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Critique de Gonavon


Ceci n'est pas une critique, je ne donnerai pas d'étoiles car je confesse déjà ne pas avoir lu le livre. Voyez le plutôt comme une rétrospective. Oui, ça parait étrange que quelqu'un qui n'ait pas lu la série en fasse une rétrospective, et je vous le concède. Mais ce ne sera pas une rétrospective ou un résumé de la série, plutôt une analyse du contexte, de ce qui entoure les romans.

Je me crois apte à rédiger cela ne serait-ce que parce que j'ai eu, pendant un bon bout de temps, une fascination morbide envers Paolini et ses écrits. Car moi aussi j'étais un jeune écrivain plein de rêves, qui écrivait (et écrit encore) des grandes aventures médiévales avec des dragons et des épées. Je me croyais seul – et je l'étais à mon école – mais comme j'ai réalisé en explorant l'internet, les écrivains adolescents ne sont pas du tout rares.

C'est un mythe qui persiste encore aujourd'hui, mais la vérité est que les adolescents qui écrivent sont très nombreux, que ce soit de la fanfiction, de la poésie, des chansons, des nouvelles ou des débuts de romans. Un peu plus rares sont les adolescents qui écrivent des romans du début à la fin, et qui se retrouvent avec un manuscrit. Ces manuscrits sont, dans 95% des cas, mauvais, écrits par des écrivains qui n'ont pas encore trouvé leur style, qui expérimentent encore et cherchent leur voix, et qui ne sont pas les plus aguerris dans leur domaine.

Donc, logiquement, ces manuscrits n'ont que deux destins : soit ils pourrissent dans un tiroir, ou ils pourrissent dans l'infâme « slushpile » des maisons d'édition. Parce qu'ils ne sont pas bons. Et je ne suis pas méchant de le dire, je suis juste brutalement franc. Mon premier roman aussi était un tas de merde fumant. 118 000 mots, des descriptions qui ne finissent pas, des personnages « empruntés » d'autres meilleurs livres, une histoire typique, une prose confuse et déplaisante à lire et j'en passe.

Mais j'étais jeune, et comme beaucoup d'autres jeunes écrivains, j'ai fait face aux refus des maisons d'édition. Par chance, l'une d'elle a été assez courtoise pour me donner son avis et ses conseils, que j'ai pris à coeur et utilisé pour m'améliorer. Je me rappelle notamment qu'elle me disait surtout de retravailler la réécriture, la prose, et de me pratiquer sur des formats plus courts comme des nouvelles, et d'essayer d'en publier dans leur magazine.

Mon deuxième roman était mieux, mais encore mauvais. Mon troisième, réalisé en même temps qu'un début de cégep et pendant la rédaction de pièces de théâtre, de nouvelles et de poésie, était un grand écart en termes de qualité. Mon quatrième était encore meilleur, mais aussi trop crispé dans l'écriture, en grand manque de peaufinage. Mon cinquième est encore en travail.

Tout ça pour dire que, si un jeune s'attèle à l'écriture, il va inévitablement faire face à des critiques, des avis, des conseils, des refus mais aussi des encouragements. Et tout ceci est vital à son bon cheminement, il faut qu'il réalise que sa main n'est pas celle d'un maître, il doit rester humble, il doit s'exercer dans différents formats, il doit expérimenter et sacrifier beaucoup de temps et d'efforts pour produire quelque chose d'un tant soit peu meilleur que son essai précédent.

En quoi cela concerne-t-il Paolini? Honnêtement, ça ne le concerne que très peu, mais pour les mauvaises raisons. Il a commencé comme nous tous, jeune écrivain avec de grands rêves. Il a été éduqué à la maison, par ses parents qui possédaient leur propre maison d'édition indépendante, Paolini LLC. Il a fini son éducation très tôt et, ensuite, s'est mis à la rédaction de ce qui deviendrait Eragon, dont le premier brouillon, comme il le répète souvent à ses interviews, avait Kevin comme le nom du personnage principal.

Paolini dit ensuite avoir lu un livre détaillant le monomythe (sans doute de Joseph Campbell) et avoir de ce fait appris comment réécrire son roman qui deviendrait Eragon. Ses parents possédant une maison d'édition, ils ont décidé de le publier et, puisqu'il avait fini son éducation, ils sont partis faire un long voyage à travers les États-Unis, promenant et paradant leur fils écrivain dans un habit médiéval ridicule, le faisant faire des conférences dans des écoles où il s'introduisait et vendait son livre.

Ils se sont aussi installés aux abords de magasins avec un kiosque pour vendre son livre. Alors qu'ils en faisaient la vente près d'une épicerie, la femme de Carl Hiaasen (un auteur établi) a acheté leur livre et l'a donné à leur fils pour qu'il lise pendant leur voyage. Leur fils a beaucoup aimé, Hiaasen l'a montré à son éditeur et pouf, voilà que s'amorce son succès.

(Source : https://www.youtube.com/watch?v=fZ734utZM4U)

Mais si on regarde de plus près, ce succès est plus insidieux qu'il le parait. Knopf l'a publié, une grosse maison d'édition américaine qui sait comment faire des affaires. À l'époque, la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson venait de se terminer, plein de films de Fantasy sortaient pour en faire la concurrence, Harry Potter demeurait un succès; les gens avaient envie de voir et lire de la Fantasy.

Quoi donc de meilleur qu'un jeune écrivain qui, en imitant Tolkien, s'est doté d'une prose dense remplie du jargon du thésaurus, qui parait donc sophistiquée et révèle une histoire si cliché et classique dans sa construction que n'importe quel abruti la comprendrait et se régalerait du bien et du mal noir sur blanc. Ensuite, plus qu'à le déclarer comme un prodige et le lancer dans une phénoménale campagne publicitaire et voilà que tous les pigeons du monde tombent pour ce jeune homme si charmant qui a écrit un roman à lui tout seul! Wow! Quel champion!

Je vais leur donner le mérite, les gens chez Knopf savaient comment s'y prendre, même si la situation était surtout une énorme chance; c'était une chance que Hiaasen trouve le livre; une chance que Paolini écrive comme il écrit; une chance que sa famille ait une maison d'édition; une chance qu'il ne soit pas à l'école et restreint par ses études. Toutes les étoiles étaient alignées, mais en quoi cela les rend-elles insidieuses, si ce n'est du népotisme et du cynisme évidents qui ont fait naître cette sensation?

Il a eu son succès, il est reconnu, il n'a plus à travailler un jour de sa vie, il a été publié; ma foi, es-tu jaloux, Gonavon? Non. Je l'étais, dans mes débuts, quand j'écrivais encore mon premier roman, mais aujourd'hui le cas de Paolini me rend surtout triste. L'histoire de Paolini est celui de la foudre embouteillée; ça ne se reproduira sûrement jamais. Si une grosse maison ne l'avait pas publié, ça l'aurait sûrement ruiné sa famille, car il dit que le succès de son livre était vital, et que ses parents étaient déjà dans une situation économique précaire.

Si ça n'avait été que leur petite maison d'édition, il aurait aussi eu le risque qu'il se produise une chose similaire aux déboires de Gloria Tesch, une autre jeune écrivaine qui, contrairement a lui, n'a jamais eu son grand contrat d'édition, et dont les parents poules la proclamaient comme une prodige et la protégeaient des critiques (suffit de chercher son nom, les témoignages et vidéos sont époustouflants). Paolini a eu un peu du même traitement de la part de ses parents.

En effet, sur les forums Shurtugal.com, son père, Kenneth Paolini, utilisant l'alias Awakoa, a souvent bloqué, supprimé et banni des messages et membres qui osaient critiquer les textes de son fils, tout comme le font d'autres modérateurs du site. Ne pouvant plus s'exprimer librement, ces gens bannis se sont réunis ailleurs, sur un nouveau site nommé Anti-Shurtugal.

Contrairement aux rumeurs et aux dires des fans de la série, ce site n'est pas un antre de gens qui veulent simplement détruire et haïr Paolini. Il s'agit d'un endroit où ils déconstruisent ses livres et adressent tous les problèmes qu'ils y trouvent. Ils ne sont pas méchants, impolis, ils ne vont pas gueuler sur Shurtugal, même qu'encore là ils sont les victimes, car la demoiselle qui tenait le site s'est fait harceler par un fan de la série qui va du nom de Kapu666.

(Source : https://eragon-sporkings.fandom.com/wiki/Epistle_the_Third)

Sur les forums de IMDB, ses informations personnelles ont été révélé, Kapu666 utilisant le prétexte qu'elle « rêvait si elle croyait pouvoir maintenir un site de haine et rester anonyme ». D'autres fans de la série se sont aussi montrer vocaux envers lesdits « haters » qui ne sont rarement plus que de simples critiqueurs, peut-être démontrant l'immaturité de l'oeuvre si elle attire autant de gens immatures. Il n'y a qu'à aller voir les critiques mauvaises sur Goodreads pour se donner une idée de la hargne que ses fans répandent, ou simplement d'aller se promener sur leurs forums pour voir leur excellente maîtrise de la grammaire et la logique. J'oserais même dire que ce phénomène s'étend aussi sur Babelio, mais je n'en dirai pas plus. À noter bien sûr que pas tous les fans sont ainsi; je ne m'abaisserai pas à une généralisation, mais disons juste que s'il s'agit bien d'une minorité, alors c'est la minorité la plus vocale qui existe.

Tout ça pour revenir au fait que je trouve la situation triste, car non seulement Paolini est protégé des critiques dont il a besoin, mais il s'est fait appeler un prodige dès son premier livre. Ses fans sont vocaux et passionnés, il n'a donc aucun besoin de surpasser son niveau présent, il ne ressent plus le désir de s'améliorer si partout on lui dit qu'il est déjà excellent, et que partout il ne reçoit que des éloges à son égard. Il vit dans son petit monde, dans sa bulle, où il est aussi bon que Tolkien avec qui il a dit comparer son écriture quand il est « à son meilleur » .

(Source : http://impishidea.com/criticism/an-hour-with-paolini)

Nul doute que son ego s'en est gonflé un peu, ça ne peut qu'être un effet secondaire d'être autant couvé par ses parents. Ainsi donc part toute critique ou point faible qui peut lui être adressé. Franchement, selon tout ce que j'ai vu et lu, il ne semble pas s'être beaucoup amélioré depuis son premier livre, mais si on peut le féliciter d'une chose, c'est que le plagia n'est pas aussi abondant dans ses derniers écrits que dans Eragon, où non seulement la structure est celle de Star Wars : Un nouvel espoir, mais où il y a aussi des scènes entières pigées dans d'autres livres, des noms un tantinet modifiés et des personnages recyclés.

(Source : https://antishurtugal.livejournal.com/215904.html)

(Source : https://aydee.wordpress.com/2006/12/17/eragon/)

Peut-être qu'un jour il réalisera ses illusions. Mais ce jour n'est pas encore venu, si on en juge par son caractère qui n'a pas changé et son nouveau livre, un spin-off d'Eragon qui est un recueil de nouvelles. Son accueil a été mitigé, ni bon ni mauvais, et contrairement aux centaines de milliers de critiques, celui-ci en a en-dessous de dix mille sur Goodreads. L'avis général, selon ce que j'ai lu, est que le livre est trop court, les histoires ne se concentrent pas sur Eragon, et que ça semble paresseux comme produit, fait surtout pour un profit.

Je ne voudrais jamais être à sa place. Il avait du potentiel, Eragon est un livre fonctionnel et qui raconte une histoire typique, mais il y avait du bon dedans. Il aurait pu s'améliorer et devenir un grand écrivain. Au lieu, sa chance s'est retournée contre lui et il n'est plus qu'un adulte de trente-cinq ans qui écrit du même calibre à propos du même vieil univers qui n'est qu'une Terre du Milieu recyclée.

Au lieu de le laisser s'envoler et grandir, ses parents et l'industrie l'ont transformé en « One-trick pony », un singe de cirque capable d'écrire la même phrase devant une foule ébahie de voir une si petite créature lettrée (qui en fait ne l'est pas vraiment). Et l'argent coule et le mot se répand, mais le singe ne peut pas réellement écrire, et devenant vieux, il ne peut toujours pas écrire plus, car ses maîtres le gardent en laisse, parce que le vieux tour marche et vend encore, parce que le nom de Paolini sur un livre est encore reconnaissable et vendable, parce qu'il est encore l'enfant prodige dans l'inconscient collectif, et qu'il ne sera que ça, tout comme Macaulay Caulkin n'est que Kevin McCallister.

Et c'est franchement tragique. Une carrière gâchée. Il n'est pas trop tard, mais je doute qu'il le réalisera un jour. Il vaudrait quasiment mieux qu'il meurt dans l'ignorance, parce que je n'ose pas m'imaginer le poids d'une telle réalisation.

Ainsi se termine ma rétrospective, certes d'un ton cynique et sans grand respect envers l'oeuvre ou son auteur. Mais je préfère être honnête que de masquer mon attitude, car elle paraitrait de toute façon. Je ne déteste pas Paolini, mais je déteste ce qu'il représente. À mes yeux, et aux yeux de beaucoup de jeunes écrivains qui ont enduré et persisté, il a pris la porte arrière et s'est injustement vu remettre toute la gloire. Il n'a pas souffert, il n'a pas lu les refus, il n'a pas écouté les critiques, il n'a pas eu à se malmener pour se faire publier, il n'a pas eu à attendre l'agonisante attente. Il a travaillé, oui, mais pas assez pour en mériter autant, et puis après, il ose donner des conseils aux jeunes écrivains qui luttent encore, et il ose dire que c'est facile.

Bravo pour avoir fini un roman, et d'autres romans et projets. Mais rien de plus. Le seul autre mérite que je pourrais donner à ses écrits, c'est d'être un excellent manuel de choses à ne pas faire en écrivant son propre roman. Les analyses sur Anti-shurtugal et Eragon Sporkings sont approfondies et montrent toutes les erreurs, toutes les choses à ne pas faire et, en retour, expliquent ce qu'il aurait dû faire pour améliorer le texte. Et ces analyses sont aussi très plaisantes à lire, parsemées d'humour et de divagations plus générales sur la littérature.

Et enfin, si vous êtes un fan de l'auteur ou de la série, et que vous avez eu la force de lire jusqu'ici, alors je tiens à vous dire ceci : ignorez ma rétrospective. Si Eragon vous apporte de la joie, grand bien vous fasse. Si c'est grâce à ces livres que vous avez été introduits à la Fantasy (comme c'est souvent le cas), c'est génial! Mais je ne vois pas ces livres comme étant autre choses qu'une introduction médiocre à un genre qui a tellement mieux à offrir. Chérissez vos souvenirs et vos livres, mes mots ne devraient en rien vous dissuader ou vous châtier parce que vous aimez ces livres. Ils sont à vos goûts, ils vous sont bons et précieux, c'est tout ce qui importe et personne ne devrait vous dire le contraire.
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