiques presse (1)
Telerama
17 septembre 2014
Roman flamboyant, Hérétiques est une épopée dédiée à cette cité, où un tableau du xviie siècle fait résonner d'éternelles révoltes...
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (150) Voir plus Ajouter une citation
Durant la saison de base-ball de l'hiver 1953 - 1954, le grand Orestes Miñoso , "la comète cubaine", l'âme de l'équipe de Marianao de la ligue professionnelle de l'île et aussi, à l'époque, des White-Sox de Chicago dans les grandes ligues nord-américaines, frappa le plus long coup jamais réalisé dans le Grand Stade de La Havane, construit quelques années auparavant. Le lanceur de l'équipe adverse était l'Américain Glenn Elliot, au service, cette saison là, du puissant club Almendares, et ce que Miñoso lui lâcha suivit une trajectoire extraordinaire, passa très au-dessus de la limite du champ centre, un coup de batte inhumain dans lequel ce Noir de cinq pieds dix pouces de muscles compacts avait mis toute sa force et son incroyable talent pour frapper la balle, avec la beauté et la perfection de ses swings terrifiants. Les arbitres de la ligue essayèrent de mesurer les dimensions de la connexion mais se lassèrent de compter en arrivant à cinq cents pieds du marbre. En souvenir de cette prouesse, à l'endroit survolé par la balle, un panneau fut placé indiquant : Miñoso est passé par ici. A partir de la saison suivante, quand la star de Marianao s'approchait de la boîte du frappeur, les haut-parleurs du plus grand sanctuaire du base-ball cubain diffusaient les accords du cha-cha-cha enregistré en son honneur par l'orchestre América dont le refrain le plus populaire disait : "Quand Miñoso frappe pour de bon, la balle dans le cha-cha-cha."
En ce jour historique, dont les amateurs de base-ball parleraient pendant des années, le Polonais Daniel Kaminsky et ses amis Pepe Manuel et Roberto étaient trois des dix-huit mille deux cent trente-six supporters qui occupaient les gradins du Grand Stade pour assister au match entre les redoutables Scorpions de l'Almendares et les Tigres de Marianao , modestes mais bien entraînés. Et comme presque tous ces heureux fanatiques, Daniel et ses amis se souviendraient pour le restant de leurs jours - nombreux pour certains : bien peu, en vérité pour l'un d'entre eux - du coup de batte de cet ange noir, né à Matanzas, descendant d'esclaves amenés du Calabar Nigerian.
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Vers la fin des années 1980, quelques mois après avoir subi l'opération réussie d'un cancer de la prostate, Daniel, poussé par cet avertissement de la mort et tout juste rétabli, surprit sa famille en prenant la décision de se rendre à Cracovie où il n'avait jamais voulu retourner. De plus, contre toute attente, Daniel Kaminsky choisit de faire ce voyage de retour aux sources, comme l'appelaient les juifs ashkénazes du monde entier, seul, sans sa femme ni son fils. A son retour de Pologne, où il passa une vingtaine de jours, l'homme, plutôt loquace en général, fit à peine quelques commentaires d'ordre général et très superficiels sur son périple vers son lieu de naissance : la beauté de la place médiévale de la ville et l'impressionnante mémoire vive de l'horreur synthétisée par Auschwitz-Birkenau, la visite du ghetto où les juifs avaient été confinés, l'impossibilité de retrouver la maison qui aurait pu être la sienne dans le quartier Kasimir, la visite de la Nouvelle Synagogue avec ses candélabres sans bougies, funèbre dans la solitude d'un pays encore dépeuplé de ses juifs et malade d'antisémitisme. Mais le choc des retrouvailles avec le cordon ombilical de son passé que pendant des années il avait tenté de couper dont il semblait même avoir réussi à se libérer depuis longtemps, avait ébranlé les recoins les plus sombres de sa conscience. Quelques mois plus tard, il rédigea enfin cette confession inattendue.

page 101
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Ou alors, il est aussi possible que les juifs aient voulu ressembler aux Allemands pour se débarrasser de l'image du commerçant ventru, économe, mesquin, comptant ses sous, et être ainsi accepté par les Allemands... Ce n'est pas un hasard si beaucoup de juifs se sont assimilés totalement, ou presque, et certains en sont mêmes venus à détester le judaïsme, comme Marx, un juif qui haïssait les juifs... Ce qui est terrible, selon l'auteur de ces jugements si inquiétants, c'est que, pourtant, le rêve des Allemands était juste l'opposé : ressembler pour l'essentiel aux juifs, c'est-à-dire, être de sang et d'esprit purs comm elles juifs disaient l'être, se sentir supérieurs, comme les juifs de par leur condition de peuple élu de Dieu, être fidèles è une Loi millénaire, être un peuple, un Volk, comme disaient les nationaux-socialistes et, en possédant toutes ces caractéristiques merveilleuses, devenir indestructibles, comme les juifs avaient toujours survécu, bien qu'ils n'aient pas de patrie et qu'ils aient été mille fois menacés d'extinction. En résumé : être différents, uniques, singuliers, grâce à la protection divine.
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Car cette nuit-là, comme il l'expliquerait plus tard à son fils, Daniel sentait frémir, enfouis dans les profondeurs de son âme, les mécanismes d'une origine primitive , ceux du juif irréductible qui se rebellait contre la soumission, le nomade du désert, vengeur, qui faisait fi de toute retenue et encore plus de l'incitation absurde à tendre l'autre joue, un principe qu'ignoraient ceux de sa lignée millénaire. Non, confronté à une chose pareille, non : Daniel se sentait plus proche de la juive Judith, la dague à la main, tranchant sans pitié la gorge d'Holopherne. Et Roman Mejias était devenu son Holopherne.

"Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, coup pour coup" avait décrété la voix du ciel.
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Pendant qu’il se débarrassait de la sueur et des chaleurs de la journée, tout en imaginant lui donner une conclusion sexuelle satisfaisante, Mario Conde pensa qu’en vérité il pouvait considérer qu’il avait beaucoup de chance : des milliers de choses lui manquaient, le monde entier partait en couilles, mais il possédait encore quatre trésors qu’il pouvait considérer, dans leur magnifique conjonction, comme les meilleures récompenses que lui avaient données la vie. Parce qu’il avait de bons livres à lire ; un chien fou et voyou à soigner ; des amis à emmerder, à embrasser, avec lesquels il pouvait se saouler et se lâcher en évoquant les souvenirs d’autres temps qui, sous l’effet bénéfique de la distance, semblaient meilleurs ; et une femme à aimer qui, s’il ne se trompait pas trop, l’aimait également. Il jouissait de tout cela — et même maintenant d’une somme d’argent — dans un pays où bien des gens n’avaient presque rien ou sacrifiaient le peu qui leur restait : chaque jour, en travaillant au hasard des rues, il en rencontrait qui vendaient leurs livres dans l’espoir de sauver leurs estomacs, alors qu’ils avaient déjà perdu jusqu’à leurs derniers rêves.
Selon sa coutume de loup solitaire, Conde suspendit dans la douche le slip qu’il venait de laver et récupéra celui qu’il y avait laissé la veille.
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