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Critique de LaSalamandreNumerique


Bonjour à tous,
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Voici donc le dernier roman de Christopher Paolini, écrivain américain de 37 ans, avant tout connu pour son cycle « jeunesse» en Fantasy (Série « L'héritage »). Cet auteur a commencé à écrire dès 15 ans et son premier grand succès,« Eragon », a été publié alors qu'il n'avait que 19 ans. Pour le livre que je vous présente, « Idéalis », publié en septembre 2020 il s'attaque à la science-fiction. Il aurait bénéficié d'un « contrat à 7 chiffres » et présente cet ouvrage comme « un space opera plein de vaisseaux spatiaux, de lasers, d'aliens et de batailles spatiales épiques » (Interview de l'auteur en novembre 2019 sur ABC news). Cet ouvrage, d'un écrivain connu, vise donc un grand succès commercial.
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L' « objet-livre » est conforme à cette ambition. Il est imposant, avec ses 845 pages, le papier est de qualité et la présentation au goût du jour pour romans « jeunesse », avec une première de couverture bleue et noire, qui brille selon l'angle lumineux retenu. La quatrième de couverture nous annonce que « L'espace cache des secrets infinis. Elle vient de découvrir le plus terrifiant d'entre eux ». L'éditeur est Bayard et la collection « pageturner-romans.com » (tout un programme !). Les différentes parties de ce long roman sont annoncées par des pages illustrées destinées à placer le lecteur dans l'ambiance et le travail graphique est de qualité.
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Ce roman est accompagné par une feuille A4 (première découverte lorsque j'ai ouvert le colis) nous annonçant : » Lors d'une mission sur une planète inconnue, Kira découvre un organisme vivant d'origine extraterrestre. Fascinée elle s'approche de l'étrange poussière noire… En voici un échantillon ! ». Juste en dessous figure un petit flacon, soigneusement scotché, comprenant un sable ( ?) noir avec de très légères paillettes brillantes. Suit une invitation : « Laissez-vous emporter dans un océan d'étoiles et plongez au coeur de l'infini avec Christopher Paolini ! »
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Au verso de la première de couverture nous avons le traditionnel résumé figurant habituellement sur la quatrième de couverture : »Kira Navarez rêvait d'un monde nouveau. Elle vient de réveiller un cauchemar d'une ampleur intersidérale… Lors d'une mission de routine sur une planète inconnue Kira découvre un organisme vivant d'origine extraterrestre. Fascinée elle s'approche de l'étrange poussière noire. La substance s'étend sur tout son corps et commence à prendre le contrôle. Kira, en pleine transformation, va explorer les dernières limites de sa condition d'être humain. Mais quelle est l'origine de cette entité ? Quelles sont ses intentions ? La scientifique n'a pas le temps de répondre à ces questions : la guerre contre les aliens est déclarée, et Kira pourrait bien être le plus grand et le dernier espoir de l'humanité »
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Ouf, présentation « objective et neutre » terminée ! Mission accomplie et je justifie les 2 étoiles (3.5/5 pour l'objet et 1/5 pour le texte lui-même). le livre est « un objet bien fait et pouvant plaire au pied du sapin ».
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N'en déplaise à l'auteur, qui nous propose une sympathique postface (8 pages) expliquant la genèse du roman, cet ouvrage me semble viser bien plus un public adolescent (au sens large) qu'adulte. Tentons donc de le regarder selon cet axe, avec un regard de professeur-documentaliste de collège.
- Genre : Science-fiction. Lectorat faible actuellement mais ce peut être l'occasion de faire glisser des passionnés de Fantasy vers ce genre, la renommée de l'auteur pouvant y aider.
- Lectorat possible : Les deux sexes, avec une héroïne de sexe féminin mais très aventureuse et un livre comprenant de très nombreuses scènes d'action. le livre est long mais est accessible dès la 6e vu sa simplicité de lecture comme des dialogues nombreux et « faciles". le nombre de personnages est réduit et leur psychologie a une complexité très limitée. Pour autant quelques références sexuelles (peu nombreuses et « soft ») mais surtout une grande violence (sans registre horrible) semble plus destiner ce produit à la catégorie 5e-3e.
- Présentation attractive du livre, ce qui aide à le « vendre » à un public jeune, de même que le nom de l'auteur.
- L'effet « page turner », même s'il n'est pas parfait, existe et peut favoriser une lecture de l'ensemble de l'ouvrage.
- Premier tome d'une série, qui n'a pas de réelle conclusion, même partielle, ici. Donc il faut prévoir d'acquérir la suite. 19.9€ pour ce premier livre.
- L'intérêt de l'ouvrage est très limité (j'y reviendrai de façon argumentée).
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Conclusion : un achat possible mais faute de mieux, si le budget annuel est conséquent (ce qui est une chimère comme le savent tous les professeurs documentalistes actuellement).
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Tentons de regarder maintenant ce roman en tant qu'amoureux de science-fiction. Une conclusion s'impose d'emblée : ce n'est franchement pas bon.
- L'écriture est pénible (j'y reviendrai), avec l'impression d'un délayage permanent. Même pour qui lit vite l'absence de densité des propos fait que finir cet ouvrage semble looong ! Par ailleurs la façon d'écrire, à la fois familière et répétitive, rend la découverte de l'ensemble assez fastidieuse.
- le scénario est à la fois insuffisant en densité pour un ouvrage de cette longueur et, parfois, peu cohérent/convaincant. Paolini nous explique qu'il a écrit et retouché N fois ce livre sur de nombreuses années… eh bien cela se ressent. Il nous dit avoir, au final, réussi, en réécrivant, à unifier l'ensemble. Je n'ai pas la même perception.
- Paolini veut que ce livre soit un hommage au genre. Il est distrayant parfois de noter en effet de nombreux clins d'oeil à diverses références, tant livresques que pour les blockbusters cinématographiques (avec une attention particulière accordée à la série des « Alien ») mais cela fait parfois aussi penser à un amalgame de plagiats peu inspirés.
- L'auteur, qui par ailleurs reconnaît avec honnêteté n'avoir aucune culture scientifique, annonce s'être beaucoup documenté pour proposer un livre « cohérent », dans une approche qui pourrait se rapprocher de la « Hard SF ». Ben oui… mais non ! La hard SF place largement la science au coeur de l'ouvrage, c'est ce qui donne le sens et est par ailleurs enrichissant à lire (je pense à « Tau O » ou, plus récemment, aux livres de Greg Egan) ; là c'est juste d'une part pauvre et indigeste et d'autre part mal greffé/amalgamé à un récit de type space-opéra pour adolescents. L'ensemble est artificiel et indigeste. Un exemple ? « Les principes mathématiques qui sous tendaient le fonctionnement d'une propulsion Markov étaient éminemment complexes. Son utilisation, en revanche (d'après ce que Kira comprit), était plutôt simple. On recourait à la destruction de l'antimatière pour générer de l'électricité, laquelle alimentait le champ électromagnétique conditionné qui permettait le passage dans l'espace superluminique. Plus la densité énergétique du champ était faible, plus un vaisseau volait vite, car une énergie moindre se traduisait par une plus grande vitesse dans l'hyperespace (contrairement à l'espace normal). le rendement d'échelle signifiait que les plus gros bâtiments atteignaient des vitesses de pointe supérieures, mais, en définitive, le facteur bloquant relevait d'une difficulté technique. le maintien des champs à basse énergie était une opération délicate. Ces champs étant sujets à de nombreuses perturbations venant de l'intérieur et de l'extérieur de l'appareil, un puits de gravité puissant pouvait ramener brutalement un vaisseau dans l'espace subluminique. Même au cours des vols interstellaires, le champ devait être rajusté plusieurs fois chaque nanoseconde afin de conserver un semblant de stabilité. ». Coincé entre deux dialogues plats, pauvres et familiers c'est « assez perturbant » et complique le ciblage d'un lectorat identifiable.
- Pour un space-opéra une écriture simple et de nombreux dialogues « faciles » ne sont pas un handicap, le lectorat visé ne recherchant en général pas de la « grande littérature ». Pour autant ce genre privilégie l'aventure mais aussi le rêve, souvent des histoires romantiques comme l'évolution « psychologique » des personnages. le problème ici est que le côté « young adult » de même que le manque de cohérence de l'ensemble pénalise lourdement cette approche. Mieux vaut mille fois un vieil Edmond Hamilton en somme, qui reprend tous les attendus du genre : « cité impériale stellaire, souverain, princesse, amour caché, combats spatiaux, intrigue politique ». Ici il y a surtout voire presque exclusivement des combats spatiaux (plus violents qu'habituellement) au sein d'une histoire faible et parfois incohérente.
- L'introduction d'aliens en science-fiction est souvent l'occasion d'une mise en abyme, d'une réflexion sur l'altérité. Hélas pas ici. Sur le plan physique, il y a profusion de différences (tentacules et autres liquides visqueux) mais la façon de penser et de se comporter est « radicalement humaine ».
- Ce pourrait aussi être un livre de SF « initiatique », autre genre pouvant avoir un attrait…sauf que, là encore, la dimension « adolescente » (au sens le plus négatif voire méprisant du terme) pénalise grandement l'histoire. L'héroïne est au départ adulte en nombre d'années mais pense et ressent comme si elle était la caricature intellectuelle et affective d'une enfant de 10-12 ans vu par un adulte condescendant. le « summum » de la « profondeur psychologique » de ce roman est atteint de la page 729 à la page 750… et peut se résumer de la façon suivante : « Nous ne sommes pas coupables de ce qui arrive de notre fait si nous ne pouvions pas savoir ou maîtriser ce qui est arrivé. Et, de toute façon, il ne sert à rien de ruminer le passé en se détruisant : il faut savoir aller de l'avant ». 21 pages « incroyablement intenses » qui révolutionnent la philosophie, la psychologie… et accessoirement ma vie ! le pire est que c'est la partie la plus « forte » de l'ouvrage, largement préparée et mise en avant dans ce roman.
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Conclusion : cela n'a vraiment pas d'intérêt pour un amoureux de SF tant il y a infiniment plus enrichissant et plaisant ailleurs, dans des centaines voire des milliers d'ouvrages.
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Tentons un rapide regard « littéraire » : celui de qui aime une écriture élégante, un style brillant… le plus simple est de laisser l'auteur s'exprimer et chacun se faire son avis.
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- Premières lignes du roman et aspects « descriptifs » : « La géante gazeuse orange, Zeus, immense et basse sur l'horizon, luisait d'une demi-clarté rougeoyante. Autour d'elle, un vaste champ d'étoiles scintillait sur le fond noir du cosmos, tandis que sous le regard implacable de la planète s'étendait un désert gris zébré de roche. ». «Regard implacable de la planète » ? Et que dire de cette accumulation de poncifs… Et pourtant c'est largement meilleur (plus soigné ?) que la suite.
- Premier propos de Kira : « - Bordel ! Pesta-t-elle ». Joli contraste sans doute avec ce qui précède mais… bon….
- Des dialogues pris plus ou moins au hasard, sachant qu'ils sont une bonne part du livre :
[[Ici Kira : Et Ctein règne sur les eaux depuis tout ce temps ?]]
[[Ici Itari : Depuis plus longtemps encore]]
[[ Ici Kira : Toujours sous la même forme ?]]
[[Ici Itari : Oui]]
La forme n'est pas de moi et ajoute une lourdeur à ce qui est sinon insipide.
- Les parts « action » :
« Sept vaisseaux
À côté d'elle, Falconi parlait à toute allure dans le micro de son casque. Au milieu de la navette, Koyich en faisait autant.
P'tain jura Sanchez. On dirait que les medz étaient déjà à rechercher le bâton bleu.
Un grand bruit métallique résonna lorsque Tatupoa gifla la tête casquée de Sanchez.
- Non crétin. Elles nous ont filés jusqu'ici, c'est pas possible autrement
- C'est la première fois qu'on les voit faire ça, intervint le caporal Nishu. Saloperies »
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Mais que c'est beau !
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Bref, si je remercie, naturellement, Bayard pour m'avoir fait parvenir ce livre je veux aussi, sans cibler personnellement Paolini ou cette maison d'édition, cette collection, m'insurger de façon virulente contre cette tendance commerciale qu'il y a à produire des livres « Mac-Do », se voulant « page turners » mais utilisant les mêmes recettes au final que le géant de la malbouffe malsaine : Gras, salé, sucré, à la fois indigeste et ne rassasiant pas. Ici tout est indigent (sauf le marketing ?) et que reste-t-il à la fin de la lecture à part une vague honte d'avoir perdu son temps avec « ça » ? le pire serait de s'y habituer. le pire ? Non, le pire est de proposer cela à nos enfants comme « référence culturelle » (culturelle !!) alors que, pour tous les âges, il y a tant de possibilités d'accompagner une découverte vers plus de profondeur et de beauté !
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« Maintenant elles étaient là.
Non plus en éveil, en méfiance, et rassemblées sous l'influence de la crainte par troupe, harde, files et bandes, selon la race, la tribu, la famille, mais confondue et mêlée au sein d'une sécurité ineffable dans la trêve de l'eau, en paix avec la brousse, elles-mêmes et l'aurore. À la distance où je me trouvais, il n'était pas possible de distinguer l'inflexion des mouvements, ou l'harmonie des couleurs, mais cette distance ne m'empêchait pas de voir que les bêtes se comptaient par centaines et centaines, que toutes les espèces voisinaient, et que cet instant de leur vie ne connaissait pas la peur ou la hâte.
Gazelles, antilopes, girafes, gnous, zèbres, rhinocéros, buffles, éléphants – les animaux s'arrêtaient ou se déplaçaient au pas du loisir, au gré de la soif, au goût du hasard.
Le soleil encore doux prenait en écharpe les champs de neige qui s'étageait au sommet du Kilimandjaro. La brise du matin jouait avec les dernières nuées. Tamisés par ce qui restait de brume, les abreuvoirs et les pâturages qui foisonnaient de mufles et de naseaux, de flancs sombres, dorés, rayés, de cornes droites, aigues, arquées ou massives, et de trompes et de défenses, composaient une tapisserie fabuleuse suspendue à la grande montagne d'Afrique.
[…]
Juste à cet instant, un avertissement intérieur m'arrêta. Une présence toute proche s'opposait à mon dessin. Il ne s'agissait pas d'un animal. J'appartenais déjà leur camp, à leur monde. L'être que je devinais – mais par quel sens ? – appartenait à l'espèce humaine.
J'entendis alors ces mots, en anglais :
– vous ne devez pas aller plus loin.
Deux ou trois pas me séparaient au plus de la silhouette fragile que je découvris dans l'ombre d'un épineux géant. Elle ne cherchait pas à se cacher. Mais comme elle était parfaitement immobile et portait une salopette d'un gris éteint, elle semblait faire partie du tronc auquel elle s'appuyait.
J'avais en face de moi un enfant d'une dizaine d'années, tête nue. Une frange de cheveux noirs et coupés en boule couvrait le front. le visage était rond, très hâlé, très lisse. le cou, long et tendre. de grands yeux bruns qui semblaient ne pas me voir étaient fixés sans ciller sur les bêtes.
À cause d'eux j'éprouvai le sentiment très gênant de me voir surpris par un enfant à être plus enfant que lui. » (Kessel, début de « le lion »)
J'ai lu ce livre en 6e et quel gouffre avec les sous-produits comme "Idéalis" !
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Pitié pour notre jeunesse, cessons de lui infliger une sous-culture au final débilitante sous le prétexte honteux que cela lui serait « plus accessible » !
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