L'écrivain et les abeilles
Le titre annonce déjà un surprenant programme dans lequel il est inutile (et vain) de distinguer le vrai du faux; car justement
Martin Page joue ici entre la vraie vie du dramaturge de l'absurde, sa part plus hypothétique et les doses de fiction qu'il peut à loisir (car c'est lui l'auteur après tout) injecter à son histoire. A
l'image d'un Samuel Becket envoyant dans ce court récit de fausses archives de son travail d'écrivain aux universités prestigieuses afin d'alimenter et de falsifier lui-même le mythe qu'il est devenu aux yeux des autres! Loin de
l'image souvent austère et sérieuse qu'on lui connait,
Martin Page offre un portrait plus atypique et donc plus attachant de cet auteur nobélisé (qui avait d'ailleurs refusé de se rendre à la cérémonie). Il porte ici des chemises à fleurs, porte les cheveux longs, boit du chocolat chaud, abhorre les banques, cuisine, manque de confiance en lui et possède des ruches... Car l'apiculteur c'est lui, c'est l'artiste, c'est celui qui crée: "Nous devons être à la hauteur des abeilles. Être des alchimistes et faire notre miel". L'alchimiste des mots transfigurant, immortalisant et parfois sublimant la réalité…
Dans un face à face avec un jeune doctorant l'aidant avec enthousiasme dans son archivage, Samuel Becket exprime ses réflexions sur la société, son oeuvre, le traitement médiatique, l'héritage qu'il laisse, son pessimisme, la finalité d'un texte et sa création par d'autres sur scène. Il y est question d'
En attendant Godot, sa pièce la plus connue et sans doute toujours la plus jouée de son oeuvre et de la tentative de mise en scène dans une prison jouée par des prisonniers. Un projet qui rend
Beckett perplexe...
Un texte qu'on lit rapidement, avec beaucoup de plaisir, et de facilité, mêlant habilement et comme un hommage joyeux, l'humour et le pessimisme beckettiens. Et on profite comme le narrateur de cette parenthèse heureuse et éclairante en
compagnie du grand
Samuel Beckett!