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EAN : 9782226041302
280 pages
Albin Michel (26/04/1990)
3.76/5   17 notes
Résumé :
Savoir quand on a commencé à glisser, pourquoi ?... Comment on a fini par s'y mettre pour de bon ?... Allez savoir. Comme si on savait jamais au juste le fond des choses et de soi-même. Pour moi, je dirais la nuit de la femme sans tête. Pas vraisment sans tête, du reste, puisqu'elle l'avait bien perdue mais qu'on l'avait retrouvée. On retrouve presque tout lorsqu'on se donne la peine de chercher... De là à dire que c'est réellement ce qu'on cherchait ou que ça fait ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Paru en 1990, « L'étage des morts » est un roman noir, très noir, comme tous les romans de son auteur, Hugues Pagan, ancien flic au style aussi soigné qu'inimitable. le célèbre éditeur Bernard de Fallois écrivait : « La supériorité de Proust sur la plupart de ceux qui le précèdent vient de ce que ceux-ci, écrivant plusieurs livres, font toujours le même sans le savoir, alors que Proust lui, le sachant n'en a jamais écrit qu'un ». S'il n'est évidemment pas question de comparer Pagan à Proust, force est de constater que Pagan écrit lui-aussi toujours le même livre, et qu'il en est probablement tout à fait conscient.

« Le carré des indigents », dernier-né de la série consacrée à l'inspecteur Schneider a rappelé à ceux qui auraient pu l'oublier, les qualités de l'auteur : la finesse du style, le réalisme saisissant de l'intrigue, un amour indéfectible pour le jazz et enfin cette faculté rare de restituer le contexte social dans lequel évolue son héros, qui évoque les grands auteurs américains du roman noir, James Ellroy, Lawrence Block, ou même Ross McDonald.

A l'instar de « Dernière station avant l'autoroute », probablement le chef d'oeuvre de l'auteur, « L'étage des morts » a pour héros un chef de groupe dont l'équipe travaille de nuit, qui n'est jamais nommé et ressemble étrangement à Schneider. Comme le héros récurrent de Pagan, il a perdu très jeune ses illusions lors de sa participation à la guerre d'Algérie, fume des Camel sans filtre à la chaîne, écoute du blues des années quarante comme d'aucuns écoutent des chants grégoriens, boit des litres de café, ne dit jamais non à godet de bourbon, et porte un regard désenchanté sur ses contemporains.

Au fond, cet inspecteur qui voyage seul au bout de la nuit, évoque un Claude Schneider usé par les années, les crimes atroces jamais résolus, la corruption omniprésente : un baltringue qui n'a plus rien à perdre parce qu'il a déjà tout perdu, un homme encore en vie même s'il est déjà mort.

« L'argent avait la couleur de nos rêves. Je suis resté un bon moment à regarder les façades et les toits et le ciel laiteux qui n'avait rien à m'apprendre. J'avais glissé mon colt dans ma ceinture, dans le dos. Moi non plus, je n'étais pas innocent - personne n'est innocent. Seulement moi, je n'avais plus de rêves. C'est à cela qu'on reconnaît les morts ».

L'intrigue dessinée par Pagan se déroule à Paris, à la fin des années quatre-vingts, un temps où le Sida rodait dans la nuit, où les voyous paradaient en BMW et où le fric déjà était roi. Un temps à la fois proche et lointain, sans internet, ni téléphones portables, où le héros croise dans l'aube grisâtre d'un troquet parisien une vieille qui « s'arquebuse au petit blanc dès huit heures ».

L'auteur prend le temps de poser le décor. Et le décor c'est la nuit parisienne, ses putes, ses camés, ses petits branleurs qui font la course sur le périph dans leurs caisses trafiquées, ses braqueurs à la petite semaine qui se font parfois arraisonner par un commerçant de mauvais poil. C'est dans ces dédales interlopes qu'il connaît trop bien, que dérive un flic trop maigre et trop intègre, à qui l'on a tout pris. Notre homme n'est pas hanté par les quelques biens que les huissiers ont emportés, lui laissant seulement sa guitare, son ampli à lampe ainsi qu'une imposante collection de vinyles de blues. Non, il est hanté par la perte de celle qu'il a cru aimer pour de vrai, la plantureuse Calhoune, qui a pris du galon et épousé un homme fortuné. Il noie son chagrin dans le Jack Daniels et dans les bras de sa voisine, la belle Farida, prostituée de son métier.

Notre homme est sur la corde raide, à grand renfort d'innombrables cigarettes et de litres de café, il fait son boulot de flic, et plutôt pas trop mal. Et pourtant. Il n'est pas dupe. Il marche sur un fil. « La femme sans tête », une jeune prostituée qui perd sa tête, sectionnée par la bordure du périphérique suite à une course qui tourne à l'accident sera sans doute le drame de trop. S'en suivra une prise d'otage qui manque de finir en carnage, où la violence mêlant courage et folie dont il fait preuve, achève de mettre sa carrière sur la sellette.

L'essentiel se joue ailleurs. Chez les puissants qui tirent les ficelles. le chef de groupe désabusé ne le sait que trop bien. Il se débat avec l'écume du mal, un mal qui vient de profondeurs que même lui ne soupçonne pas. La mise change de dimension lorsque son ami de jeunesse, Franck, avec qui il fait l'Algérie, devenu flic lui-aussi, vient lui proposer de participer à un gros coup, un très gros coup, évidemment illégal.

« L'étage des morts » est un voyage au coeur des ténèbres, un voyage au bout de la nuit aussi, un cauchemar éveillé dans lequel se débat un homme qui a honte de la légion d'honneur qu'on lui a remise pour ses faits d'armes dans une sale guerre qui l'a abîmé à tout jamais. Hugues Pagan nous y dessine avec une improbable délicatesse une nuit parisienne qui ressemble à un tableau que n'aurait pas renié Jérôme Bosch, qui tel un écrin serti de billets verts, sera le décor d'une intrigue qui fera tomber les masques.

« L'étage des morts » a l'amertume du mauvais café, de la cigarette de trop, de ces petits matins blanchâtres et incertains. Il a surtout ce goût métallique et froid de la lente dérive d'un homme qui pense avoir tout perdu et découvre avec effarement que le pire est sans doute à venir.
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Comme un tableau de Soulages, L'Etage des Morts est peint par superpositions de couches épaisses de noir.
Dans ce polar noir, qui fait penser à du Ellroy remixé par Manchette, Hugues Pagan nous décrit la descente aux enfers d'un divisionnaire désabusé et cabossé par la vie. Diplômé en sociologie, psychologie et philosophie, ancien prof de philo, ancien inspecteur de police, Pagan sait de quoi il parle et possède les mots pour le dire. Démissionnaire de son poste d'inspecteur après 25 années de loyaux services, il est suffisamment expérimenté pour nous décrire les réalités sordides du fonctionnement de la police. Difficile de faire plus désespéré que ce héros solitaire en chute libre, un homme qui fait violemment penser au "Kaplan" de la série TV "Braquo". La série doit beaucoup à l'univers de Pagan et surtout à ce livre présent. Olivier Marchal a dû lire ce livre ! Si vous avez aimé Braquo, si vous aimez les cowboys solitaires, Ellroy, Manchette, vous allez adorer "L'Etage des Morts" !
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Le blues donne sa couleur à ce roman avec un personnage de flic désabusé, ancien guitariste, face à un monde qui semble bien pourri. Il ressasse, dans une existence qu'il traîne, sa vie passée et ses amitiés comme ses amours aux visages encore présents mais qu'il peine à reconnaître.
Ce flic qui travaille de nuit semble en partie retiré d'un monde qui l'a trahi mais envers qui il tente de rester fidèle.
L'écriture d'Hugues Pagan sert à merveille son intrigue comme son personnage principal.
Une plongée vers les enfers qui n'est pas sans accointances littéraires avec les oeuvres de David Peace ou Robin Cook (le britannique, il s'entend).
Adapté au cinéma sous le titre "Diamant 13" en 2009.
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Une chronique de Seb, sur Aire(s) Libre(s) :
« Dans le métro, je me suis passé les mains sur la figure, puis j'ai regardé mes doigts trembler. La rame cahotait vite et fort, à l'image de ma vie, en ferraillant. J'ai regardé ma figure dans la vitre sombre. Elle ne m'a pas plus enthousiasmé que d'habitude. C'était bel et bien une sale tronche de gouape taillée à la serpe, et de gouape qui ne mange pas tous les jours à sa faim. On ne voyait pas les yeux où s'étaient peut-être réfugiée un peu de vie et c'était tant mieux. L'avidité, ça reste longtemps après la mort. »

L'histoire est celle d'un inspecteur divisionnaire déclassé parce que pas en odeur de sainteté. C'est le récit de sa descente aux enfers dans un monde qu'il ne reconnaît plus.

Ça fait un bail que je n'avais pas lu un roman de cette classe-là. Plusieurs fois au cours de ma lecture, je me suis arrêté pour relire un passage, des paragraphes entiers. La beauté singulière de la littérature noire, quand elle est à ce point élevée dans la grâce, ne peut pas s'user. Une fois le livre fini, je me suis interrogé. En effet, je n'en avais jamais entendu parler, alors j'ai fait mon flic, j'ai fouiné. Sur le net, évidemment. Ben il n'y a pas grand-chose. Presque pas de chroniques, presque rien. C'est pourtant du très haut de gamme. Bon, ce roman est paru en 1990, alors comme disait ma grand-mère « il a fait son temps », sauf qu'elle utilisait toujours cette formule laconique pour parler d'une personne dont on lui annonçait la mort. Mais les romans de ce tonneau ont la vie dure et le cuir épais, trente-quatre ans plus tard, il est toujours là, et peut-être que comme certains vins, il s'est bonifié, va savoir. Où alors c'est que le niveau a baissé et que L'étage des morts sort aujourd'hui du lot ; comme aime le dire Pagan, au royaume des aveugles les borgnes sont rois.

Dans ce roman très noir, on retrouve tout ce qui fait un livre de Hugues Pagan : la classe, une écriture soignée de chez soignée, un style désenchanté, je pourrais même dire désabusé, sauf que cela ne se traduit pas par un relâchement littéraire, bien au contraire. Plus je lis Pagan plus je me dis qu'il écrit comme il doit écouter de la musique, en lévitation, avec un coup d'avance, subtilement, agile, profond et un peu insaisissable. Plus je le lis et plus je suis accro.
La narration à la première personne du singulier nous plonge immédiatement en empathie avec cet inspecteur divisionnaire en pleine glissade, lente, très lente. L'atmosphère est énorme, cinématographique, mais le client est aussi scénariste, alors ça se voit, ça s'entend, ça se sent. Tout est à fleur de peau, le coeur de la ville palpite comme un coeur régulier et la nuit, si belle et profonde sous la plume de l'auteur, se déploie dans toute sa profondeur, vieux puits où les flics usés jettent leur blues, leur fatigue et leurs fantômes.

Mais Hugues Pagan sait se faire tireur d'élite quand il le faut, avec des phrases sèches, redoutables. Page 72 : le seul vrai permis de tuer, c'est le pognon qui le donne.
La suite, sur Aire(s) Libre(s) :
Lien : https://aireslibres.net/2024..
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Une histoire compliquée d'un vieux flic qui a fait l'Algérie, c'est dire si ça date. Il est né à Alger et a été intoxiqué à la violence et au blues. Dans une ère intoxiquée à l'impunité et à l'argent noir, le vieux flic va refuser les arrangements raisonnables et discrets. Les coups de calibre et la mise au parfum d'un procureur encore honnête vont faire du bruit et des allongés. Pagan réussit un polar réaliste et triste avec un ton mélancolique qui s'accorde bien à la musique.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Certains mots sont comme des balles perdues qui n'en finissent pas de ricocher avec leur terrible charge de mort.
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Si on avait mis ce qui me restait de cervelle dans la tête d'un corbeau, il aurait volé à reculons.
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La mort, comme certaines femmes et quelques hommes, ne veut pas de ceux qui l’aiment trop. 
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Les jeunes flics élégiaques me fatiguent, les autres aussi. D’un autre côté, je n’avais pas à faire la gueule et les bons coups n’étaient pas pour moi, et pas plus pour lui. On n’appelle pas les flics sur un bon coup. Vernes me fatiguait. Léon aussi et même la pluie qui nous faisait à tous un peu comme des larmes dans la lumière des phares entre les cils. Vernes a bougé la tête et s’y est pris avec son pantalon comme s’il se secouait la bite – mais il ne se la secouait pas – et lorsque Léon a fini par rejoindre, il m’a tendu la main et je l’ai serrée.
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Naturellement, Calhoune ne s’appelait pas Calhoune. Comme le reste du monde, elle avait un vrai nom et un prénom, même si on ne se les rappelait plus. Calhoune était grande, belle et prospère. Je l’avais connue moins luxueuse à ses débuts (avant que tout le monde finisse par l’appeler Calhoune), moins opulente et moins glacée, bien moins parfaite. Peut-être était-elle seulement plus jeune à l’époque. Jeune, tout le monde l’a été un jour ou l’autre. Peut-être.
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Videos de Hugues Pagan (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Hugues Pagan
Extrait du livre audio « le Carré des indigents » de Hugues Pagan lu par Cyril Romoli. Parution CD et numérique le 15 mars 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/le-carre-des-indigents-9791035410988/
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