Tant il est irréfutable que la police est la vérité de l’État - comme la bavure est la vérité de la police. Du moins les maîtres-polémistes de la Guerre sociale, le journal de Gustave Hervé et de Miguel Almeyreda, qui eurent le courage d'exiger haut et fort la grâce de Liabeuf, en étaient-ils persuadés.
Et avec eux leur nombreux public, ce lectorat ouvrier turbulent dont l'imminent carnage sacrificiel de 1914-1918 et l'industrialisation à outrance n'avaient pas encore achevé la domestication.
Pourvu d'un sens de la dignité proche de l'obsession, il avait trouvé, non sans raison, que le chapeau de "souteneur" était bien lourd à porter, d'autant qu'il se flattait de n'avoir jamais mangé du "pain de fesse". Or l’État - ses policiers véreux et ses juges gavés - l'avait publiquement accablé d'une condamnation pour proxénétisme, le jetant quelques mois dans une cellule pour en accentuer l'opprobre.
L'action se déroule en 1910. Les principaux protagonistes en sont : des policiers de la brigade des "mœurs", que les scrupules n’étouffent pas; un ouvrier cordonnier un peu marginal ayant à se venger de ces derniers, qui l'ont sali et meurtri; deux "gagneuses" des quartiers populaires du vieux Paris; des magistrats forts vindicatifs, eux aussi; un président de la République tout en tartufferie; deux ou trois publicistes rêvant de tout foutre en l'air; et une émotion populaire qui éclate à la fin : l'émeute au pied rebelle, poussant avec la main les pauvres devant elle ..
Ce qui tient lieu de presse est libre d'attiser les haines stériles et d'exhorter à de vaines admirations, d'encenser la marchandise et de flatter les puissants - et d'exposer parfois les divergences qui opposent ces derniers entre eux ... On ne risque guère d'y lire que le geste d'un Liabeuf était non seulement compréhensible, justifié même, mais sublime, en ce qu'il répétait le bref dialogue entre certain policier et le cambrioleur anarchiste Duval :
-Au nom de la loi, je vous arrête !
-Au nom de la liberté, je te supprime ...
Je trouve que dans notre siècle d’aveulis et d’avachis, il a donné une belle leçon d’énergie, de persévérance et de courage à la foule des honnêtes gens. À nous-mêmes, révolutionnaires, il a donné un bel exemple. (Gustave Hervé)
Les prolétaires “conscients“ portent tous le noir du deuil ou de l’anarchie organisée, depuis qu’en mars 1883, le drapeau rouge étant banni en public, Louise Michel a hissé un jupon noir au bout d’un manche à balai au milieu d’un cortège de menuisiers en grève. Cette nuit-là, certains noctambules guillerets, carabins amateurs de farces macabres et dandys en goguette, apprendront à leur dépens que le peuple de Paris n’a pas pardonné à la bourgeoisie les massacres des versaillais.
Sous le regard inquiet des gardiens de la paix, les syndicalistes d’action directe côtoient les fortes têtes des bas-fonds, les partisans de La Guerre sociale se mêlent aux voyous récidivistes, les idéalistes “sans dieu ni maître“ fraternisent avec les tire-laine sans foi ni loi.