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Manifeste incertain tome 2 sur 9
EAN : 9782882503220
208 pages
Noir sur blanc (03/10/2013)
4.03/5   18 notes
Résumé :
Paris, 1926. Walter Benjamin s’éprend de la capitale, mais celle-ci ne le lui rend pas. Incompris, méconnu, il y crève de solitude, ce qui ne l’empêche pas d’entreprendre l’œuvre de sa vie. Cette même année, André Breton rencontre Nadja, qui devient son héroïne et l’entraîne dans une ville de hasard et de merveilleux. Pourtant, l’histoire finira mal. De son côté, chaque nuit, Ludwig Hohl déambule dans Paris, arrondissement par arrondissement. Son regard d’étranger c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Retour sur cette lecture hors norme : le manifeste incertain de Frédéric Pajak. Dans ce tome 2, l'auteur poursuit sa déambulation dans les rues de Paris, Venise ou Berlin. Walter Benjamin est toujours le fil conducteur de ce récit, qui entremêle souvenirs de l'auteur, considérations sur le présent, le passé et ce qui fait l'histoire... On a cette impression de suivre le déroulement de sa pensée, de ses réflexions, comme s'il nous racontait tout cela, accoudé au comptoir d'un troquet parisien. Paris ! Cette merveille que les édiles abîment, dénaturent, violentent... jusqu'à en faire une ville perdue, sans substance et sans âme.

Paris n'est plus ce qu'il était, du temps où Benjamin apprenait « à s'égarer dans les rues comme dans une forêt. » Ils ne sont plus en son coeur, ces Titis parisiens qui nous faisaient sourire ou râler, ces maîtres des rues, qui occupaient la place et se foutaient de nous, les « provinciaux » qui montaient à la Capitale, des petits cailloux d'espoir plein les poches, du temps où elle faisait encore rêver...

Maintenant, « à ceux qui ont de quoi l'acheter, Paris se vend de bonne grâce, mais sans un merci, sans faire risette. Et pour ceux que la vie abîme, mal logés, mal nourris, et qui savent trop bien qu'il ne donne rien pour rien, Paris est simplement, bassement, cruellement désespérant. Sans pour autant devoir en mourir, ils traînent leur détresse dans les rues, se heurtent à la nervosité des gens qui vont au travail, ou qui le quittent ».

Frédéric Pajak illustre cette pensée avec toute une galerie de têtes de chiens, tous au regard désespéré, implorant... Quand j'ai lu ce passage, il résonnait particulièrement avec l'actualité (qui n'en est déjà plus une, la dernière née chassant l'autre), un sourire naissant au coin des lèvres...
Berlin n'a pas plus de chance au grand jeu de construction des architectes contemporains. Seule Venise reste Venise...

Walter Benjamin s'éreinte toujours dans une errance éperdue, luttant contre le temps, le nazisme qui étreint et contamine de plus en plus de ses contemporains. Entre langueur et excès, il aimerait se débattre, mais ne sait comment.

Parler de Benjamin, c'est mettre en lumière cette autre histoire, celle que nous n'apprenons pas, que nous n'avons jamais apprise. Celle des petites gens, des circonstances, des hommes accidentels qui ont porté aux marches de la gloire, les soi-disant grands hommes ! Les vrais héros de l'histoire, ce sont eux ! Avalés par l'oubli...
Peut-on vraiment ressusciter cette histoire effacée ? Tout cela n'est-il qu'affaire d'éternelle ré-écriture et air du temps ?

Quant à lui, Benjamin « ne cède pas à la pression de l'actualité, et il s'en tient strictement à sa position de sentinelle d'une Histoire non révélée, une Histoire dont le présent est redevable du passé des vaincus. »

Ce tome 2 se clôt sur une demande de nationalité française, restée sans réponse.

« Benjamin a aimé Paris, qui l'a si peu aimé en retour. Et pourtant son nom restera attaché à la ville, dans ce qu'elle a de plus inavoué : son instinct d'utopie. »
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Dans ce tome 2, Frédéric Pajak parle de divers lieux et les dessine, d'une plume trempée dans la mémoire et l'encre de Chine.
C'est ainsi qu'il parle au tout début de ce tome 2 de Venise qui ne laisse personne indemne:

"Il est douloureux de revenir à Venise. Sa splendeur ostentatoire nous laisse à notre temps disgracieux. Nous errons entre ses canaux, dans l'enlacement indéchiffrable de ses couloirs au bout desquels surgissent des places sobres et dépeuplées. Venise a été bâtie pour punir les temps futurs - et les voilà punis."

Et, un peu avant la fin, de Berlin:

"Nombreux sont ceux qui, venus vivre à Berlin, avant la chute du Mur, n'y sont pas restés après. Berlin n'existe plus pour eux, et plus rien de ce qu'ils ont connus ne subsiste. La ville se meurt peut-être à trop vouloir vivre, à trop se reconstruire."

Mais c'est de Paris qu'il parle le plus et c'est la Ville Lumière qu'il dessine le plus, sans dissimuler ses coins d'ombre dans ces deux modes d'expression artistique.
Il n'emploie pas le mot de Paname, cher à Léo Ferré , à Jean-Roger Caussimon ou à Jean Ferrat, parmi bien autres, pour désigner l'agglomération parisienne. C'est pourtant, encore de nos jours, un mot de passe argotique que susurrent entre eux de vieux parigots tels que moi.
Cela n'est pas grave parce qu'il parle du Paris de Walter Benjamin - il "a aimé Paris, qui l'a si peu aimé en retour", de Ludwig Hohl - "son quartier de prédilection, c'est celui des Halles"- et d'André Breton, dont il raconte la courte liaison avec celle qui se faisait appeler Nadja - "elle aura duré dix jours, du désir à l'étreinte, de l'étreinte à l'abandon".
Frédéric Pajak a certainement encore connu - il n'a que quatre ans de moins que moi - le Parisien véritable, "celui du Paris populaire", mais il n'existe plus:
"Il a été rejeté derrière le périphérique, et le plus loin possible. Ceux qui habitent désormais la ville sont des provinciaux qui sont "montés à Paris" pour y gagner leur vie, dans des bureaux ou des magasins. Ils paraissent contrefaits dans leurs habits stéréotypés, parlant une langue artificielle, puisque personne, parmi eux n'a ni l'accent ni la gouaille des titis d'antan - et ils ne parlent pas non plus avec leur accent de province, qu'ils se sont empressés d'oublier."
La Parisienne a également disparu, comme le pressentait Léon-Paul Fargue:

"Bientôt, les dernières Parisiennes disparaîtront "pour céder la place aux femmes de Paris, ce qui n'est pas tout à fait la même chose"."

Frédéric Pajak n'est pas optimiste non plus pour ce qui concerne les bâtiments de Paris:

"La destruction de Paris n'est pas un résultat, c'est une activité. Paris n'a pas été détruit puisqu'il se détruit sans cesse. Et ce qui est détruit est aussitôt reconstruit, et ce qui est reconstruit sera détruit tôt ou tard."

La raison?

"Autant les bâtiments anciens, régulièrement ravalés, respirent l'éternité, autant les nouveaux sentent la fin."

Tout cela n'empêche pas l'auteur d'aimer Paris, comme je l'aime:

"J'ai besoin de ces façades salies. J'ai besoin de ce ciel de craie, de ce brouillard en poil de souris et de cette eau de pluie parcimonieuse et tenace. Et l'irritation qui vient du vent. Et le courant d'air qui vient de la bouche du métro. Paris a usé mille et mille têtes d'autant de joie, d'autant de peine."

J'aime également son évocation de l'Histoire qu'on efface en laissant dans l'oubli un Augustin Thierry (dont les ouvrages bannis des livres d'Histoire figuraient dans la bibliothèque de mon paternel...).

Cette citation, que Frédéric Pajak fait de l'historien de la première moitié du XIXe siècle, devrait donner matière à réflexion:

"Tous tant que nous sommes, Français de nom et de coeur, enfants d'une même patrie, nous ne descendons pas des mêmes aïeux. Dès les temps les plus anciens, plusieurs populations de races différentes habitaient le territoire des Gaules..."

http://www.francisrichard.net
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Frédéric Pajak continue d'interroger la vie de Walter Benjamin avec passion. Quel est le but de cette autobiographie qui profite de chaque occasion pour s'éloigner de son sujet ? On ne sait pas vraiment. On se demande si l'écriture chemine librement ou si elle résulte d'une réflexion déterminée. Fluide, lumineuse, elle nous conduit ici de Venise à Paris en passant par Berlin, superposant les époques pour mieux les faire communiquer, invoquant à l'occasion des personnages subalternes et pourtant marqueurs comme André Breton, Ludwig Hohl ou Léon Blum. Et pourtant, Frédéric Pajak ne parle jamais frontalement de ces villes, de ces époques ou de ces personnages. Il invoque toujours une histoire détournée pour aborder son sujet de biais. Son discours est un point de fusion, une capture de multiples instantanés qui honorent la vie passée, haussent le présent comme instant charnière et nous bardent de compassion pour les temps à venir.


Artiste de l'anthologie, Frédéric Pajak s'empare des paroles en rebut des grands hommes, des anonymes et de lui-même, les rendant vivants dans l'assemblage du temps historique et de l'espace géographique.
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Frédéric Pajak reprend la trame de son récit qui n'en est pas vraiment un. Nous repartons de Venise, mais la ville au centre de ce tome est Paris. La ville de l'époque où Walter Benjamin l'a habitée, mais aussi la ville des souvenirs de Frédéric Pajak.

Le sort de Walter Benjamin s'avance vers sa fin inéluctable en même temps que le continent fonce vers le désastre et l'horreur. Des personnages traversent sa vie, d'autres de la même époque sont évoqués, comme André Breton, son amour avec Nadja, dont il fera un livre, pendant qu'elle sombrera dans la folie. Au détour d'un bout de récit, d'un dessin, d'une convergence, l'auteur se dévoile un peu, évoque un souvenir personnel, l'air de rien, comme si ce n'était pas le plus important.

Le projet de Frédéric Pajak s'installe dans ce deuxième tome, on pressent qu'il est loin d'être le dernier, que le voyage quelque peu buissonnier, qui navigue d'un sujet à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'un personnage à l'autre, peut continuer presque à l'infini, au gré des réminiscences, des associations d'idées, qui semblent surgir presque par inadvertance en apparence, mais qui prennent forme et sens peu à peu. Les dessins en noir et blanc, sobres et expressifs, accompagnent le texte, lui répondent, font partie de la structure du récit.
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Le triste exil de Walter Benjamin se poursuit, la plupart du temps à Paris, dans la précarité et l'isolement : bien qu'ayant quelques amis fidèles, Gretel Karplus, Theodor Adorno, Gershom Scholem, Bertold Brecht, il ne parvient pas vraiment à entrer en relation avec les intellectuels parisiens, sans pouvoir s'expliquer les raisons de cette exclusion molle.
Le lecteur, lui, témoin de ses déboires et du développement de sa pensée, en a bien une petite idée.
Le graphisme est toujours aussi somptueux.
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Éteindre la télévision. Suspendre l'activité de son ordinateur. Quitter le petit écran, le journal télévisé, la boîte aux lettres virtuelle où se déverse le "courriel" réel.
Retrouver les êtres en chair et en os, la rue qui sent et fait du bruit, le paysage éclatant ou dévasté, le ciel immense.
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S[i Walter Benjamin] se trouve isolé à Paris, c’est, entre autres raisons, du fait de sa détermination à ne pas céder à la démagogie du militantisme. Il ne s’agit pas, sous prétexte de s’opposer au fascisme, de prendre une posture antifasciste et de prostituer sa pensée au nom d’une cause, si juste soit-elle. […]
Son message, marqué par le messianisme, est intransigeant : le langage qui combat la barbarie ne doit en rien emprunter au langage barbare, celui de la propagande –de toutes les propagandes. Sauver le monde, c’est sauver le langage.
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La sensibilité, l'étonnement, la frayeur devant les choses et les gens ne s'enfouissent plus dans le langage obéissant ; ils s'échappent dans les mots de l'ironie, afin que plus rien ne soit jugé sérieux.
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Il est douloureux de revenir à Venise. Sa splendeur ostentatoire nous laisse à notre temps disgracieux. Nous errons entre ses canaux, dans l'entrelacement indéchiffrable de ses couloirs au bout desquels surgissent des places sobres et dépeuplées. Venise a été bâtie pour punir les temps futurs - et les voilà punis. Les voyageurs ont fait place aux visiteurs qui ont fait place aux touristes. Nous ne seront jamais plus des voyageurs.
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"Tu n'as pas idée comme ces gens sont des putes. Ils me font vomir.
Ils sont si foutrement "intellectuels" et si pourris que je ne les
supporte plus. C'est vraiment trop pour mon caractère. J'aimerais
mieux rester assise par terre à vendre des tortillas sur le marché de
Toluca, que d'avoir à faire avec ces salopes 'artistiques" de Paris.
Ils s'assoient des heures dans les "cafés" à réchauffer leur précieux
derrière, et parlent sans arrêt de "culture", d'"art", de "révolution"
et ainsi de suite et patin et couffin, ils se prennent pour les dieux
du monde, ils rêvent les idioties les plus fantastiques, et
empoisonnent l'air de théories et de théories qui ne se réalisent
jamais. [...] Il n'y a jamais rien à changer chez eux parce qu'aucun
d'eux ne travaille et ils vivent comme des parasites sur le dos d'un
tas de riches salopes qui admirent leur "génie" d'"artistes". De la
merde et rien que de la merde, voilà ce qu'ils sont. [...] Mince alors
! ça valait le coup de venir ici rien que pour voir pourquoi l'Europe
est en train de pourrir, pourquoi tous ces gens - des bons à rien -
sont la cause de tous les Hitler et de tous les Mussolini."
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Vidéo de Frédéric Pajak
Lecteur, écrivain, dessinateur, Frédéric Pajak déploie son imaginaire depuis 2012 dans un livre sans fin, "Le Manifeste incertain " : au rythme d'un volume par an, cette entreprise littéraire s'achève cette année avec la parution de son 9e volume "Avec Pessoa". Si chaque volume est consacré à la biographie d'une figure que L Histoire a longtemps malmené, ils tissent entre eux une toile plus vaste, l'incertitude comme fil rouge.
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