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Critique de LaBiblidOnee


Pour mon premier Pagan, j'ai choisi ce roman policier sombre ayant pour héros Schneider, un flic taiseux mal remis de la guerre d'Algérie, qui finira par être attachant bien qu'à la limite du cliché au départ. La plume décapante, incisive et non dépourvue d'un cynisme désabusé lui colle assez bien à la peau. Semblant s'accorder à sa personnalité et son humeur, elle déploiera une forme de poésie pour décrire l'ambiance nocturne de la ville froide et humide, tandis qu'elle brossera les portraits d'hommes et de femmes à coups de truelle parfois moqueurs et souvent peu flatteurs. Mais ils n'en ressortent que plus vrais, réalistes, palpables. Comme dans certaines vieilles séries policières, l'ensemble est éclairé d'une lumière crue qui montre les personnages sans fard, dévoilant l'humanité cachée des uns comme les vices les plus secrets des autres.


Et du vice il y en a. Ambiance : entre les femmes libérées et les hommes colériques, une fillette sans histoire vient d'être retrouvée violée puis tuée en rentrant de la bibliothèque ; Durant l'enquête, notre flic ne cesse de se faire draguer en fumant devant ses martini-gin, le Dieu du Bunker (commissariat) pique des colères dont tout le monde se fout, les gardiens de la paix sont des ripoux violents (« quelques uns avaient sévi sous l'Occupation »)… Et puis, il y a l'agitation des jours d'astreinte, le tout arrosé de dialogues humoristiques ficelés par un sens de la formule jubilatoire.


« Visiblement, il grattait son esprit à s'en casser les ongles, à la recherche de quelque chose qu'il ne trouva pas (…) »


Il a été fait appel à l'auteur pour remettre au goût du jour les séries policières des années 90, leur apporter du réalisme. C'est ce que l'on trouvera également dans ce roman, où le jargon policier côtoie la sensibilité de l'âme humaine sous une carapace bien trempée. Ici pas de grande cascade ni de scénario spectacle, mais le ronronnement bien rythmé de la vie du commissariat avec ses différentes phases d'enquête. le réalisme vient notamment du fait que l'agitation du commissariat dépeint parfaitement l'interdépendance permanente entre les vies des personnages (victime ou coupable, personnages principaux ou secondaires), la personnalité de chaque flic, les contraintes du métier, la vie quotidienne de la ville, les relations entre les individus au travail ou durant les sorties (magistrats, presse…), la vie privée et la vie professionnelle, etc…


« D'emblée, il se sentait rebuté par ce qu'il n'allait pas manquer de devoir apprendre, les sordides et douloureux détails de la mort d'une petite gosse qui avait ses règles et ne demandait qu'à vivre. Une chose est de savoir dans les grandes lignes, autre chose de se pencher sur chaque instant, sur chaque mouvement, sur chaque bulle de souffrance, avant le noir. Il n'ignorait pas que les flics de la Criminelle ne sauvent jamais personne. Il savait qu'ils ne faisaient que regarder passer les trains. » 


Réalisme oblige, ce n'est pas une seule enquête mais plusieurs affaires et dossiers qui occupent nos protagonistes, et contribuent à tisser la toile de fond de ce qui ressemble à la vraie vie. Les personnages démêlent noeud après noeud, le plus rapidement possible car, en cas de disparition ou de meurtre, les 48 premières heures sont déterminantes pour le succès de l'enquête. Pour autant, on ressent autant les temps forts que les temps morts de l'enquête, que l'auteur n'occulte pas et qui permettent recul, réflexion, et concentration sur d'autres parties de l'histoire. J'ai parfois regretté que Schneider ne m'ait pas été beaucoup plus accessible qu'il ne l'est à ceux qui ne le côtoient que de l'extérieur. J'attends toujours de la littérature qu'elle me fasse entrer dans ses personnages et là, le flic est tellement dans son rôle blindé, frôlant la caricature, qu'il ne m'a pas laissé assez pénétrer son intimité pour m'attacher totalement… jusqu'au dernier quart du roman, où l'intensité reprend un peu ses droits dans l'action et dans le personnage.


« Ainsi un inconnu se dissimulait-il quelque part derrière l'apparence du flic impassible, dur, efficace et sans état d'âme, derrière celle de l'amant impétueux, derrière celle du pianiste de blues, derrière ces yeux gris, ces manières insolentes et sarcastique, ce curieux rictus qui ne l'embellissait pas. Un inconnu dont elle avait eu la brusque certitude qu'elle ne saurait jamais rien. Pour toujours Schneider resterait pour elle ce qu'il était déjà. Un fantôme. »


Au total, « Le Carré des indigents » est construit comme les enquêtes de Schneider : « Rien qu'une mécanique bien huilée. Brique par brique, centimètre par centimètre, acte par acte, Schneider fermait chaque porte l'une après l'autre, construisait chaque procédure de manière méthodique, systématique, implacable. » Un roman policier à l'ancienne non dépourvu d'une certaine modernité, dont le réalisme ne s'affranchit pas d'un humour bienvenu et d'une poésie sous jacente, à fleur de plume, relayant opportunément un cynisme désabusé très prononcé - combinaison probable du métier et de l'époque - qui en fait le charme désuet.


J'ai beaucoup aimé la préface en miroir de Michel Embareck, très éclairante et percutante, laissant penser que l'auteur a mis beaucoup de lui dans son héros.


« Il y a toujours plusieurs versions des faits. Et puis il y a la vérité. »
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