Ce film de
Marcel Pagnol (1937) est l'adaptation du roman éponyme de
Jean Giono (1930). Alors évidemment, tout ce que nous avons dit, écrit et pensé sur les adaptations précédentes de «
Jofroi de la Maussan » («
Jofroi ») » et « Un de Baumugnes » («
Angèle »), et tout ce que nous dirons, écrirons et penserons sur «
La Femme du boulanger », ce sera redites et compagnie. Parce que le débat entre oeuvre littéraire et adaptation au cinéma n'est pas nouveau, et soulève toujours autant de polémiques, et puis parce qu'en plus ici, il s'agit de
Jean Giono et de
Marcel Pagnol : deux génies, et deux façons de voir la Provence.
Sur le thème même du roman, l'adaptation est assez fidèle.
Pagnol reprend le fil de l'histoire et se contente de « fleurir » les personnages, de leur donner une vie en 3D (par opposition à l'image qui émanait du roman). Panturle, Arsule, Gédémus, la vieille Mamèche, le vieux Gobert prennent vie sous nos yeux. Non pas qu'à la lecture du roman nous ne nous en fassions pas une idée, c'est tout le talent du conteur, mais ici, c'est du vrai, du pur et, eh oui, parfois du brutal. Et au bout du compte, c'est la même histoire, mais racontée d'une autre façon, ni meilleure ni pire, mais autrement. Toute la grandeur de l'adaptation tourne autour de ce mot « autrement » : il ne s'agit pas de faire autre chose, mais la même chose autrement ; et le miracle c'est que cette même chose présentée autrement devient également autre chose, qui relève à la fois des deux auteurs. Les romans, c'est du
Giono, pur jus ; les films, c'est du
Giono-
Pagnol, les dissocier serait idiot et même malhonnête.
L'appropriation passe par le cinéaste (plans, cadrages, découpage, montage) mais aussi par le dialoguiste, et là
Pagnol est sur son terrain. Il n'a pas son pareil pour écrire des dialogues si vivants qu'on les croirait pris sur le vif, dans la rue. Quelques mots suffisent, avec quelques gestes :
« le jour se lève. Arsule dort, par terre, les bras écartés. Panturle, debout, remet sa veste. Puis il s'approche d'elle.
PANTURLE : Arsule ! Arsule ! Tu viens ?
ARSULE (les yeux fermés) : Oui.
PANTURLE : Alors, lève-toi !
De la tête sans ouvrir les yeux, Arsule dit non.
PANTURLE : Alors tu ne veux pas venir ?
Arsule de la tête dit oui.
PANTURLE : Et tu ne veux pas te lever ?
Arsule dit non. Panturle demeure perplexe, puis il sourit d'un grand sourire. Il s'agenouille auprès d'elle et, gentiment, il dit :
PANTURLE : Tu veux que je te porte ?
Elle sourit. Il la prend dans ses bras et il s'en va sur le sentier. Sans ouvrir les yeux, Arsule parle :
ARSULE : Où est-ce que nous allons ?
PANTURLE : A la maison.
Il s'en va sous les arbres, rapide et léger. Elle a mis ses bras autour de son gros cou ».
Que voulez-vous ajouter à ça ? Tout est dit et tout est montré : l'amour, la confiance, le don de soi, l'engagement… et la profonde vérité humaine qui émane de cette scène.
Ne cherchez pas, la popularité de
Pagnol ne vient pas de ses talents d'écrivain ou de cinéaste, elle vient de sa proximité avec ses lecteurs et ses spectateurs : il ne les tient pas par l'intelligence, ni par la culture, il les tient (il nous tient) par le coeur.