le roman de Jean-Noël Pancrazi "Les Dollars des sables" (Gallimard 2006) a été adapté au cinéma - Sands Dollars - en 2015 par Laura Ameli Guzman, réalisatrice, scénariste, actrice dominicaine et son époux Israel Cárdenas, et dans un rôle majeur, Géraldine Chaplin, une des filles de celui qui pendant son enfance le distrayait, lors des longues nuits de couvre-feu, quand il fallait rester cloîtré dans la maison , alors les projections de petits films de Charlie Chaplin , Charlot, sur le mur d'une chambre permettaient l'évasion .
Cet événement culturel va lui permettre d'être invité, en décembre 2015, au Festival du cinéma méditerranéen d'Annaba (L‘Hippone romaine, Bône, la française). C'est l'occasion pour Pancrazi de concrétiser son retour en Algérie, cinquante- trois ans après son départ en 1962 au moment de l'Indépendance.
Sous forme d'un récit autobiographique romancé, il relate ce voyage, une parenthèse de vie , où les souvenirs du passé, heureux, douloureux, viennent percuter ce séjour. Le jury dont il fait partie doit décerner le trophée l' Anab d'or. Enfant, passionné de cinéma il fréquentait , à Batna, assidûment les salles obscures , le Régent, le Colisée (on retrouve ces enseignes de cinéma dans plusieurs villes d'Algérie) , et, ce qu'il aimait encore plus, c'était d'assister aux projections des films, récompensés par la fameuse Palme d'or à Cannes , souvenir vif et récurrent du film primé « Quand passe les cigognes » (1958).
Pour lui, ce voyage sera l'occasion inespérée, car - « une obstination désespérée » le poussait à ne pas y retourner , une opportunité inespérée pour faire une incursion dans la région de son enfance, une immersion dans sa ville, redécouvrir les lieux qui lui furent chers, d'autres que la guerre ne permit pas de visiter, tenter de retrouver , peut-être, des amis . Ce bonheur lui sera refusé, et ces retrouvailles avortées, occasionneront une lourde et pénible frustration, un acte manqué .
L'émotion , la nostalgie, sans pathos larmoyant , sont palpables, c'est délicat, c'est plein de générosité, mais à cause des très nombreux analepses, j'ai perdu quelque fois , le fil de l'histoire , ne sachant plus si les fait évoqués étaient ceux du passé ou du présent, sans doute voulu, consciemment ou non par l'écrivain. .
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L’écrivain, qui a vécu en Algérie de 1949 à 1962, n’y était jamais revenu, bien que ce pays soit au centre de son œuvre. « Je voulais leur dire mon amour » est le beau livre d’un retour déçu.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Cinquante ans après avoir été contraint de quitter brutalement l'Algérie, le narrateur retrouve son pays natal.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Depuis plus d’un demi-siècle, Jean-Noël Pancrazi hésitait à retourner en Algérie où il est né à Sétif en 1949 et qu’il a été contraint de quitter en 1962, traumatisé et nostalgique des souvenirs d’enfance qu’il en emportait.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Il y avait quelques lumières sur la mer – ou la terre encore- , et ce dernier scintillement, pareil à celui d’une petit palme à moins que ce ne soit qu’un reflet dans le hublot, qui semblait m’appeler, me dire adieu, témoignait, avant de disparaître dans la nuit, que j’étais revenu avec la seule intention de leur dire mon amour.
...les nuages des dernières sauterelles de juin--celles qui suivaient,les plus lentes,amoindries,déclinantes,inoffensives,comme lassées de ravager,aux élytres grisâtres,sèches,vieillies,presque transparentes,sans les couteaux des ailes émoussés par les années de ciel et d'invasion de la terre,et qu'on n'avait même pas envie de rattraper,faibles,impuissantes,même pas capables de s'infiltrer,de profiter des coins, des angles ou des lattes disjointes,de passer sous les bourrelets de tissus cloués au bas des portes-fenêtres,renonçant à avancer,à gratter,à fendiller le sol,désorientées,aveugles,dissociées,presque une à une,résignées,demandant seulement à être recueillies pour ne plus avoir à s'élancer et à détruire les blès,les oliviers,les rails ou les coquelicots,venant mourir ensemble dans le quartier,devenant un parterre d'ailes noires et de grésillements sur le point de s'éteindre,comme précédant,accompagnant le deuil du pays entier,descendues vers les terrasses comme vers la dernière halte,le dernier quai,la dernière part de terre où elles se regroupaient,qu'elles avaient épargnée malgré elles,ces sauterelles perdues,oubliées,à leur tour victimes,peut- être rejetées,éliminées par les tourbillons implacables,la vitesse sans pitié de toutes celles qui,royales,cuirassées,unies,assourdissantes et tueuses,avaient déjà atteint,dans leur armada noire qui emplissaient le ciel et chassaient le soleil de juillet,à peine visible,réduit à un halo d'hiver,le littoral et la mer où elles finissaient par disparaître.
La ville était plus silencieuse après la dernière séance de L’Amour du diable. Les islamistes avaient fini par s’incliner, par refluer dans la soirée avec les pancartes abandonnées, leur slogans éteints, Satan semblait , cette fois, leur avoir échappé, comme disparu dans l’immensité derrière l’écran, il ne restait dans l’air que leur désir plus ou moins satisfait, de traquer tout ce qui leur paraissait sacrilège et, dans les rues, quelques illuminés égarés qui ne savaient même plus contre quoi ils s’étaient élevés.
Ce voyage de retour en Algérie que j'avais tellement différé,tant imaginé,la vie me l'avait accordé,mais en partie seulement,tel un extrait du film en première exclusivité qu'on annonçait pour la semaine suivante et que je ne verrais jamais.
Les clandestins, qui, après avoir longtemps erré, venaient s'y réfugier, grelottants, muets, apeurés, ne sachant même plus avec qui ils avaient marché ou navigué pendant des jours, avec ces couvertures qu'ils gardaient sur les épaules, même s'il faisait moins froid, avec leur maigreur digne de princes égarés. (p.88-89)
« Cela faisait plus de cinquante ans que je n'étais pas revenu en Algérie où j'étais né, d'où nous étions partis sans rien. J'avais si souvent répété que je n'y retournerais jamais. Et puis une occasion s'est présentée : un festival de cinéma méditerranéen auquel j'étais invité comme juré à Annaba, une ville de l'Est algérien, ma région d'origine. J'ai pris en décembre l'avion pour Annaba, j'ai participé au festival, je m'y suis senti bien, j'ai eu l'impression d'une fraternité nouvelle avec eux tous. Mais au moment où, le festival fini, je m'apprêtais à prendre comme convenu la route des Aurès pour revoir la ville et la maison de mon enfance, un événement est survenu, qui a tout arrêté, tout bouleversé C'est le récit de ce retour cassé que je fais ici. »
J.-N. P.
Jean-Noël Pancrazi est l?auteur de nombreux romans et récits, parmi lesquels "Les quartiers d?hiver", "Tout est passé si vite", "Madame Arnoul" et "La montagne".
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