"Cigalon" est un enchantement, et notre ami BLaval de Loire-Atlantique nous l'a déjà envoyé dire mieux que quiconque... Voilà une pièce maîtresse méconnue de notre ami PAGNOL Marcel (1895-1974) - publiée et jouée pour le cinématographe (parlant) en 1935.
Ce bon Cigalon est un Maître. Un Maître ignoré de tous. Sauf de lui-même... Maître-Cuisinier qui "tient" une auberge mais préférerait jouer à huis clos. Il tient au moins à sélectionner "ses" candidats-clients : disons rapidement que les "touristes" (tristes oiseaux de passage) l'insupportent, les jobastres (ou autres cuistres) l'énervent prodigieusement, les gougnafiers (irrespectueux) lui donnent l'envie pressante de leur délivrer un (large, légitime & même définitif) coup de pied au gras de leur derrière... Sa philosophie de vie ? Etre ENFIN tranquille à langoureusement préparer et amoureusement déguster les fruits de son art exigeant : les plats cuisinés, c'est-à-dire créés par lui seul... Les céder à d'autres ? Sacrilège...
Bref, l'histoire est savoureuse, tendre, finement observée, "raimusienne" à souhait (Cigalon, en Ronchonchon de première classe) et l'on repense même au "bon" Oncle Baptiste du "Schpountz" incarné par Fernand Charpin (1887-1944), Grande Gueule, lui aussi, et aimable Donneur de leçons... Sauf que Môssieur Cigalon est du genre (intrinsèquement) "malaimââble".
Puisque tout comme Môssieur Irénée Fabre - ce neveu fada, dit "Le Schpountz" - , Cigalon a un Don... un Don de Dieu, d'évidence !
La passion, vous dis-je...
Cigalon a passé plus de trente ans à servir le meilleur à ses clients, à se saigner pour eux. Il s'est oublié. Et désormais, ça, c'est fini. Désormais, le restaurateur refuse de servir le peu de client qui pousse encore la porte de son établissement. A eux les conserves, à lui les bons petits plats en sauce. Les clients sont décontenancés et le village est circonspect ; ils n'ont plus de restaurateur à proprement parlé. La solution pourrait être qu'un autre restaurant ouvre. Oui mais voilà, Cigalon ne l'entend pas ainsi et ce n'est pas parce qui lui refuse de servir ses clients que les autres ont le droit de les lui prendre.
Pas aussi absurde que le Schpountz mais un peu fou tout de même, ce Cigalon est un personnage calibré pour le théâtre. Cette pièce est cocasse, les rebondissements s'enchaînent et les scènes décalées vont bon train. C'est assez drôle à lire.
Cigalon c'est une histoire, Cigalon c'est de la poésie, Cigalon c'était aussi une auberge (maintenant ça sert des burgers), Cigalon ça se lit avec l'accent (impossible de faire autrement, vous l'entendez rouler en lisant) ... histoire fétiche de Pagnol qui n'a pas eu de suite le succès qu'elle méritait, Cigalon se démarque par sa brièveté, son humour cocasse et parfois un peu rude, ses manières franches et agressives, ses gesticulations et ses crises ... c'est un livre du cru ... aussi agréable à lire que le film est agréable à voir (le vrai, hein ! avec Henri Poupon, Alida Rouffe et Arnaudy, malheureux ! le vrai ! Ne vous trompez pas !) ... Cigalon, unique et drôlatique ! Ne pas confondre !
Lorsque j'ai refermé ce livre le chant des cigales et l'accent du midi était encore présent dans ma tête. un air de vacances. Les personnages haut en couleur de ce livre donne envie de poursuivre avec d'autre lecture signée Marcel Pagnol.
Une belle réussite.
Ludovic : Et à cette occasion, j'ai dû promettre à toute la famille un gueuleton à se faire péter la ceinture. Et nous voici.
Cigalon : Vous voici en effet. Vous voilà.
Ludovic : Nous voici, nous voilà, nous voici là. ( Il rit de tout coeur. Cigalon le regarde avec un peu d'étonnement. Enfin Ludovic reprend sa respiration, tousse et parle gravement: ) Maintenant, dites-moi : que mange-t-on ici? Je veux dire en général? Une spécialité du pays?
Cigalon : Eh bien ici, c'est un pays de braconniers. Ce qu'on mange le plus, c'est du gibier.
Ludovic (intéressé) : Ah? Du gibier. Et quel gibier?
Cigalon : Eh bien, le meilleur, à mon avis, c'est les petits oiseaux : le cul-blanc ou le cul-rousset.
Ludovic (alléché) : Ah! Ah! Et comment les fait-on cuire?
Cigalon : Qui, on? Moi?
Ludovic : Oui, vous. Comment les faites-vous cuire?
Cigalon : Eh bien, moi, je les mets à la broche, bien habillés dans une platine de lard. J'arrange bien mon feu de sarments, je règle bien le tournebroche. Et alors, les petits oiseaux se mettent à fondre et le jus tombe sur des rôties. Des rôties bien épaisses de pain de campagne. Quand ils sont à point, je prends tous les foies, et avec ces foies écrasés, je beurre mes rôties. Et je sers avec une salade bien fraîche, un peu craquante, avec un tout petit goût d'ail, sur le côté, comme un plumet... Ca, c'est un régal !
Toute la famille commence à saliver. Mme Ludovic dit d'une voix émue :
Adèle : Ca me plait beaucoup...
Ludovic (radieux) : Ca va. Donc, nous mangeons des petits oiseaux.
Cigalon ; Vous en avez apporté?
Ludovic : Pas du tout.
Cigalon : Alors, où c'est que vous allez les prendre?
Ludovic : Eh bien , chez vous.
Cigalon : Chez moi? J'en ai pas.
Ludovic : Vous n'en avez pas?
Cigalon ( catégorique) : Pas une grive, pas un moineau, pas un zizi.
Ludovic (déçu et presque irrité) : Alors, pourquoi parlez-vous de petits oiseaux?
Cigalon : Mais moi je vous parle de rien ! C'est vous qui parlez ! C'est pas moi ! Moi, je réponds à vos questions, pas plus.
Adèle : Alors, qu'est-ce que nous allons manger?
Ludovic (perplexe) : Oui, qu'est-ce que nous allons manger?
Cigalon : Oui, qu'est-ce que vous allez mangez?
C'est dimanche, il fait soleil.
A l'entrée d'un village, un petit groupe de promeneurs s'avance sur la route. Il y a un gros monsieur, un garçon de quinze ans, qui doit être son fils, une dame de quarante ans, et une vieille dame qui conduit un chien.
Le groupe s'avance, puis s'aligne au bord du parapet pour contempler le paysage.
Ludovic (c'est le gros monsieur épanoui)
- C'est charmant et c'est pittoresque. Je ne suis pas mécontent de m'être trompé de chemin : c'est le plus joli village de la banlieue
(il frappe sur l'épaule de son fils)
- Qu'est-ce que tu en penses, toi, Chalumeau ?
Chalumeau a quinze, et il a l'air du condamné à la promenade dominicale. Il parle entre ses dents, et d'un ton de mauvaise humeur....
(lever de rideau du volume paru aux éditions "de Fallois" en 1991)
"Cigalon" est l'histoire d'un chef de cuisine qui, d'une part, a beaucoup trop de talent pour s'abaisser à préparer des plats simples et d'autre part ne se résout pas à confectionner des préparations pour des gens incapables d'en apprécier les exceptionnelles qualités.
Dès lors, il refuse tous les clients.
Avec "Cigalon", Pagnol tente de lancer les films de moyen métrage - commr "Jofroi".
Cigalon est joué par Arnaudy, Alida Rouffe et Henri Poupon.
(extrait de "Album Pagnol" paru aux éditions "de Fallois" en 1993)
Sidonie : Cigalon !
Cigalon : Oui.
Sidonie : Voilà du monde !
Cigalon : Du monde? Quel monde?
Sidonie : Des gens de la ville. Ils vont s'asseoir à la terrasse.
Cigalon descend l'escalier. C'est un homme de cinquante ans environ, l’œil vif, le visage mobile. Il parait inquiet.
Cigalon : Combien sont-ils?
Sidonie :Quatre. (On entend, à la terrasse, le monsieur qui frappe sur la table avec une pièce monnaie). Ça y est. Ils frappent.
Cigalon : Laisse-les frapper. Ils feront pas une bosse à la table.
Bouillabaisse provençale au poisson de roche ; un kilo de rascasse, des capellans, de la baudroie, roucaou Saint-Pierre et quelques cigales de mer. ces poissons, quand les ai mis dans la marmite, ils remuaient encore la queue, monsieur le comte, tous ensemble ! On aurait dit des applaudissements !
Quel est le nom de la mère de Marcel Pagnol?