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Critique de lolo71


Pour faire avancer un âne, deux méthodes : le bâton, c'est-à-dire la sanction ou la menace de sanction, et la carotte, autrement dit la récompense. Tout repose sur le bon dosage de ces deux ingrédients. C'est sur cette métaphore que s'ouvre l'excellent essai de Guillaume Paoli, philosophe et membre du mouvement « Chômeurs heureux ». Les ânes, ce sont nous les salariés que la crainte de la pauvreté et du déclassement, et l'espoir d'une gratification financière et sociale, enchaînent au travail. « Soumis à une âpre concurrence, les propriétaires des ânes ne sont plus décidés à gaspiller de coûteuses carottes à l'exercice. Afin de baisser les coûts du travail, ils substituent à celles-ci des images coloriées, ou ils engagent des communicateurs chargés de persuader leurs employés que la perche à laquelle rien n'est accroché est en elle-même un mets succulent. Ou bien que le bâton se transformera en carotte le jour où il aura été suffisamment asséné sur leurs dos. On admire leurs efforts ».

« La motivation est une question centrale de l'époque et elle est appelée à le devenir toujours plus. » du taylorisme, où le travail répétitif était contrôlé par des petits chefs, nous sommes passés à un système où la contrainte a été intériorisée, où toutes nos « ressources » doivent être mobilisées pour répondre aux exigences du marché, en tant que travailleurs et en tant que consommateurs. Pour les managers, rien ne vaut l'implication des employés. Celle-ci peut aller pour certains jusqu'à la dépendance au travail, plus forte à mesure que les tâches sont plus créatrices, innovantes et à responsabilités, et source de grandes souffrances (en témoignent de nombreux suicides ou dépressions). le système capitaliste se nourrit de cette addiction qui se vit également sous la forme du manque, dans le cas des chômeurs et des stagiaires par exemple. le travail moderne tue la joie de vivre.

Guillaume Paoli fait dans cet essai limpide et passionnant quelques observations que le discours dominant tend à éclipser. Ainsi rappelle-t-il par exemple que le « marché » est avant tout une idéologie, un modèle d'interprétation, et non cette réalité transcendante, « naturelle », contre laquelle - veut-on nous faire croire - il serait vain de lutter. Son expansion suppose l'affaiblissement de l'état politique. C'est ce à quoi s'emploie une élite mondialisée qui fait sauter les dernières barrières nationales qui protégent du marché, imposant plus que jamais sa logique à tous les aspects de notre vie, dans le travail ou en-dehors, et façonnant les rapports sociaux.

C'est volontairement que l'auteur se borne à une critique négative du système, ne proposant rien en échange : « On en a assez vu, de ces utopies qui ne dénigraient la carotte en vigueur que pour y substituer une carotte plus tyrannique encore. » Il remarque que la critique de la société de consommation a souvent tendance à fourbir les armes de ce qu'elle prétend combattre. D'autre part, il n'existe plus d'un côté le travailleur aliéné, de l'autre le capitaliste exploiteur, mille liens les rattachent désormais l'un à l'autre, chacun est à la fois bourreau et victime. S'appuyant sur le « Discours de la servitude volontaire » de la Boétie, il constate que le système capitaliste ne perpétue sa domination que parce que nous le laissons faire. Certes, nous n'avons pas le choix de vivre en-dehors, et la lutte est par trop inégale. Alors le meilleur moyen de le combattre est-il peut-être de ralentir, voire de ne rien faire, d'opposer au mouvement perpétuel requis par le capitalisme, à l'immolation de nos énergies vitales imposées par les marchés, une inertie salutaire, une grève du zèle, de « constituer pour ainsi dire des unités de partisans du moindre effort ». « L'abstention, la suspension d'activité, le non-engagement sont aussi des moyens d'agir ». En somme, pratiquons la démotivation. Chiche ?

Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
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