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Critique de Kirzy


C'est une affaire triste et banale. Une jeune fille de quinze ans a été assassinée, presque par malchance, elle rêvait de devenir institutrice. Issue de «  trois générations de gueux, trois générations de sans-grade, de laissés-pour-compte, de ces gens sans existence parce qu'ils n'avaient pas d'histoire, puisque aussi bien l'histoire n'avait pas eu la moindre raison d'en retenir le destin et les noms, le grand et triste charroi de l'humanité silencieuse, opiniâtre, de ce grand fleuve puissant et taciturne, sur lequel caracolait, futile et arrogante, l'écume grise et mousseuse des prédateurs, des possédants et des parvenus, ceux qui eux seuls comptaient pour de bon . »

Rien de somptueux ni de grandiloquent dans ce crime à élucider. Juste la banalité du crime. Une histoire de gueux, donc, qui ne suscite qu'un intérêt passager, sauf pour l'inspecteur Schneider qui lui éprouve une profonde tendresse pour ceux qui ne comptent pas. Magnifique personnage de flic qui va prendre de plein fouet la douleur d'un père. Atypique et excellent enquêteur qui se distingue par son refus de recourir à la brutalité de la meute policière. Esquinté par la guerre d'Algérie dont il revient couvert de médailles mais écoeuré par le napalm déversé sur des villages entiers de civils.

Hugues Pagan a l'art de la caractérisation . Ces personnages sont décrits superbement en quelques phrases qui disent tout de leur être sans nécessité d'user de psychologie lourdaude. Schneider bien sûr, mais surtout les femmes, à commencer par la journaliste Laura qui possède une épaisseur plutôt rare dans ce type de roman. Dans ce polar de traverse, tous évoluent dans un décor urbain très sombre, très nuiteux. Polar d'atmosphère de la morose France pompidolienne fin de règne où on craint une insurrection communiste et où les flics hésitent dans leur mission, justice ou ordre, peuple ou notables, dirigé par une hiérarchie composée d'anciens résistants comme d'ex-collabos.

Le roman réinterprète brillamment les standards du roman noir américain en y insufflant un désenchantement humaniste saisissant qui tire vers le politique. Pas de héros, pas de transcendance, pas d'horizon de rédemption, juste des personnages brûlés jusqu'à la consomption. Pourtant, jamais le roman ne sombre dans le nihilisme, la prose est celle d'un moraliste intransigeant qui a perdu ses illusions sur l'espèce humaine, tout sanglot rentré, mais ne veut négocier avec son idéalisme. Et quelle prose ! Hugues Pagan est un styliste, un vrai et son lyrisme mat emplit le lecteur de sensations et d'échos. Chaque page recèle des phrases qui laissent une empreinte puissante. J'ai juste été quelque peu décontenancée par l'épilogue qui rajoute une surcouche d'ultranoir et de fatalisme pessimiste.

Un roman noir majuscule à la hauteur des grands Hervé le Corre.
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