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EAN : 9791036001215
272 pages
L’Atalante (25/08/2022)
3.61/5   52 notes
Résumé :
Esther réhabilite des espaces naturels à l’aide des traces numériques que nous laissons tous sur la toile sans même y penser. Quand elle s’aperçoit qu’une vidéo archivée dans son téléphone, datant de son adolescence pendant le confinement du printemps 2020, a été modifiée, elle comprend rapidement que des forces qui la dépassent manipulent nos souvenirs.
Mais se met-on en chasse simplement pour récupérer un balcon fleuri sur une vidéo, alors même qu’une insur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Un techno-thriller haletant sur l'importance du souvenir à l'ère numérique … Olivier Paquet met en effet en valeur dans son dernier livre « Composite » l'influence des réseaux sociaux, des algorithmes et de l'Intelligence Artificielle (IA) sur nos souvenirs.

France, 2035, dans ce futur proche aux IA plus élaborées et sophistiquées qu'aujourd'hui, nous continuons à léguer quotidiennement aux réseaux sociaux nos vidéos et nos photos, piliers de nos mémoires et illustrations de nos sensibilités, témoins des moments clés de nos existences…miroirs de notre narcissisme aussi…L'auteur imagine qu'une IA modifie subrepticement ces souvenirs et que ce vol, cette vidéo changée, cette photo modifiée, même légèrement, va influencer notre vie présente, en se basant par là même sur l'hypothèse que nos souvenirs passés façonnent notre devenir, nos réactions, notre caractère. de quoi nous libérer d'un passé lourd ou de chaines invisibles, ou de quoi manipuler des masses jusqu'à l'insurrection.

Ce dernier point, la manipulation des foules par les réseaux sociaux, me rappelle d'ailleurs l'excellent essai de Giuliano Da Empoli « Les ingénieurs du chaos », permettant de comprendre comment certains partis d'extrême droite manipulent les électeurs afin d'orienter leurs choix de vote. Il m'avait permis de réaliser, avec un certain effroi, à quel point les formes de manipulation existent d'ores et déjà, et ce roman d'anticipation ne fait que forcer un peu plus le trait, ce qui parait complètement probable et réaliste d'ici une petite quinzaine d'années. Probable et réaliste également les nouveaux métiers imaginés par Olivier Paquet, métiers que la transition numérique va apporter, sur cet aspect-là j'ai trouvé le livre carrément visionnaire.

Tout démarre avec Esther, une éco-restauratrice. Esther nous interpelle immédiatement avec ce « vous » employé afin de nous expliquer en quoi consiste son métier, celui de connecter des gens à des réminiscences. Ce « vous » nous embarque aussitôt dans le récit. le réchauffement climatique a modifié profondément les paysages, le rôle d'Esther consiste à élaborer une restauration écologique de ces paysages transformés en se basant sur les images et les vidéos conservés sur nos téléphones et nos ordinateurs. S'inspirer des paysages qui créaient, par le passé, des moments heureux, des instants de communion, des spectacles de beauté, pour tenter de prévoir quelles plantes faire pousser, quel décor apporter, quelle organisation spatiale déployer afin de s'en approcher le plus. Esther utilise donc les bases de données de nos images et vidéos sans les transformer ni les voler mais juste pour s'en inspirer. L'objectif, en redonnant vie au souvenir, est que les générations actuelles et futures se sentent solidaires des générations plus anciennes.

« J'aimerais quelques chênes de plus à cet endroit, des frênes plus hauts et un vieux saule trempant ses branches là-bas. Bien sûr, quand tous les travaux seront terminés, je ne verrai que des jeunes pousses, des faces de pierre encore blanches et un flot toujours glauque à mes pied. Dans deux ans, les relevés géologiques confirmeront l'évolution que j'ai initiée, peut-être faudra-t-il procéder à une ou deux retouches, mais le résultat définitif n'aura de sens que dans trente ou cinquante ans ».

Une notification reçue sur son téléphone, notification se basant sur le simple rappel d'une photo ancienne prise durant le confinement de 2020, crée un trouble chez la jeune femme. C'est un souvenir heureux et précieux de son adolescence ce moment, cette promiscuité forcée avec son père, ce balcon en début de soirée au soleil couchant et pourtant, elle se sent perturbée au point de rompre avec son petit ami. Elle comprend peu après que la photo a été modifiée.

Experte en informatique, Esther va déceler une IA cachée derrière cette action et va réussir à joindre d'autres personnes qui vont subir prochainement une violation de leurs souvenirs. C'est ainsi qu'elle rencontre Vincent, policier au passé lourd, surnommé par tous « le fils du monstre ». Il s'occupe d'interroger les enfants victimes d'abus sexuels et est aidé, pour traquer les délinquants sexuels, d'un ensemble d'IA « les Chéris » qui se font passer pour des enfants afin d'être la cible des prédateurs précisément. Il va lui subir un vol de photo. Et étrangement, il va se sentir libérer du terrible souvenir associé.

D'autres rencontres, dont une certaine Manon qui transforme l'art vivant en mesure de popularité au moyen, là encore, d'IA, d'autres violations…et en ligne de fond une société en plein délitement…J'ai aimé la façon dont l'auteur plante le contexte politique, social, sociétal et écologique de cette France de 2035. Les écologistes sont à la tête du pouvoir, le changement climatique se fait un peu plus sentir, les réseaux sociaux ont une influence grandissante. Intelligent cette façon de nous toucher en faisant allusion aux grands événements récents comme l'épidémie de Covid 19, les Gilets jaunes (qui sont désormais Foulards blancs), l'attentat du Bataclan…Points névralgiques qui excitent les tensions que nous avons en nous et qui nous rend le récit émouvant et touchant, preuve s'il en est de l'importance des souvenirs même collectifs dans notre façon d'appréhender la vie en société, ici de plus en plus fracturée, binaire et manichéenne, bestiale même, réfléchissant uniquement en 0 et 1 sans pont possible entre les deux camps. Cette analyse est particulièrement bien rendue à la fin du livre et m'a particulièrement marquée.

De très bonnes interrogations sur le rôle du souvenir dans la construction d'un individu, un contexte sociétal en écho à nos traumatismes récents, une anticipation réaliste où l'on entrevoit nouveaux métiers engendrés par la transition numérique et nouvelles menaces dont on connait déjà les prémisses, une analyse sociétale dans laquelle nous percevons aussi bien les bienfaits de la technologie que ses dangers ; tout cela entremêlés à quelques maladresses de style, à de petites invraisemblances de scénario que je vous laisse découvrir ou à des petites difficultés de compréhension technique par moment. Un livre qui reste cependant intéressant, agréable à lire et sur certains aspects je dirais nécessaire même.

IA sans conscience est assurément ruine de l'âme.
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Après Les Jumeaux du Paradoxe, les éditions L'Atalante poursuivent leur rentrée littéraire avec un de leur auteur fétiche : Olivier Paquet.
En 2019, avec Les Machines Fantômes, l'auteur lyonnais nous invitait à prendre part à un techno-thriller malin et enlevé où la question de l'intelligence artificielle occupait une place centrale.
Il poursuit dans cette voie avec Composite, un roman plus court mais toujours très actuel qui s'intéresse cette fois à la notion de souvenir et à son importance à l'ère numérique.

Se souvenir des belles choses
Composite réduit le nombre de ses héros et se concentre sur l'enquête menée par Vincent, un flic chargé de dénicher des pédophiles sur les réseaux avec l'aide des Chéris, des I.As jouant le rôle d'enfants-appâts, et Esther, une « archécologue » qui reconstruit des espaces naturels en utilisant les traces numériques laissées par ceux-ci sur les photos/vidéos des gens du commun.
Leur rencontre n'a cependant rien de fortuit. C'est en effet par le vol d'un souvenir qu'Esther se met à la recherche de Vincent afin de l'avertir que lui aussi s'est fait rouler et que quelqu'un (ou quelque chose) tente de dérober des bouts de mémoires aux citoyens français. Mais pour découvrir le fin mot de cette histoire, Vincent et Esther vont devoir évoluer dans une France en crise où la révolte gronde. Paralysée par les « foulards blancs », le pays semble au bord du chaos alors que sur les réseaux on réclame la tête de la Première Ministre Adélaïde Ordenau, devenue ennemie publique numéro 1 depuis qu'un mystérieux « grand D. » a commencé sa campagne de désinformation sur Twittbook et que la situation est passée de la simple shitstorm aux fracas des CRS dans les cortèges.
Olivier Paquet resserre son intrigue et se concentre sur un nouvel aspect de notre société ultra-connectée, à savoir l'influence des réseaux sociaux, des algorithmes et de l'I.A sur nos souvenirs. Car sans s'en rendre compte, nous léguons à Facebook et consorts une masse formidable de vidéos et autres photographies qui font pourtant partie intégrante de notre mémoire.
Imaginez qu'un jour, on décide de modifier ces souvenirs numériques sans vous prévenir, en quoi cela va-t-il influencer votre vie présente ?
Incidemment, le français va bien plus loin que la simple étude technologique, il s'interroge sur le rôle joué par le souvenir sur notre futur nous, ou comment les évènements passés façonnent l'individu de demain.
Ne sommes-nous finalement qu'une construction mémorielle ? Peut-on résumer l'humain à la somme de ses expériences et traumatismes passés ? En sommes-nous prisonniers ?

Nuancer son époque
Pour répondre à ces questions, Olivier Paquet joue (encore) la carte du techno-thriller avec un fil rouge qui semble plus simpliste et tenu que son précédent roman en tentant de découvrir qui est le grand D. et comment déjouer son impact malfaisant sur la population. Plus intéressant là-dedans, le background que choisit le français où l'on retrouve naturellement l'influence de grands évènements récents comme les manifestations des Gilets Jaunes, l'attentat du Bataclan, la pandémie de Covid-19… En choisissant de nous exposer ces noeuds historiques, Olivier Paquet fait écho aux souvenirs plus intimes de ses propres personnages, il convoque le souvenir collectif que nous gardons tous de ces traumatismes et semble faire ressurgir au lecteur l'émotion ressenti face à ceux-ci. de façon maligne et intelligente, il prouve l'importance du souvenir et la façon dont ceux-ci affectent notre présent et notre ressenti.
Mais plus important encore, il plonge dans l'intrication entre souvenir, ressenti émotionnel et liens familiaux. Des éléments définitivement liés et qui permettent d'affronter le passé comme le présent… tout en décidant de notre avenir. C'est le rôle des parents, des conjoints, des petites amies qui va avoir un impact énorme sur notre façon de survivre aux temps, à travers les joies et les peines que le monde nous impose.
Enfin, profitant de cette enquête, Olivier Paquet nous parle de nuance(s), de polarisation de la société ou comment les réseaux sociaux et les évènements politiques concourt à fracturer la société. Nous voici dans une époque de haine avec des camps bien définis et complètement irréconciliables. Des camps en noir et blanc tellement coupés du réel, tellement bloqués dans le rôle de la victime ou du révolté, qu'ils en oublient qu'il existe des positions médianes et des ponts à construire. En cela, on saluera particulièrement l'analyse du mouvement des Gilets Jaunes à travers leurs cousins aux foulards blancs, débarrassant la chose de l'analyse politique dépassée pour revenir à des bases plus simples et autrement plus convaincantes. Pour comprendre que parfois, la machine ne s'arrête plus parce qu'elle ne sait plus qu'elle peut s'arrêter, qu'elle doit avancer pour exister dans une époque où l'on se noie dans la masse et l'information.
Reste alors à nos deux héros à dénicher une nouvelle façon de voir les choses, à prendre conscience de leurs souvenirs et de ce qu'ils peuvent en faire, qu'ils soient une souffrance ou une joie. Pour Olivier Paquet, la technologie n'est pas une mauvaise chose en soi (elle peut aider à reconstruire des environnements, à piéger des monstres, à communiquer à travers le temps et l'espace, à conserver une trace…) mais elle accentue et révèle les failles humaines, elle réveille nos démons et nous pousse parfois à réfléchir en 0 et en 1, transformant l'art en mesure de popularité, le monde en camps bien délimités, l'être humain en machines fantômes.
Mais le monde, lui, tend à s'éloigner du 1 pour tendre vers l'infini des possibles. Et c'est aussi cela être humain.

Techno-thriller efficace et percutant, Composite va heureusement bien plus loin que le jeu du chat et de la souris pour s'intéresser au souvenir et à son rôle dans nos sociétés modernes toujours plus complexes et polarisées. Olivier Paquet fouille nos mémoires et nos traumatismes pour mieux comprendre aujourd'hui et demain tandis que les réseaux s'enflamment et que les I.As tentent de comprendre la bête humaine. Passionnant.
Lien : https://justaword.fr/composi..
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Une spécialiste en archécologie, un policier gérant les crimes contre les enfants, une première ministre, des gilets jaunes… euh, pardon, des foulards blancs, un président écolo, un confinement. Et comme lien entre tout cela, des I.A. Composite, où une tentative de comprendre la société, une interrogation sur ce qui nous lie malgré toutes nos différences, toutes nos haines, un questionnement qui touche, forcément, chacun de nous.

Cela commence étrangement et intelligemment par une description de prise de photographie et une adresse au lecteur, puisque le pronom utilisé est « vous ». Tout de suite, Olivier Paquet cherche à nous inclure dans son livre, à nous interpeller. Et cela fonctionne, même si, finalement le « vous » n'est pas vraiment « nous », juste un « nous » possible. Mais cela permet de faire la connaissance d'Esther (un prénom décidément fréquent dans mes lectures actuelles : c'est ainsi que se nomme l'héroïne de L'aube est bleue sur Mars, de Florence Hinckel), qui a inventé le concept d'archécologie : en fouillant dans les photographies banales et privées, on tente de reconstituer la réalité d'un paysage transformé depuis par l'urbanisation. Il s'agit d'améliorer écologiquement parlant ces zones, tout en collant à un imaginaire collectif ancien. Pas celui des plaquettes institutionnelles vantant, à grand renfort d'images de synthèse exagérées le futur de ces lieux. Non, plutôt l'arrière-plan de photographies prises sur le vif, au hasard. Ainsi, on s'approche de la vérité globale, d'une représentation qui parle à la majorité. Pas la réalité, mais une image fantasmée par la plupart. Et cela fonctionne.

Cependant, un jour, Esther s'aperçoit que quelqu'un a changé une des nombreuses photographies qu'elle conserve dans son cloud personnel. C'est subtil et elle l'a raté au début : en fait, on a remplacé une photo prise de son balcon quand elle habitait avec son père par une autre photo prise un balcon plus haut. Quel est l'intérêt d'une telle substitution ? le mystère s'épaissit quand on découvre le deuxième personnage central de ce roman. Vincent est policier. Il s'occupe d'interroger les enfants victimes d'abus sexuels. Il est bon dans ce domaine, entre autres parce qu'il a vécu lui-même, dans son enfance, un traumatisme terrible dans sa famille proche. D'ailleurs, son père est toujours en prison. Et tout le monde le surnomme « le fils du monstre ». Lui aussi va subir un vol de photo. Et pour accompagner cette disparition, on note comme un changement de caractère de ces individus. Mais est-ce objectif ou une simple impression ? Difficile à dire, puisque nous ne les découvrons qu'à travers leurs yeux, leurs sensations. Mais cela peut faire penser, de loin, à un roman de Philip K. Dick où la réalité est manipulée, déformée, transformée. Une photographie, donc un souvenir, peut-il avoir une telle importance dans la construction d'un individu que sa disparation pourrait provoquer une changement de caractère, donc de vie ? Et parvenir à une amélioration de l'existence de la personne lésée ?

En arrière-plan de ces histoires de disparitions, Olivier Paquet peint, par petites touches, la description terrible d'une société en plein délitement. le covid et ses confinements sont passés par là. Un nouveau mouvement social est apparu : les foulards blancs. Ils revendiquent aussi avec certains débordements, comme autrefois les gilets jaunes. Et les week-ends se transforment en scènes d'émeute et de violence. Guidés en cela par un certain D. (qui fait penser au Q de la mouvance américaine Qanon), qui sait appuyer là où ça fait mal. En plus, le nouveau président, un écologiste, ne fait pas l'unanimité. Il apparaît plutôt comme un « politicard » typique, plus opportuniste que réellement préoccupé par le bien-être du pays et de ses concitoyens. Sur la quatrième de couverture, la citation de Télérama évoque évidemment Alain Damasio. C'est bien normal. Olivier Paquet s'interroge apparemment également sur la déliquescence de notre société : que reste-t-il pour nous lier ? Comment pouvons-nous encore vivre ensemble sans l'aide, et donc la surveillance constante, des I.A. ? L'être humain n'est-il plus capable de créer des conditions raisonnables et faisant sens nécessaires à une vie en commun ? Lui faut-il se mettre entre les pattes de machines comme des dieux décidant pour lui ce qu'il convient de faire, dans quelle direction se rendre ? Composite n'offre pas réellement de réponse. On sent que le docteur en science politique se pose des questions. À partir d'un constat qu'on peut contester, mais qui est étayé, il montre jusqu'où on peut aller et prend son lecteur entre quatre yeux. Et maintenant ? On laisse faire jusqu'à l'explosion ? L'enquête menée par Esther et Vincent ressemble parfaitement à une enquête policière, avec interrogatoire et fausse piste, recherche d'indices et pistes à vérifier. Même si elle se fait hors du cadre légal. Mais elle n'est pas qu'une recherche de coupable. Elle aboutit à une réflexion, une prise de conscience nécessaire.

Composite est donc un roman hybride, au rythme propre, à l'imaginaire torturé et dérangeant car proche de notre réalité. Mais il est un récit important car il oblige à se poser des questions. À ne pas se contenter de vivre au quotidien en espérant que les choses iront mieux d'elles-mêmes ou grâce à l'action des autres. Il pousse à s'interroger sur notre vie, sur notre société, sur notre désir de vivre ensemble et pas seulement chacun de notre côté. Mais aussi sur le poids des souvenirs et de la famille dans notre existence. Peut-on se construire sans oublier certains passages de nos vies ? Pour tout cela, Composite est un roman indispensable.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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J'avais déjà lu Les machines Fantômes d'Olivier Paquet et force est de reconnaitre que c'est un récit de haute volée que ce Composite, qui nous embarque dans un drôle de monde où une archéoécologiste se fait voler une vidéo souvenir sur les réseaux sociaux.
L'intrigue, sous couvert d'anticipation/SF, est en fait bien ancrée dans notre époque et il est impossible de ne pas s'y retrouver un petit dans cet étrange monde ultra-connecté.
Le roman nous embarque sur beaucoup de questionnements (écologie, manipulation, la place des algorithmes dans nos vies). étrangement tout cela fait écho à une autre lecture que je suis en train d'achever: L'Effet Werther. Très complémentaire pour ceux qui chercheraient à prolonger l'expérience.
La lecture est agréable, un bon page turner qu'on a du mal à lâcher. Bref, excellent roman que je recommande vivement.
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Une vision d'un futur proche n'a pas besoin d'être totalement apocalyptique pour capter l'attention d'un lecteur. Olivier Paquet a fait le choix d'une approche en tension, mais tout en subtilité, pour parler de demain.

Dans cette vision, une vingtaine années en avant, l'intelligence artificielle aura pris une place essentielle dans la vie quotidienne, que ce soit à titre personnel, au niveau professionnel ou encore dans le cadre des investigations policières. Un outil qui change clairement la manière d'interagir, sans pour autant tout dénaturer. Les algorithmes rythment le quotidien.

Dans ce roman assez court mais particulièrement dense, l'auteur trouve avec finesse de très intéressantes applications de l'IA, comme cette utilisation pour gommer les erreurs du passé et aider à reconstruire certains endroits à l'identique de « l'ancien » temps, plus proches de la nature, en utilisant les photos et vidéos de tout un chacun. Brillante idée !

Ou encore de traquer les pédophiles sur le net en faisant passer des IA pour des enfants.

Ce monde d'après, très proche, ressemble beaucoup au nôtre, les curseurs ont simplement été poussés un peu plus loin. A l'image de ces Foulards blancs, comme une extension du mouvement qu'on connait aujourd'hui, remontés à mort contre un gouvernement écologiste.

La société est de plus en plus fracturée. L'emballement incontrôlable, qui peut être attisé par quelques mots, est démultiplié par la puissance des réseaux sociaux qui servent à briser le lien davantage qu'à le maintenir. le délitement de la société devient jour après jour plus prégnant, rendant le dialogue presque impossible.

C'est dans ce contexte explosif que l'écrivain raconte une enquête atypique. Puisque derrière cette situation semble s'étendre l'ombre d'une intelligence artificielle.

Sous couvert d'un techno-thriller qui n'en est pas vraiment un, l'histoire raconte les recherches de deux personnes que rien ne devait se faire rencontrer. le récit tourne très vite à une quête intérieure et à une approche politique, remplie de réflexions. Un faux rythme, parfois un brin déséquilibré à mon goût, qui donne une vraie profondeur au récit.

Le sujet de fond, la perte de souvenirs, touche à l'intime. C'est évidemment ce point fort qui ressort, à étudier comment un souvenir façonne qui nous sommes, détermine notre manière d'être. de réminiscences en stigmates, que se passe-t-il lorsqu'on « perd » un souvenir fort qui a orienté la suite de notre existence en bien ou en mal ?

L'analyse de l'auteur est enrichissante, rendant cette fiction puissante de questionnements (et de propositions de réponses). Une richesse dans ce monde où l'humain se met à réfléchir de façon binaire, bien davantage que l'outil informatique lui-même.

Des points d'alerte sont amenés, comme la question de l'accès aux souvenirs numériques d'autrui (leur manipulation ?), sans juger à outrance, en amenant au contraire à penser en commun. La technologie est un outil et non une fin en soi, à nous de découvrir la meilleure manière de l'utiliser.

Composite est un roman d'anticipation qui ne se veut pas artificiellement alarmiste, mais pousse la réflexion sur ce qui est déjà en route aujourd'hui. Olivier Paquet déploie, avec talent et finesse, un récit prenant pour les lecteurs ouverts et à l'écoute.
Lien : https://gruznamur.com/2022/0..
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
En fin de matinée, la jeune fille retourna devant ses écrans pour faire le tri des données de la veille. Les spectacles d’humoristes pouvaient donner des résultats paradoxaux si on ne les combinait pas avec les informations des billets. Par exemple, si elle se fiait uniquement aux réactions des abonnés, le stand-up de Siddi Alfassi n’avait pas beaucoup plu. Les plaisanteries sur la culture marocaine avaient dérangé les habitués des places les plus chères, pas ceux du balcon, et encore moins les premiers rangs. Les propos provocateurs sur les femmes et les homosexuels n’avaient pas indigné de la même manière : les « oooh » réprobateurs cachaient un sourire chez plus de la moitié du public, du dégoût ravi chez un petit quart. En compulsant l’historique, Manon repéra les trente à quarante qui, plus tard, inonderaient les réseaux sociaux de leurs condamnations stériles. Même prévenus, ils accouraient, comme si l’anathème à lancer représentait l’unique exploit de leur existence. (...) Les caméras et les capteurs que Manon surveillait trahissaient l’effet pervers, cette joie d’avoir pointé le coupable et de le dénoncer pour devenir héros de sa petite communauté. Les algorithmes détectaient bien cette ambiguïté, pas un vrai choc, pas une vraie exaspération, une bouche tordue, un éclair lumineux dans le regard, une forme de désir.
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Vous vous êtes arrêté au milieu du chemin, sous deux arbres centenaires près du bord de la Saône. Par quoi votre regard a-t-il été attiré ? L’amas de roseaux à droite, le squelette gris d’un tronc torturé qui émergeait au centre ? Votre femme a fait deux pas avant de se rendre compte que vous ne suiviez plus, et il a fallu qu’elle crie pour que votre fille revienne en arrière. Vous, vous avez sorti le téléphone de votre sac en bandoulière et vous avez pointé le paysage.
L’eau sombre, un vert tirant sur le marron, charriait plastiques et débris sur les rives après un orage. Pourtant, à cet endroit précis, on ne voyait que les hautes herbes, la mousse et la rivière, même les collines au loin ne laissaient percer aucun toit dans le feuillage touffu des chênes. Est-ce pour cela que vous avez stoppé votre balade ? Il fallait un souvenir de ce lieu, de cet espace naturel, cela vous a frappé comme une évidence. Vous auriez pu mieux cadrer, vous accroupir pour intégrer la souche blanche en premier plan et donner de la profondeur au cliché. L’image est plate et, en dépit des corrections de l’algorithme, manifestement surexposée. Au moins, elle n’est pas floue, vous avez pris le temps malgré votre fille qui vous pressait de repartir, et vous avez appuyé sur le bouton. Tchic-clac.
(incipit)
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Beaucoup pensent que le numérique a introduit le faux dans les images, puisque tout est modifiable à la palette graphique. La manipulation remonte aux débuts de la photographie au XIXe siècle : on altérait la courbe du visage des actrices, on effaçait le révolutionnaire russe tombé en disgrâce. Dès qu’il y a un intermédiaire entre le sujet et l’observateur, il y a tromperie. Non, ce que le numérique a modifié, ce n’est pas le moins (moins de vrai, moins de réalisme), mais le plus. À commencer par un ajout d’informations. Il est devenu possible d’inscrire la date, l’heure, l’ouverture, la vitesse d’obturation de l’appareil, l’ISO et le lieu, de manière automatique.
Chacun peut alors trier ses souvenirs de vacances selon ses propres critères, sans se préoccuper du sujet. Automatique.
Toutefois, dans la masse de bits composant la matière même de l’image, certains ont découvert que l’on pouvait ajouter des messages – ils ont puisé dans l’art ancien de la dissimulation, la stéganographie. Je suis capable de détecter ce procédé grâce à des algorithmes et de chercher si on a modifié le codage des pixels. Invisible à l’œil nu, mais mon cerveau a peut-être enregistré la perturbation, et mon état en serait le résultat.
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En saluant le vigile dans le hall d’entrée, j’eus l’impression d’être suspecte, sans bien connaître mon crime. Pour des appels d’offres, nous travaillons parfois le dimanche, mais je n’étais jamais venue seule. Difficile d’expliquer que j’étais en crunch, comme tous les programmeurs de jeux vidéo qui s’épuisaient dans les mêmes locaux que nous à d’autres étages. Pas de teint hâve, pas de démarche hésitante, seulement l’air préoccupée, mais rien d’anormal. J’aurais dû parler de mon initiative à Evguéni et Lyudmyla, ils ne m’en auraient pas détournée. Pourtant, une partie de moi se voulait prudente et soupçonneuse, chose assez nouvelle qui m’intriguait. J’avais besoin d’être certaine de mes hypothèses avant de me confier à mes associés.
Pour me calmer, après avoir réveillé un terminal de nos machines, je lançai un café. Je pouvais rapatrier la vidéo en la copiant dans mes dossiers personnels. Pour l’instant, je me concentrais sur l’analyse des fichiers.
Beaucoup pensent que le numérique a introduit le faux dans les images, puisque tout est modifiable à la palette graphique. La manipulation remonte aux débuts de la photographie au XIXe siècle : on altérait la courbe du visage des actrices, on effaçait le révolutionnaire russe tombé en disgrâce. Dès qu’il y a un intermédiaire entre le sujet et l’observateur, il y a tromperie. Non, ce que le numérique a modifié, ce n’est pas le moins (moins de vrai, moins de réalisme), mais le plus. À commencer par un ajout d’informations. Il est devenu possible d’inscrire la date, l’heure, l’ouverture, la vitesse d’obturation de l’appareil, l’ISO et le lieu, de manière automatique. Chacun peut alors trier ses souvenirs de vacances selon ses propres critères, sans se préoccuper du sujet. Automatique.
Toutefois, dans la masse de bits composant la matière même de l’image, certains ont découvert que l’on pouvait ajouter des messages – ils ont puisé dans l’art ancien de la dissimulation, la stéganographie. Je suis capable de détecter ce procédé grâce à des algorithmes et de chercher si on a modifié le codage des pixels. Invisible à l’œil nu, mais mon cerveau a peut-être enregistré la perturbation, et mon état en serait le résultat. Je savais l’hypothèse délirante, je poussais un cran trop loin la notion de piratage. Ajouter du code malveillant dans des images, des vidéos ou du son pour s’emparer d’un ordinateur, la méthode était connue, mais une partie de moi était persuadée que la faille exploitée se situait dans ma tête, pas dans la machine. Il fallait bien un virus pour me changer, au moins.
Nous utilisions des programmes bien spécifiques pour analyser les documents nécessaires à nos restaurations, nous devions nous assurer qu’aucun n’était dangereux, d’autant plus que nous ne traitions que les originaux. J’observais les routines s’occuper de ma vidéo, tout en sirotant mon café. J’aurais pu me contenter de penser à des images subliminales, mais leur effet ne touchait pas des mécanismes psychologiques profonds. Surtout, je n’aurais pas dû être consciente de la modification, c’était toute l’utilité de ce genre de manipulation. Là, malgré ma résistance, je ne redevenais pas l’Esther que j’étais. Il fallait bien un agent puissant pour me détourner de moi-même. Alors oui, pourquoi pas un virus informatique transporté par la vidéo ? Qu’on ne me parle pas de folie, mon esprit était clair et décidé. Peut-être était-il trop tard pour nettoyer mon cerveau, me débarrasser de ce programme malveillant ? Je ne demandais pas d’aimer à nouveau Sylvain, juste de retrouver confiance, force et volonté.
Je pourrais me restaurer, puiser dans toutes les images et vidéos de ma vie, enregistrées sur mon téléphone ou ailleurs, pour sélectionner la meilleure version de moi-même, quelqu’un qui rendrait les gens heureux, sans méchanceté ni brutalité, bienveillante et compréhensive. J’éliminerais tous mes biais, tous mes privilèges, je déconstruirais ce dont je n’avais pas conscience plus jeune, afin de devenir quelqu’un de plus tolérant, plus solidaire. Belle comme un paysage après correction.
Une fenêtre s’afficha sur le terminal.
Raté pour la reconstruction, je n’étais pas infectée par un virus. Pas de message caché dans la vidéo, aucun procédé stéganographique détecté. Dommage, j’avais presque trouvé de la motivation pour ma rééducation sociale. Ma transformation demeurait mystérieuse. Je devais partir sur une autre hypothèse : cette séquence ne m’appartenait pas. La repassant de nouveau, l’explication me sauta si soudainement aux yeux que je faillis hurler en constatant ma bêtise : il n’y avait aucune plante sur le balcon. Ma mère s’en était plainte au téléphone et je n’avais pas réagi. Pourquoi je n’arrivais pas à me souvenir des arbustes qu’il avait mis en pot ? En tout cas, j’avais progressé en découvrant le détail manquant dans l’image.
J’évacuai tout de suite l’idée d’une aberration de TwitBook pour me concentrer sur une manipulation plus simple. On avait remplacé mon souvenir par un autre, à peu près équivalent, et mon cerveau avait tenté de rattraper l’erreur. Le pirate s’était contenté de modifier l’emplacement plutôt que de transformer un fichier existant. L’original n’avait pas changé de place, il avait seulement perdu son adresse. Faute de pouvoir lire chaque cluster des serveurs distants, aucun moyen de le retrouver. Cependant, le simple fait d’inscrire un nouveau chemin pour cette vidéo laissait une trace sur un journal d’événements. Dans la masse d’opérations traitées chaque seconde sur ces réseaux, une telle intervention n’attire pas la curiosité : elle est interne, non-destructive et ne met pas en danger la structure de l’ensemble. Un non-crime dont les conséquences étaient ma personnalité, pas mes données personnelles. Pas de divulgation de mes coordonnées bancaires, de mes opinions politiques ou du secret médical, rien qui inquiète les médias ni ne réveille l’antique spectre d’Orwell et de son Big Brother. Juste la vidéo d’un balcon remplacée par une autre. Je sentais pourtant que j’avais perdu un bien plus essentiel que le numéro de ma carte bleue.
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Il fallait cacher pour ne pas dissiper l’illusion, repeindre le mur pour combler les craquelures, et se métamorphoser en cette personne que tout le monde souhaiterait avoir comme amie. Les gens appréciés n’ont pas d’histoire, ils ne souffrent pas, ne s’épanchent pas. Les réseaux sociaux n’avaient pas su remettre en cause cette vérité ; pire, ils en avaient donné une version encore plus douloureuse, au point de devenir perverse.
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Vidéo de Olivier Paquet
Le romancier de SF Olivier Paquet explique que les IA remettent en cause le mythe de la créativité humaine.
Interview en entier : https://youtu.be/tIopiCFoCtg Notre site : http://www.artisansdelafiction.com/
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