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EAN : 9791022612395
192 pages
Editions Métailié (20/01/2023)
3.31/5   36 notes
Résumé :
Fin du XIXe siècle. Un paléontologue veuf élève sa fille pour tenir la maison, broder (elle y révèle un talent rare), mais aussi l’aider dans ses recherches archéologiques. À la mort de son père, elle décide de partir pour New York proposer ses compétences à un collectionneur. Elle se retrouve dans un atelier de couture des bas-fonds de Manhattan. Elle en réchappera et nous surprendra grâce à sa ténacité et son intelligence.

Un court roman efficace et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
3,31

sur 36 notes
Il est très rare que je ne termine pas un livre, mais malgré un sujet qui me plaisait beaucoup, je ne suis jamais entrée dans ce roman.
J'ai suivi péniblement les aventures d'une jeune islandaise au début du XIX ème siècle mais ni la partie en Islande ni celle à New-York ne m'ont intéressé.
J'ai trouvé l'intrigue très pauvre, comme si quelqu'un racontait l'histoire d'un ton extrêmement monotone, c'est lent, il ne se passe pas grand chose et quand enfin des événements surviennent, ceux-ci sont racontés sans aucune émotion ni aucune passion.
Je sais que dans très peu de temps, je ne me souviendrai de rien du tout et j'en suis désolée car j'étais ravie de découvrir ce roman, l'histoire me tentait vraiment, entre un père paléontologue, une jeune fille douée en broderie et sa volonté d'émancipation, mais le récit est décidément trop terne, sans aucune saveur.
Je remercie NetGalley et les éditions Métailié pour cet envoi.
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Il est des histoires d'aventures qui se faufilent entre les mailles. Entre deux jeux d'aiguilles, il est temps de faire place à l'énergie qui vous appelle au-delà des mers, au delà de l'oppression domestique, au-delà de vous-même. Partir sur Un coup de tête, mais partir, surtout, pour sortir de sa condition, de son cocon, des diktats de la société. Sigurlina se pique de liberté et de culture, et devient une femme indépendante au grand dam de certains…

Il est des histoires de froufrous. C'est fou comme on sent les étoffes qui bruissent, les odeurs envahir l'espace, tous les petits bruits faisant partie de la sphère féminine, peuvent ressortir aussi vivants et si sonores sous la plume de Sigrùn Pàlsdòttir…C'est presque magique, d'avoir su faire entendre la singularité phonique des activités au féminin au XIXe siècle. On a l'impression d'être avec ces femmes dans l'atelier de couture, dans la cuisine parfois, ou avec l'heroine quand elle gratte le papier…

Il est des histoires qui parle d'Histoires, qui fleurent bon l'ancien et la passion. Des histoires d'aventures et de mésaventures. Des histoires de femmes restreintes, des histoires de rêves déchus. Des drames et des hasards heureux. Des histoires à écrire, des histoires à embellir, des histoires clinquantes, des histoires brillantes. Et un bijou. Mais encore faudrait-il qu'il vous raconte son Histoire…

J'ai lu et adoré Un coup de tête, parce qu'il met en lumière l'Islande, que je rêve de visiter un jour, mais plus que cela, puisque il parle d'un destin de femme courageuse et remarquable. Une femme qui a choisi l'émancipation comme leitmotiv, et malgré les difficultés, elle fait preuve d'une détermination admirable pour continuer vers cette voie libératrice…Quelle meilleure manière de commencer ce #marsaufeminin , avec cette nana spontanée et fougueuse?
Lien : https://fairystelphique.word..
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La fuite vers New York

En retraçant le parcours de Sigurlina qui, à la fin du XIXe siècle a fui Reykjavik pour New York, Sigrún Pálsdóttir réussit un roman qui mêle l'histoire et l'aventure aux sagas islandaises, sans omettre d'y ajouter une touche féministe.

Nous sommes à Reykjavik en 1896. Sigurlina y vit avec son père qui, après le décès de son épouse, se consacre presque exclusivement à ses collections. Au musée des Antiquités il passe son temps «au milieu de son fatras à répertorier les trouvailles qu'on lui apporte et qu'il s'efforce d'exposer pour les voyageurs étrangers.» Il en oublie sa fille qui n'a qu'à se consacrer à ses travaux d'aiguille et à trouver un bon parti.
Mais Sigurlina s'est forgé un fort caractère et entend mener sa vie comme elle l'entend. Elle est curieuse, aime lire et écouter les conversations, y compris lorsqu'elles ne lui sont pas destinées. Et elle a repéré un jeune rédacteur ambitieux. Mais ce dernier est promis à une autre. Alors, après avoir été troussée par un vieux sadique, elle décide de rassembler ses affaires, s'empare d'une fibule dans la collection de son père et prend le premier bateau vers l'Écosse, puis vers New York. Dans ses bagages, elle a aussi la lettre d'un important collectionneur que son père avait accueilli et guidé en Islande. Un courrier qui sera tout à la fois son sauf-conduit et sa lettre d'embauche. Installé dans une belle demeure, elle devient rapidement la secrétaire particulière de cet érudit. Mais, en voulant attraper un volume de sa bibliothèque, il fait une chute mortelle. Et voilà Sigurlina à la rue. Elle va parvenir à trouver un toit et un emploi de couturière, mais le destin va s'acharner contre elle. Un incendie détruit son immeuble et ses maigres biens. Dans la poussière et les cendres, elle parvient cependant à récupérer la fibule, se disant qu'elle pourrait peut-être en tirer un bon prix. Je vous laisse découvrir comment l'objet sera exposé au Metropolitan Museum avant de connaître des péripéties dignes des sagas islandaises, dont on finit du reste à l'associer.
On ne s'ennuie pas une seconde dans ces multiples pérégrinations qui, après avoir pris un tour dramatique vont virer au tragicomique. Et nous rappeler que L Histoire n'a rien de figé, qu'elle se construit sur des récits plus ou moins authentiques, qui enflamment les imaginaires. Et à ce petit jeu Sigrún Pálsdóttir fait merveille, en retrouvant les recettes du roman populaire, en construisant son livre comme un feuilleton à rebondissements dans lequel chaque chapitre contient son lot de surprises. Bref, c'est un bonheur de lecture!

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Ce qui a attiré mon attention sur ce premier roman de la rentrée littéraire qu'on vous dévoile de janvier 2023 ?

Le fait qu'il était d'une autrice islandaise (une fois qu'on a découvert la littérature islandaise,on y retourne inlassablement), qu'une partie de l'intrigue se passe en Islande et que le traducteur est Eric Boury (traducteur entre autres de Arnaldur Indridason ou du fantastique Jon Kalman Stefansson).
Nous sommes à Reykjavík,à la fin du XIX° siècle et une jeune fille Sigurlina vit avec son père.
Depuis qu'il est veuf, elle est en charge de tout le quotidien et elle coud aussi des vêtements qu'elle vend ensuite.
Sigurlina étouffe dans ce quotidien qui n'est qu'une suite de tâches ménagères et d'obligations et rêve d'ailleurs.
Un jour sur un coup de tête, elle embarque dans un bateau pour l'Écosse puis pour New York mais sa vie sera bien plus difficile que ce qu'elle avait imaginé.
Si le personnage de Sigurlina est attachant par son courage et sa détermination (elle ne possède quasiment rien, n'a pas d'amis mais ne baisse jamais les bras), je n'ai malheureusement pas totalement retrouvé la poésie des romans islandais que j'ai lus jusqu'à présent.
J'ai eu aussi un peu mal à croire à cette histoire de broche qui détermine le destin de la jeune fille et qui impacte aussi d'autres personnages.
Je l'ai lu malgré tout, sans déplaisir aucun, ne serait ce que parce que le roman est court et qu'on a envie de savoir comment Sigurlina s'en sortira !
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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"Sans qu'on sache comment, Sigurlina avait fini par se retrouver à la cuisine, à s'affairer derrière les fourneaux. Ils avaient fini par s'assoir tous les trois à table pour prendre leurs repas. Et elle avait fini par s'habituer à l'image que son père et son frère suscitaient en elle en l'absence de sa mère, à cette impression qu'on a de ne pas exister tout en ressentant l'immense souffrance engendrée par le vide infini qui vous déchire l'âme".

Reykjavik, fin du 19ème siècle. La mort de sa mère met fin aux rêves d'études de Sigurlina, la jeune fille se retrouve cantonnée aux tâches ménagères malgré le zèle et l'efficacité avec lesquels elle assiste son père, responsable d'un musée d'archéologie islandaise. Un concours de circonstances va la mettre en possession d'un objet ancien très précieux et la pousser à tenter sa chance de réaliser son rêve américain en fuyant sur un coup de tête. Arrivée à New York, elle se met en quête d'un acheteur afin d'assurer sa subsistance, et c'est le début d'un parcours plein de péripéties qui lui fera goûter à la précarité et exploiter à bon escient ses talents de brodeuse, son intelligence et sa débrouillardise.

Dans ce court roman, l'auteure s'amuse à jouer avec le destin, les hasards et les coïncidences sur un rythme trépidant. La jeune Sigurlina est un personnage qui mêle fraîcheur, courage et résolution, construit comme le pendant féminin des héros des grandes sagas islandaises. C'est d'ailleurs sur ce parallèle que surfe habilement l'auteure, historienne qui rappelle ici la thèse selon laquelle Christophe Colomb fut loin d'être le premier à découvrir le continent américain, précédé par une expédition viking au 11ème siècle. Elle prend également un malin plaisir à mettre en regard des aventures new-yorkaises de sa jeune héroïne les commentaires des notables masculins de Reykjavik autour des bribes d'informations qui leur parviennent. C'est assez croustillant. Tout ceci donne un roman charmant, divertissant et bien ficelé qui multiplie les allers-retours entre les sociétés new-yorkaises et islandaises et possède assez de fond pour éviter de se prendre au sérieux.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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critiques presse (2)
RevueTransfuge
10 février 2023
Une délicieuse dérive romanesque – tel est le roman de Sigrún Pálsdóttir, vivifiant comme un frais vent islandais !
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
LeMonde
23 janvier 2023
Si les héroïnes véritables sont celles qui s’ignorent, Sigurlina Brjansdottir, dont Un coup de tête, roman de Sigrun Palsdottir, conte le parcours, est assurément l’une d’elles.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Le bruit montait du salon. Des sonorités étranges. Un instant, ne comprenant pas un mot des paroles échangées, je crus que je rêvais. Puis j’entendis les ronflements discrets de grand-mère à mon côté et je compris que j’étais éveillée. Je me redressai dans le lit pour enjamber son corps frêle, me faufilai à travers la grande pièce commune sous les combles et m’allongeai sur le sol, le visage tourné vers la cage d’escalier. À travers la fumée de tabac qui flottait dans la pièce, je distinguais un homme d’âge mûr assis sur le canapé à côté d’une jeune femme. Il portait une veste brune et un foulard bleu, elle, un manteau vert et un chemisier clair orné d’un col en dentelle à la racine de son cou gracile, sous son menton. Le vieux Magnus était assis sur le tabouret en face des invités tandis que Gudlaug, debout, la cafetière à la main, remplissait les tasses. Mon père était installé dans le fauteuil sous la fenêtre et ma mère sur le coffre juste à côté, légèrement à l’écart de la fumée et du monologue du visiteur, interrompu par une remarque de la jeune femme au col en dentelle qui montra sa tasse du doigt. Elle semblait s’adresser à ma mère qui hocha la tête avec un sourire. Mais ce sourire ne m’était en rien familier, en réalité maman, adossée au mur du salon, avait un air étrange et le dos étonnamment voûté. Elle se redressa légèrement tandis que mon père prononçait quelques mots dont je compris qu’ils étaient la réponse aux questions de l’étrangère. Puis les invités se levèrent, ils prirent congé, et Magnus et mon père les raccompagnèrent à la porte. Voilà qui me permit de mieux distinguer les vêtements de la jeune femme, son ample robe longue qui s’évasait en partant de sa taille de guêpe et tourbillonnait sur son passage tandis qu’elle avançait dans le salon. Je me relevai, enjambai à nouveau grand-mère et fis semblant de dormir quand maman vint me caresser la joue. Elle me posa l’index sur le bout du nez et comprit que je ne dormais pas.

Le lendemain matin, personne ne fit état de la visite de la veille et je ne posai aucune question. Je n’éprouvais d’ailleurs pas le besoin d’en savoir plus. Le souvenir de ces senteurs exotiques me suffisait amplement, de même que l’image des hôtes dont la présence semblait avoir agrandi l’espace de notre salon. Je ne passais cependant pas le plus clair de mon temps à penser à ces étrangers élégants et, en réalité, j’avais presque oublié leur visite un jour que j’aidais ma mère à faire le ménage, jour où je découvris une image pleine de couleurs posée au sommet de la pile d’enveloppes que mon père n’avait pas ouvertes sur son bureau. C’était une carte postale. Je reposai mon chiffon pour l’examiner en la prenant à deux mains :

Le soir tombait sur une grande ville, les rues blanchies renvoyaient la lumière et des flocons étrangement épais descendaient vers la terre. Une petite fille entraînait sa mère vers la devanture d’un magasin pour lui montrer un grand renne, un homme en haut-de-forme noir, vêtu d’un manteau à col de fourrure, portait un paquet volumineux et tenait sa femme par la main. Derrière eux, un adolescent traînait un gros arbre de Noël et, de l’autre côté de la rue, des garçons faisaient des boules de neige pour les lancer sur le fiacre noir vernissé qui passait. Chacun avait une foule de choses à faire, mais se retrouvait figé dans sa course. Tous, sauf la jeune femme dans le coin à droite, qui semblait s’être immobilisée juste avant cet instant, et dont on ignorait si elle s’apprêtait à traverser la rue ou à continuer son chemin sur le trottoir. Vêtue d’un manteau bleu marine et d’un élégant chapeau rouge, elle protégeait ses mains du froid dans un manchon en cuir brun qu’elle serrait contre elle. Son visage était plus net que les autres détails de l’image : elle semblait perdue.

J’étais en train de me demander si elle était seule quand je sentis tout à coup la présence de ma mère derrière moi. Elle pencha la tête et posa le menton sur mon épaule pour regarder la carte. Du coin de l’œil, je la vis sourire en disant que ce courrier arrivait avec un certain retard. Puis elle se redressa et se remit au travail. Je retournai la carte adressée à Brandur Johnson. En haut, à droite, on lisait : New York, le 15 décembre 1879. L’écriture avait quelque chose de brouillon et, évidemment, je ne comprenais rien. Mais je pensais connaître l’expéditeur de cette carte.

Plus tard dans la journée, face à mon insistance, mon père consentit à me l’offrir. Je la rangeai dans le coffre que j’avais au pied de mon lit, où je pouvais la prendre quand j’avais du mal à trouver le sommeil après ma lecture du soir. Et, même au plus noir de la nuit de l’hiver 1880, je parvins encore à voir l’image en la maintenant assez longtemps devant mes yeux. Plongée dans les ténèbres, je distinguai en réalité des détails que je n’avais pas remarqués auparavant : au fond d’une étroite ruelle tapissée de neige, deux hommes chaudement vêtus se tenaient l’un face à l’autre en grande conversation. Plus je scrutais la carte, plus il me semblait que toute leur attention se concentrait sur la jeune femme au chapeau rouge. Désormais, j’avais l’impression que le désespoir qui envahissait son visage s’expliquait par le poids de leur regard, elle cherchait à savoir si elle devait se mettre à l’abri, ou si ce poids s’évanouirait.

Ma main retomba. La carte atterrit sur la couette et, aussitôt, la jeune femme au chapeau rouge traversa la rue, enjambant le MERRY CHRISTMAS en grandes lettres dorées en haut à droite de l’image, avant de s’échapper du cadre. Au même moment, les deux hommes se mirent en route et lui emboîtèrent le pas. Ils ne couraient pas, mais franchirent la chaussée à grands pas, traversèrent brutalement le Joyeux Noël, s’évanouissant lorsque j’entendis les craquements de l’escalier. Je sursautai et, dans ma torpeur, j’eus l’impression de voir grand-mère s’approcher du lit en boitant. Allongée, les yeux fermés, je cherchai la carte à tâtons et la glissai sous la couette. Grand-mère se coucha, je me tournai de l’autre côté. Et avant que ses ronflements discrets ne parviennent à m’enfermer dans le monde exigu de la pièce que nous partagions sous les combles, je m’engouffrai en chemise de nuit dans l’étroite ruelle où je suivis sur la neige blanche les deux hommes et la jeune femme qu’ils avaient prise en chasse.

I
Fin de réception à Reykjavik. Mars 1897
– Quant à cette boucle de ceinture finement ornementée, elle a souhaité l’acquérir pour la somme de quinze mille dollars américains. Auprès de sa propriétaire, une jeune Islandaise dénommée Branson. Miss Selena Branson.
Le Gouverneur se lève de son fauteuil et s’avance vers la fenêtre du salon. Il regarde le vol suspendu des flocons et la place Lækjartorg toute blanche de neige qui apporte un peu de lumière à la nuit sans fond :
– Eh bien, je vous demande, mes chers amis, s’il ne s’agit tout simplement pas là de Sigurlina Brandsdottir, la fille de Brandur Jonsson l’Érudit, le copiste de Kot dans le Skagafjördur.
Alors ça, c’était la cerise sur le gâteau ! Et ladite cerise laissait les invités du plus haut représentant du roi en Islande plus que dubitatifs. “Quelle absurdité !” tonna le Juge ; “Seigneur, non !” s’écria le Pasteur ; “Le petit bouchon de Brandur ?” se récria le Préfet ; “Le tout petit bouchon”, ricana le Poète ; “Un bouchon ?” claironna l’Historien ; “Quinze mille dollars ? s’étrangla le Trésorier du roi. Comment un objet aussi petit et aussi vieux pourrait-il avoir une telle valeur ? Une somme qui correspond à la quasi-totalité des réserves de la Banque nationale d’Islande ?”
Mais le septième invité, le Rédacteur en chef aussi svelte que bel homme, n’a aucune réaction. Il est assis légèrement à l’écart, tout près du mur, penché en avant, le regard concentré sur un détail du tapis d’Orient tissé main qui recouvre le parquet de ce salon d’apparat. Il essaie de se remettre en mémoire le visage d’une jeune fille, mais ne voit rien d’autre qu’un corps gracile enveloppé d’une robe aérienne retenue à la taille par une ceinture ornementée, une jolie poitrine sur laquelle retombent de fines mèches blondes et un col carré brodé au fil d’or dessinant un motif grec. Un ruban noir autour du cou et un bandeau doré sur la tête. Enfin, son visage lui apparaît. Il voit d’abord des lèvres fines qui esquissent un sourire, un nez élégant, légèrement épaté, puis des narines. La jeune fille les pince, comme pour essayer de retenir un rire, de maîtriser son énergie et sa vigueur. Ses yeux sont dissimulés derrière un masque noir, mais il les voit tout de même. Bleu d’eau derrière leurs paupières lourdes, soulignés de légers cernes. Un regard enjôleur qui le rend fou de désir, si bien qu’il sursaute, murmure le nom de Sigurlina, se redresse et se rend compte que tous le fixent d’un air inquisiteur : le Gouverneur, le Juge, le Pasteur, le Préfet, le Poète, l’Historien, le Trésorier du roi. Était-il censé dire quelque chose?
Le jeune homme recule et s’adosse à l’épais mur de cette ancienne prison au plafond bas devenue résidence officielle, bâtiment que certains qualifient de bicoque. Le Rédacteur a presque disparu derrière la plante tropicale chétive installée contre la paroi, au plus près de la porte laquée de blanc par laquelle on accède au salon. De l’autre côté du battant, l’oreille collée au bois, se trouve la servante, une grande femme imposante. Elle tient d’une main une carafe vide, son autre main plaquée sur la bouche. Voyant que les invités du Gouverneur n’ont plus aucun commentaire à faire sur l’histoire qu’il vient de raconter et qu’ils ne semblent guère désireux de répondre à sa question, elle recule lentement mais résolument. Puis elle longe le couloir, le pas rapide et décidé, et entre dans la cuisine. Elle repose la carafe en cristal, se débarrasse de son tablier et de sa coiffe, se dirige vers le vestibule et la porte de service, prend son manteau, le boutonne, et jette son châle sur ses é
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-L'automne dernier, la fille de l'érudit Brandur Jonsson a quitté l'Islande. Puis, il se pencha en avant et baissa d'un ton : Certains vont même jusqu'à dire qu'elle aurait disparu, ou qu'elle se serait enfuie à la faveur de la nuit. Et qu'elle se trouverait en ce moment en Ecosse.

-Sigurlina ? répondit alors le Poète d'un air hautain, comme si ce qu'avait fait la jeune fille lui nuisait personnellement.

Le Gouverneur : -Oui, c'est son nom. Une jeune fille intelligente, mais particulière dans bien des domaines.

L'Historien : - Je ne vois pas de qui il s'agit.

Le Juge : - Petite, les cheveux clairs. Plutôt bien faite, mais assez indisciplinée.

Le Trésorier du roi : - Oui, fantasque. Et quelque peu impertinente.

Le Pasteur : - C'est elle qui faisait tout dans cette maison.

Le Juge : - Et son père s'en servait comme gratte-papier.

Le Poète : - Tout à fait. Et, autrement, elle passait pas mal de temps en compagnie d'étrangers. Pour pratiquer son anglais. Comme le font certaines femmes de chez nous. Ce qui n'est ni très convenable ni très patriotique. Elle leur vendait également toutes sortes d'ouvrages, du tricot et des travaux d'aiguille.

Le Pasteur : -Voilà qui est à la fois très islandais et très utile, n'est-ce pas ?

Le Poète : - Chaussettes et autres futilités ?

Le Juge : - C'est pourtant une honnête manière de gagner sa vie ?

Le Poète : - Certes, certes. Il n'empêche que ce sont tout de même des babioles et que ce qui compte, c'est l'esprit rêveur et le caractère incontrôlable de cette jeune fille. Et je doute que de telles activités soient porteuses de progrès. Du reste, elle a pris la poudre d'escampette. Au grand dam de son père.

L'Historien ne dit pas un mot. Il hausse les épaules comme s'il préférait parler de choses plus constructives et adresse un regard complice au Rédacteur qui se tait également, bien que pour une tout autre raison. Alors que l'Historien est sur le point de changer de conversation, une jeune fille entre dans le salon, un plateau d'argent dans les mains. Les convives se redressent et concentrent leur attention sur les verres à digestif remplis à ras bord. La cérémonie dure quelques instants.
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Le fiacre s’ébranle dans un cliquetis de métal. Sigurlina hésite entre tristesse et déception, mais fait de son mieux pour se convaincre que continuer à cohabiter avec cet homme lui aurait rendu la vie impossible. Que désormais une existence normale l’attend, faite de relations avec des gens de son âge, enfin elle va pouvoir tisser d’authentiques liens avec cette métropole. Elle garde donc la tête haute, assise dans cette voiture humide et froide, sans soupçonner que ce trajet la conduira dans le brouet grouillant d’existences humaines qu’abrite la partie basse de la ville. Où sa dextérité dans le maniement du fil d’or et de l’aiguille n’a pratiquement aucune valeur. Et où Sigurlina d’Islande disparaîtra. p. 83
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Partie de campagne. Fin d’été 1896
Tôt le matin, on frappa vigoureusement à la porte de Brandur. Silvia Popp était affolée. Elle faisait de grands moulinets de bras. Il fallait qu’on l’aide à préparer le pique-nique. La collation était destinée à des Américains qui devaient quitter la ville avec son père pour aller explorer la vallée de la rivière Ellidaa une demi-heure plus tard. Sussi Thordarsen lui avait fait faux bond au dernier moment, sans lui laisser le temps de se retourner. Silvia interpréta donc le large sourire de sa chère Lina comme un assentiment, puis repartit en toute hâte vers le centre. Sigurlina sortit pour suivre du regard son amie qui descendait au pas de course la rue Stigur, elle agitait frénétiquement la main, sachant pourtant que Silvia ne la voyait pas. Elle referma la porte, s’y adossa, le sourire encore aux lèvres. Puis, sur le point de monter s’habiller, elle s’arrêta à la porte du salon, fit volte-face et son regard tomba sur la table de la cuisine où reposaient les gigots de mouton de Gudmundur. “Bon sang”, murmura-t-elle, jetant aussitôt la viande dans la remise et se rappelant soudain tout ce qu’elle avait encore à faire. Le linge sale, les galons pour la veste de Thordis, le sol de la cuisine et toute la pile de papiers accumulés sur le bureau de son père. Papiers parmi lesquels se trouvaient deux lettres en anglais qu’elle devait mettre au propre et qui devaient partir le lendemain. Puis elle se dit que cela pouvait attendre, elle devait sortir. Sortir de la ville et rencontrer ces étrangers.
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Tout cela avait marqué le début d'une existence étrange, une vie dénuée de sentiments, des événements qui se perdaient dans le brouillard, puis quelque temps plus tard le petit garçon, son autre frère, était mort également. Sans qu'on sache comment, la maison avait fini par s'emplir de meubles. Sans qu'on sache comment, Sigurlina avait fini par se retrouver à la cuisine, s'affairant aux fourneaux, ils avaient fini par s'asseoir tous les trois à tables pour prendre leurs repas. Et elle avait fini par s'habituer à l'image que son père et son frère suscitaient en elle l'absence de sa mère, à cette impression qu'on a de ne pas exister tout en ressentant l'immense souffrance engendrée par le vide infini qui vous déchire l'âme. Entrée dans un univers tout nouveau en arrivant à Reykjavik, elle avait l'impression de ne plus percevoir le monde qu'à moitié. Le monde, elle l'avait jusque-là observé au côté de sa mère.
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