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Critique de lezardbavard


Avec Désastres urbains, Thierry Paquot nous propose un nouvel et percutant essai sur la ville moderne : une critique concrète, et non idéologique, de la folie marchande et d'une de ses principales conséquences, la déshumanisation – qui n'est jamais si frappante que dans ces réalisations de l'hybris capitaliste, la démence et la démesure de ces villes où s'agglutinent les plus criantes de nos démissions.

Dans le sillage de Lewis Mumford, Thierry Paquot montre comment l'urbanisme productiviste, à l'image du monde industriel dont il reflète la logique et qu'il promeut, contribue à l'enfermement des individus dans une vie bétonnée, sans échanges. Dans l'approfondissement d'une modernité devenue folle, l'aménagement contemporain des villes poursuit le projet démentiel d'une maîtrise de la nature, objectif qui, avec l'urbanisation effrénée du monde, a si radicalement changé d'échelle ces dernières décennies qu'il a, au fond, changé aussi de nature : non plus seulement maîtriser la nature, mais désormais la remplacer par son fantôme artificiel.

Cet essai lumineux, précis, documenté, montre clairement que la démesure des projets urbains nous propulse dans un monde radicalement inhumain, où l'humain, coupé de sa mesure, de son échelle, n'a plus l'occasion, bientôt plus la possibilité, de se déployer. Compagnes de la servitude moderne, les villes se caractérisent en effet par leur gigantisme (ce dont témoigne particulièrement l'urbanisation frénétique de la Chine). Or, pour reprendre le mot si juste de Leopold Kohr, inspirateur du « small is beautifull », « chaque fois que quelque chose va mal, quelque chose est trop gros ». Grand ensemble, centre commercial, gratte-ciel, grands projets : l'urbanisme fourmille d'ambitions aussi pharaoniques qu'inhumaines. Et l'on peine, à la lecture de cet essai, à réfréner l'horreur qu'inspirent ces réalisations que nous avons pourtant sous les yeux ! Sous les yeux, mais nous ne savons plus voir, ne pouvons plus voir tant ce gigantisme déborde nos sens et notre raison, tant nos facultés humaines, à taille humaine et à hauteur d'homme, peinent à prendre la mesure de cette démesure, comme l'avait si bien analysé Günter Anders. Et ce n'est pas la moindre des qualités de cet essai que de nous offrir, en prenant de la hauteur et du recul, un panorama raisonné, de nous mettre face à l'aveuglante déraison de ces mégalopoles qui achèvent dans les murs la catastrophe généralisée, pour l'homme déshumanisé et la nature aux abois, du monde industriel.

À la fin de l'ouvrage, sous-titré « les villes meurent aussi », on se prend à espérer que cette fragilité nous sera au moins l'occasion de reconquérir sur ces monstres urbains un peu d'humanité et de liberté ! Mais le plus effrayant peut-être est que ces analyses, dont la précision, l'érudition et le style ne sont pas sans rappeler les plus belles pages d'un Augustin Berque, peuvent aisément s'appliquer à tous les problèmes du monde contemporain, problèmes dont l'urbanisation n'est en quelque sorte que l'avant-garde et l'expression la plus aboutie, la plus visible : déshumanisation, atomisation, démesure, servitude, marchandisation…
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