C'est avec des sentiments contrastés que j'ai lu cette dernière enquête de Nicolas le Floch. Tout d'abord le plaisir de retrouver des personnages que je connais depuis longtemps (environ 15 ans) et une pointe d'amertume de savoir que ce serait la dernière fois. Hélas, trois fois hélas, Jean-François Parot nous a quittés il y a déjà 1 an et avec lui un pan de la littérature policière et historique s'en est allé.
Il nous avait bien fallu quelques efforts à la lecture de l'Énigme des Blancs-Manteaux, pour nous familiariser avec une écriture si riche et un vocabulaire de l'époque à laquelle nous n'étions pas ou plus habitués, mais le plaisir de la formule s'était imposé de lui-même. Pas de phrases courtes, elliptiques, de textes sans relief et de mots tellement fades que nous rencontrons de plus en plus souvent. Là au contraire des expressions fleuries, des tournures de phrases savamment élaborées, des mots disparus à l'usage improbable aujourd'hui mais qui prenaient tout leur sens, souvent dans leur racine première. le premier qui me vient à l'esprit est qu'on n'était pas “assassiné” mais “homicidé”, et s'en sont suivis une théorie de mots et expressions tels qu'il fallait bien avoir un lexique pour les regrouper et que j'ai eu le plaisir de vous faire partager avec quelques “quiz” « Parlez-vous le XVIIIe ? ».
Venons-en maintenant à ce dernier récit.
Nicolas, tout jeune grand-père, passe quelques jours de repos à Ranreuil en compagnie de Louis son fils, Julie sa belle-fille et leur nouveau-né Nicolas. Awa et Secmagus sont du séjour ainsi que le Comte de Mezay, beau-père de Louis. Après une tentative de meurtre sur lui-même, et l'arrivée d'un chevaucheur porteur de deux messages mystérieux de Paris, le commissaire regagne en catimini la capitale pour retrouver Bourdeau et Sartine. S'ensuivent un double-assassinat, l'embastillement de Nicolas, son enlèvement et une séance de torture en quelques jours, ce qui fait beaucoup pour un seul homme. Rétabli grâce aux bons soins de Catherine Gauss et Secmagus revenu de Bretagne, le Floch retrouve un ami de jeunesse, Pigneau de Behaigne jadis séminariste et aujourd'hui Évêque d'Adran, protecteur du prince de Cochinchine et plénipotentiaire pour le compte du roi d'Annam, en poste pour signer un accord de commerce avec la France. Cependant, de nombreuses factions, anglaises, hollandaises et même triades annamites vont mettre tout en oeuvre pour faire échouer cet accord. Chargé par le roi lui-même avec le soutien de Sartine, le commissaire aux affaires extraordinaires va mettre en oeuvre tout son savoir-faire pour démêler cet écheveau de pistes “le tout environné de ténèbres”. le reste je vous le laisse découvrir, certain que vous serez avides d'en connaître le dénouement.
Cette fois encore, Jean-François Parot nous livre un texte extraordinairement enrichi d'un vocabulaire soigné, de descriptions de Paris et des parisiens dignes d'un observateur avisé de l'époque, le tout agrémenté de repas aux menus alléchants, souvent bien arrosés comme les aiment Nicolas et ses amis. Le contexte de l'aventure est malheureusement moins réjouissant : les mauvaises récoltes des années passées ont amené à la ville de nouveaux arrivants en quête d'une vie qu'ils souhaitent meilleure, le vent des frondes entre les trois ordres composant le peuple de France, l'hypothèse d'une convocation des États Généraux et l'expansion des idées du “siècle des lumières”, tout se ligue pour déstabiliser la société en cette fin du XVIIIe. Si l'on y ajoute la détestation grandissante à l'égard d'une reine, isolée par une cour frivole et dépensière, qui vit à des années-lumière du peuple et la faiblesse d'un roi incapable de prendre des décisions fermes, tout entouré qu'il est de conseillers plus avides de leur réussite que de celle du royaume, le vase de la contestation est sur le point de déborder et l'on ne sait que trop aujourd'hui, comment il va se déverser. L'auteur ne cache rien au lecteur de tous ces éléments, ce qui rend son récit d'autant plus crédible, qu'il fait croiser Nicolas le Floch et les personnalités de l'époque, du Duc d'Orléans à Olympe de Gouges, et de Restif de la Bretonne à Marc-Antoine Thierry de Ville d'Avray.
On pourrait encore dire bien des choses sur les romans de Jean-François Parot et son inépuisable culture, mais le mieux est de lire (ou de relire) ses quatorze romans pour en apprécier la qualité. Il nous restera tous ces livres donc, les quelques adaptations de qualité réalisées pour la télévision, et une bande dessinée qui reste à convaincre les amateurs de BD (dont je suis). Maintenant que la dernière page est tournée, il nous faut dire adieu à tous les personnages qui nous étaient devenus si familiers, et dont il semble que l'auteur ait voulu nous les faire rencontrer une dernière fois, sentant qu'il n'aurait pas l'énergie ni la santé pour aller plus loin.
À la manière d'un générique… Nicolas le Floch et Pierre Bourdeau. Louis de Ranreuil, Julie sa femme et le petit Nicolas. Monsieur de Noblecourt, magistrat podagre en retraite et sa maisonnée, Catherine la cuisinière, Marion la gouvernante, Poitevin l'homme à tout faire, sans oublier Pluton, Mouchette et Sémillante. Secmagus chirurgien de marine et Awa. Aimée d'Arranet, l'Amiral son père et Tribord, serviteur aux allures de boucanier. Messieurs de Sartine, de Laborde, et de Ville d'Avray. Louis XVI et Marie-Antoinette. Le Hibou : Restif de la Bretonne, écrivain roué et sans le sou. L'inénarrable Paulet au grand coeur, du “Dauphin Couronné”. Le père Marie et son cordial, Maître Vachon le tailleur, les aubergistes gourmets et gourmands. le fidèle Samson, de toutes les enquêtes, et le lieutenant Grémillon. Les mouches Tirepot et Rabouine et la troupe des petits vas-y-dire… Enfin pour le souvenir, La Satin devenue noble anglaise, Madame Louise, la tante du Roi, emportant dans son couvent le secret de la naissance de Nicolas… Et j'en oublie sûrement.
Merci Monsieur Parot.
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Voilà! Les aventures de Nicolas le Floch s'achève avec ce tome. Un Nicolas vieillissant mais toujours bien entouré, il faut l'avouer.
Pour des raisons personnelles, Parot a voulu mettre en avant un personnage diplomate, ami de longue date de Nicolas, l'évêque Pigneau de Behaine. L'enjeu est de taille : contre le soutien de la France vis-à-vis du trône de Cochinchine, un comptoir pourrait être créé. de quoi attiser envies et rivalités avec les puissances étrangères voisines de la France. de plus, alors que Nicolas est en retraite à Ranreuil, récemment grand-père, il se fait coup sur coup attaquer et sommer de revenir à Paris. Comme de coutume, tout cela finit par se mêler dans un but commun avec des détours incroyables : agressions, vol, torture, fausses accusations et meurtres.
L'enquête est donc assez tortueuse. J'ai laissé tomber et ai décidé de me laisser porter. J'ai beaucoup apprécié le langage coutumier de Parot, toujours aussi immersif. Les recettes de l'époque, alléchantes, et les idées des Lumières, nous plongent tout autant dans cette époque du XVIIIe s. Ainsi que le spectre de la Révolution qui rôde en arrière-plan. L'auteur nous le rappelle régulièrement par divers truchement. A ce titre, il m'aurait plu devoir notre Nicolas confronté à la Révolution. Mais peut-être est-ce tout aussi bien, lui si fidèle à la Couronne de France. Avec cette immersion historique de qualité, s'ajoute l'entourage de Nicolas, si familier. On a toujours l'impression de retrouver de vieux amis.
Je termine donc cette série qui, si elle n'est pas parfaite, reste cependant une très bonne série de romans historiques francophones à découvrir!
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— Puis-je au moins voir la victime ?
— Pourquoi pas, reprit Villefort, mais ne dérangez rien.
Nicolas écarta le médecin et entra dans la chambre à peine éclairée par
deux chandelles. Les volets intérieurs étaient fermés. Il découvrit avec
effroi, mouvement violent qui n’échappa pas au lieutenant criminel, le corps
de Cholet à la renverse sur le lit, la tête ensanglantée. Il était en chemise,
culotte et bas, sans souliers. Villefort saisit un pistolet et le présenta à
Nicolas.
— Reconnaissez-vous cette arme ?
Il lui semblait que tout s’effondrait autour de lui, c’était là le pistolet dont
il avait fait présent à Cholet. Pourquoi vos actes vous suivaient-ils ainsi ?
Que répondre ?
— Pourquoi devrais-je la reconnaître ?
— Parce que, Monsieur, vos armes sont gravées sur la crosse de ce
pistolet. Voyez les hermines et les chevrons. Vous sont-elles étrangères ?
Vous êtes ignorant de votre propre blason, Monsieur le marquis ?
Nicolas décida de s’enfermer dans le silence.
— Je n’ai pas souvenir de ce pistolet.
Il devait prendre garde et s’envelopper d’ambiguïtés. Ne jamais donner
prise à quelque soupçon que ce fût.
— C’est nier toute évidence, Monsieur, et je prends acte de votre
retirement. Il nourrit encore davantage les certitudes qui s’accumulent quant
à votre participation à cet assassinat.
— Là encore, dit Guyot, reconnaissez-vous la victime ?
— Nullement. J’ignore qui est ce jeune homme. Comment s’appelle-t-il ?
— Vous moquez-vous, reprit Villefort, vous savez parfaitement qu’il
s’agit de Gilles de Maradon.
— Je l’apprends. Je ne le connais ni d’Ève ni d’Adam, je le répète.
Louis XVI parut à Nicolas, qui ne l’avait pas vu depuis un bon moment,
derechef engraissé. Le visage était bouffi et les yeux gonflés bordés de
rouge. Il semblait à la fois las et irrité. Loménie, en habit court, triturait des
dartres qui le défiguraient. On prétendait à cet égard que le roi avait dû
surmonter sa répugnance et son dégoût avant de céder aux pressions et
accepter de le nommer ministre. L’homme avait la réputation d’un
ambitieux sans scrupule, d’un prêtre athée aux mœurs dissolues, le corps
rongé par l’eczéma.
Nul n’aurait supposé qu’il pouvait s’agir
d’une domestique. Nicolas la fit asseoir et lui demanda son nom.
— Émilie, Émilie Carette, Monsieur. Je vous assure que je n’ai rien volé.
C’est grande fausseté de m’accuser.
Elle se mit à pleurer. Nicolas lui tendit son mouchoir dont elle se
tamponna les yeux.
— Allons, dit-il d’un ton plein de mansuétude, rassurez-vous et racontez-
moi ce qui vous est arrivé et de quoi vous accuse-t-on ?
— Monsieur le commissaire, croyez que je suis une bonne et honnête
fille. Voilà-t-y pas que soudain ma maîtresse m’a accusée de vol. Elle a
fouillé ma chambre et y a découvert un collier de grenats qu’elle avait perdu
quelque temps auparavant. Elle m’a invectivée et tiré les cheveux. Mettre ça
à mon compte, moi qui depuis deux ans m’échine à la servir du mieux que
je peux, y compris le vieux dégoûtant.
-Décidément, remarqua Julie, M. Bourdeau est un amateur avisé et un gourmet. Les Français sont un peuple étonnant qui parle de cuisine en mangeant. C'est preuve de leur bonne et heureuse nature.
- Ceux, murmura Nicolas, qui ont de quoi manger.
— Savez-vous, Nicolas, que j’ai subi bien des traverses durant toutes ces
années. Vous vous souvenez que mon idéal devant le Seigneur était de
porter sa parole chez des peuples païens. J’ai essayé d’accomplir ce vœu à
mes risques…
— Et à tous périls, selon les nouvelles que le roi me faisait passer.
— Et les plus acharnés de mes persécuteurs n’ont pas toujours été ceux
que je souhaitais convertir. J’ai dû lutter contre le Saint-Siège où l’on
estimait qu’un missionnaire ne devait sous aucun prétexte s’immiscer dans
les affaires politiques des pays où s’exerce notre apostolat. C’était bien
facile à soutenir dans le silence et la pompe des palais romains.
Booktrailer - Nicolas le Floch - L'énigme du code noir