Je pris donc le chemin du Collet, qui allait me conduire jusqu'à lui.
Il devait être déjà très occupé à battre le feuillage des amandiers, sous une grêle d'amandes sèches qui rebondissaient sur sa tête. Mais au croisement du chemin des Bellons, au lieu de marcher tout droit vers mon but, je tournai à gauche, et je montai à pas rapides vers la maison d'Isabelle. Ce n'était pas un bien grand détour, et je n'avais nullement l'intention de m'arrêter. Je passerais au large de la maison, et si je la voyais sur la terrasse, je lui ferais, de loin, un petit bonjour de la main.
Le hamac était vide, et sous les acacias, il n'y avait personne.
Je refusai d'admettre que j'étais déçu, et je pensai :
« Ils ont dû descendre au village pour les provisions. Je vais probablement les rencontrer… »
Je continuai ma route, sur le chemin plongeant du Four-Neuf, et je regardais au loin devant moi. Je me disais sévèrement :
« Tant mieux ! Lili m'attend déjà depuis deux heures. Je n'ai pas le droit de perdre une minute, et après ce que j'ai fait hier, je n'aurais même pas dû passer par ici ! »
Je pris ma course.
Mais tout à coup, une voix claire chanta comme un coucou, sur deux notes : « Ou… Ou ! »
Je regardai vers ma droite.
Au fond d'un petit champ d'herbes sèches, sous un très vieil olivier, je la vis installée sur une balançoire. Elle avait un grand chapeau de paille blanche, dont les ailes étaient ployées vers ses joues par un large ruban bleu.
Je lui fis, comme je me l'étais promis, un petit signe de la main, mais j'eus le tort de m'arrêter. Elle cria :
« Où vas-tu ? »
Je mis mes mains en porte-voix :
« Je vais travailler avec un ami ! »
Elle ne répondait pas, j'ajoutai :
« Il faut que je l'aide à cueillir des amandes ! »
Comme si elle n'avait rien entendu, elle cria :
« Viens me pousser ! »
J'hésitai une seconde, puis il me sembla que deux minutes de plus ou de moins n'avaient pas une grande importance, et qu'en somme, puisque je l'avais sauvée des flammes, je pouvais bien pousser trois ou quatre fois sa balançoire. Et puis je pourrais lui exposer – brièvement – la situation.
Je fis un pas en avant, mais je m'arrêtai brusquement : je vis Lili, tout seul, sous la pluie d'amandes, et qui de temps à autre regardait le chemin vide…
Alors, de toutes ses forces, elle cria de nouveau :
« Viens me pousser ! »
J'y allai.
C'est ainsi que mon ami m'attendit en vain, près de la gaule supplémentaire qu'il avait apportée pour moi, et qui resta couchée dans l'herbe, pendant que, les deux mains en avant, je repoussais les épaules tièdes d'Isabelle, qui criait de peur en riant quand le vent de sa course aérienne soulevait sa robe, et la plaquait sur son visage…
C'est ainsi qu'elles séparent les meilleurs amis, en riant sur des balançoires qui s'arrêtent en deux minutes quand le mâle ne les pousse plus.
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