Citations sur 188 mètres sous Berlin (21)
Mais de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas.
La vie peut être parfois tellement tordue qu'on y comprend pas grand chose. Mieux vaut donc ne pas trop réfléchir, mais en profiter, écouter des chansons agréables et toujours choisir les solutions les plus simples.
Nous ne pouvions faire confiance qu’à nous-mêmes. Il s’agissait de la vie de plusieurs personnes. Creuser si près du but, ouvrir une brèche dans une cave, cela exigeait des nerfs d’acier.
Est-ce à ce moment précis qu'elle a réalisé que la ville où l'on parlait la même langue et où on respirait le même air était coupée en deux.
On peut frapper avec une matraque, on peut tuer avec une matraque sans même s'en rendre compte, car la matraque détruit les muscles, mais ne laisse pas de traces. A moins de frapper au visage. Voilà pourquoi, dans le chaos général qui régnait en bas, l'étudiant gisant dans une mare de sang et que Gerhard s'obstinait avec tant d'acharnement à photographiait, attirait l'attention. La police avait déjà établi un cordon autour de lui. Au milieu des uniformes, on voyait un groupe d'étudiants avec des brassards blancs. Ils tentaient en vain de repousser le mur policier. J'ai senti combien tout cela était grotesque. Sans doute Gerhard pensa-t-il la même chose, car quelques secondes plus tard, il reposa son appareil et j'ai entendu son murmure étouffé :
- Scheisse! Mais où est-ce qu'on est ?
C'est exactement ce qu'il a dit : "Scheisse! Mais où est-ce qu'on est ?".
De loin nous parvenait les hurlements des sirènes. C'est à cause d'elles, peut-être, que la police s'est écartée ? Les manifestants couraient vers le garçon blessé, tandis que Gerhard prenait des photos. Je me suis dit alors qu'il était un photographe, et rien d'autre. Et peu importe les circonstances, il se ferait tuer pour une photo !
On nous a vite sorti de la tête nos sympathies pour l’Est, mais cela s’est fait avec un certain savoir-vivre. Ils nous ont donc laissé le petit bonhomme vert, orange et rouge aux passages cloutés. Il a finalement été adopté par toute la ville de Berlin -par Berlin-Ouest aussi. Le bon petit bonhomme des feux de signalisation routière.
Notre langue ne fonctionne pas sans articles et sans pronoms personnels. J’avais du mal à expliquer cela aux Polonais et aux Russes. Les langues slaves, elles, obéissent à d’autres règles. Les Slaves ne disent pas « la maison », mais juste « maison ». Les Polonais peuvent dire « t’aime », sans y ajouter obligatoirement « je ». Je me demande comment ils arrivent à communiquer en s’exprimant de façon si imprécise, brouillonne. Magda n’en revient pas que je sois devenu si maniaque. En vérité, elle me prend pour un rustre arrogant. Bien sûr, elle ne le dit pas ouvertement, mais elle le pense.
Là où il y a des chats, il y a des gens.
La voix en provenance de la radio annonçait ce que j'avais pressenti d'instinct en entendant mes parents se disputer, ou lorsque les élèves de mon ancienne classe, à Berlin-Est, se divisaient en deux camps : les uns qui avaient peur, mais croyaient que les choses allaient s'arranger d'une manière ou d'une autre, et ceux qui, le lendemain ou le surlendemain, s'enfuiraient là-bas. LÀ-BAS. C'est-à-dire ici, là où je me trouvais désormais. Quelque part de l'autre côté d'un mur qui allait s'ériger sans trop tarder.
- C'est mon oncle, ça ? demandai-je pour me rassurer.
- Oui, mon petit.
- L'oncle Henryk ?
- Mais je viens de te le dire, oui, Henryk, fit maman en fronçant les sourcils.
J'ai passé l'album à Filip. Il me fixa, se gratta la tête et dit :
- C'est toi tout craché.
Dans sa voix, il n'y avait aucune ironie, juste de l'étonnement.
- Non, c'est toi !
Je le disais moi aussi sans le moindre sarcasme. Filip ressemblait vraiment à l'oncle Henryk. Cela me redonnait de l'espoir.
- Il ressemble à Henryk, je l'ai toujours dit, déclara maman.
- Qui ressemble à Henryk ? avons-nous demandé en même temps.
- Montre ! fit papa en reposant la bouteille.
- C'est tout Peter ! s'exclama papa.
- C'est tout Filip ! s'exclama maman.
- Fait voir, dit l'oncle en s'approchant de nous. Mais oui, en effet ! On voit tout de suite que c'est mon sang !
- Dieu nous en préserve ! murmura mon père, mais j'avais peut-être mal entendu.