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Critique de Herve-Lionel



N°93
Janvier 1992



LA PLACE DU MORTGilles PAJOT – Éditions le Dé Bleu – A contre Silence.


Le titre révèle souvent tout un recueil, en est le raccourci, la substance puisque, à partir de quelques mots on peut d'emblée entrer dans l'univers de son auteur. Les mots ont cette particularité de révéler ou de cacher en même temps, et le phénomène de l'écriture est à la fois complexe puisqu'il met en relation l'auteur et le lecteur, nécessairement différents l'un de l'autre et excessivement subtil puisqu'il permet à l'écrivain de se découvrir lui-même et de laisser dans ce monde transitoire une manière de message qui procède de la condition humaine. C'est un truisme : un artiste est unique mais il est aussi le miroir qui reflète au hasard d'une rencontre l'âme d'autrui !

Écrire, c'est bien plus que mettre quelques signes sur le papier, c'est arracher quelque chose à la mort, mettre des jalons dans sa propre vie, se préparer au grand départ parce que nous allons tous dans le même sens, par étapes plus ou moins longues. « Écrire, avant de devenir tout sec et inexpressif. Écrire, écrire, s'obstiner. La mort peut se pointer demain, dans dix ans, dans soixante. de toute manière, elle n'est jamais bien loin ! »
Écrire, c'est puiser dans son passé individuel toute la sensibilité qui se révèle aux sources de l'enfance. C'est parfois tenter de compenser un manque, une absence, celle d'êtres juste entr'aperçus qui laissent l'empreinte indélébile de leur ombre : « Il y a un peu de moi au cimetière de Saint-Sébastien-sur-Loire, dans ce qui reste de mon petit frère que j'ai connu mort et beau, à peine né, blanc comme cette nuit de deux jours qui précéda son départ définitif. »
On dit que tout procède de l'enfance et qu'elle inspire l'écriture. L'image de la mort est inscrite dans les gènes de l'homme, d'abord enfant, qui veut avec ses armes lutter contre elle… en vain ! Et puis la vie reprend les droits qu'elle exerce sur les êtres qu'elle anime. Elle imprime sur eux son propre mouvement, leur laissant le soin de peupler leur mémoire de souvenirs.
Écrire, c'est aussi gêner un peu les autres qui redoutent moins l'écrit que son auteur sans qu'on sache très bien la part qui peut être faite entre la crainte de se retrouver comme dénoncé et la fierté d'être évoqué Alors on se trouve confronté à la question presque éternelle dans sa simplicité : « Tu écris toujours ? », parce que cette interrogation remplace toutes les autres, qu'elle les résume et qu'elle évite de demander autre chose, qu'elle met en évidence le gouffre qui existe entre deux visions du monde… Son laconisme se suffit à lui-même et la différence est patente malgré l'envie de l'artiste de se plonger au plus profond du monde des vivants, d'y puiser son inspiration et la certitude que sa démarche d'écriture elle-même l'en exclut.
Écrire, c'est faire cette différence : « Il s'approche du bouquin que je lis. Trop de blanc entoure le poème. Nécessité ? Incertitude ? Lacune ? Bluff ?… Au soupçon de supercherie se même l'horreur du gaspillage. Il ne lira jamais cela. »
Le poète est coincé entre le monde la réalité dans lequel il vit et ses propres fantasmes qu'il n'arrive pas à exorciser avec le seul outil dont il dispose : les mots. Il se sent lui-même, malgré ses sincères velléités d'expression, de partage, de souffrance, mais on le laisse de côté parce qu'il n'est pas comme les autres. Alors son propre enfermement devient plus grand, plus fort, et les acteurs de sa propre angoisse font assaut de talent pour souligner cette déréliction très semblable à la vieillesse, à l'exclusion et à la comédie du bonheur qu'on ne manque pas de se jouer à soi-même.
Écrire, c'est aussi faire un acte authentique pour faire échec à l'oubli, à la défaillance de sa propre mémoire. Oui, écrire sans repos ni répit… pour témoigner ! Écrire, c'est «tout noter », comme pour faire un usage immodéré des mots et de la parole, la même qui sert aux propos graveleux ou à la malveillance…
Écrire, c'est aussi avoir la certitude que, pour ceux qui vous regardent (avec étonnement !),vous restez celui qui gaspille du papier… Et pourtant, écrire c'est dire la vie, la célébrer, être attentif à la beauté des femmes, même si on sait que le couple tue l'amour et que le temps use tout.
Il faut évoquer le quotidien dans tout ce qu'il a de terre à terre, de dérisoire, malgré l'humour… le dénoncer pour en exorciser les taches sans omettre de garder pour soi l'essentiel pour ne pas le perdre, savoir que le quotidien est un miroir et un laminoir tout à la fois, que la vie est une succession de jours… et avoir le courage de le dire.

Je ne dirai jamais trop qu'il est important d'écrire simplement, en dehors de toute règle prosodique (le débat est ouvert depuis longtemps, ne comptez pas sur moi…) pour que l'émotion qui est celle de l'auteur devienne celle du lecteur.
Le style adopté, concis, concret, épuré procède de cette démarche.
Il est important de redonner au quotidien sa dimension émotionnelle, tendre, dérisoire, humaine !



© Hervé GAUTIER.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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