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Critique de Klasina


Un vent frais et savoureux, un vent mordant et impétueux. Ainsi pourrait-on qualifier l'ensemble des pages des Provinciales que l'on tourne aisément. C'est un ton, dont l'ironie et le sarcasme, enjouent, la complicité s'instaure d'elle-même. C'est un style clair et précis, un raisonnement rigoureux, la qualité littéraire tinte comme un authentique joyau.

Témoignant d'une prose classique, d'un honnête homme du siècle, et si l'on peut dire d'un esprit marquant du XVIIe siècle, ces missives gravent à lettres dorées, le rôle noble de la " littérature. Au sens d'un écrit structuré, cohérent et riche en prouesses stylistiques, on en remarque vite la richesse textuelle. C'est aussi qu'elle met son pouvoir au service de la vérité.
Quand la raison se met à défendre la vérité par un processus de maîtrise, de code, et d'ordre, on entre à la frontière de l'argumentation et on y rencontre ses paysages différents : rhétorique, langage implacable, vivacité, finesse...

Par conséquent, l'irrationnel ne vient pas en l'aide de Pascal. Oui, il y a certainement un cri du coeur qui le pousse à agir, mais c'est la raison, par cette force, qui est en plus forte. Dès lors, peut-on dire qu'il y a une adéquation parfaite entre la philosophie de Pascal et ses Provinciales.

Que disent donc les Provinciales ?

Pascal s'attache tout d'abord à défendre Antoine Arnaud accusé injustement, et au-delà, les Jansénistes dont les Jésuites en disent qu'ils sont « hérétiques ». Pour Pascal, les jésuites jouent sur les interprétations et le sens des mots. Dans l'affaire d'Arnaud, Pascal y voit plus une querelle de « théologiens » que de « théologie » : ce serait dès lors la personne même d'Antoine Arnaud qui serait méprisé et non pas tant ses idées.

Il s'attaque ensuite à la morale jésuite, qui selon Pascal, chercherait à gagner en pouvoir temporel. Comme tout pamphlet, la vision de l'adversaire apparaît sans nuances, le but étant une réaction. La casuistique jésuite est la principale cible de Pascal, elle repose sur « le probabilisme » c'est-à-dire des énoncés qui prévoient des opinions probables. Elle prévoit des maximes sur mesure : « Nous avons donc des maximes pour toutes sortes de personnes, pour les bénéficiers, pour les prêtres, pour les religieux, pour les gentilhomme, pour les domestiques, pour les riches […] : enfin rien n'a échappé à leur prévoyance. » (p.83). Par là, les Jésuites apportent des maximes utiles à tous les besoins possibles.


Pour une définition plus précise, celle du Littre : « Doctrine suivant laquelle, dans le concours de deux opinions, dont l'une est plus probable et favorable à la morale et à la loi, l'autre moins probable et favorable à la cupidité et à la passion, il est permis de suivre celle-ci dans la pratique, pourvu qu'elle soit approuvée par un auteur considérable. » L' « auteur considérable », dans le texte de Pascal est qualifié, « d'auteur grave'». Cette morale semble permise car elle repose uniquement sur l'autorité d'un nom et pas de la vérité établie (p.71) : « Quoi ! Mon Père, parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs livres, sera-t-il devenu permis de rechercher les occasions de pécher ? Je croyais ne devoir prendre pour règle que l'Ecriture et la tradition de l'Eglise, mais non pas vos casuistes ».

Cette morale s'appuie sur des cas particuliers et cherche des raisons pouvant faire croire à leur vérité. Ainsi, Pascal montre un laxisme dans laquelle tombe la morale, à tel point qu'il devient possible de pécher dans le cas de la casuistique jésuite. Pascal revient sur la simonie, l'homicide, la médisance, les calomnies que les jésuites font autoriser par leur casuistique. Ils masquent leur propos par un habile jeu de langage : en théorie, c'est possible, en pratique, cela ne l'est pas. Notre auteur y voit une peur plus des juges que de Dieu. Car il est « peu chrétien » que d'autoriser le meurtre…

Par là, elle s'éloigne pour Pascal du christianisme intransigeant, rigoureux et considéré comme authentique (jansénisme). Il reproche dès lors aux jésuites un amoindrissement moral quitte à se rabaisser à la bassesse humaine ( p.83) : « Hélas ! me dit le Père, notre principal but aurait été de n'établir point d'autres maximes que celles de l'Evangile dans toute leur sévérité […] Nous y sommes forcés. Les hommes sont aujourd'hui tellement corrompus que, ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux : autrement, ils nous quitteraient ; ils feraient pis, ils s'abandonneraient entièrement. Et c'est pour les retenir que nos casuistes ont considéré les vices auxquels on est le plus porté dans toutes les conditions afin d'établir des maximes si douces, sans toutefois blesser la vérité. […] Car notre dessin capital […] est de ne rebuter qui que ce soit pour ne pas désespérer le monde. » Non sans ironie, Pascal reproche encore une forme de corruption qui touche les jésuites.

C'est plier la loi de Dieu que de l'adapter à l'homme et sa corruption p.67.: « comme si la foi, et la tradition qui la maintient, n'était pas toujours une et invariable dans tous les temps et dans tous les lieux ; comme si c'était la règle à sa fléchir pour convenir au sujet qui doit lui être conforme ; et comme si les âmes n'avaient, pour se purifier de leur taches, qu'à corrompre la loi du Seigneur ; au lieu que la loi du Seigneur, qui est sans tache et toute sainte, est celle qui doit convertir les âmes et les conformer à ses salutaires intentions ! ».

Il dénonce la pratique des missionnaires en terres à évangéliser qui consiste à adapter les éléments de doctrine à la culture du pays. (p.66) : « Ainsi ils en ont pour toutes sortes de personnes et répondent si bien selon ce qu'on leur demande, que, quand ils se trouvent en des pays où un Dieu crucifié passe pour folie, ils suppriment le scandale De La Croix et ne prêchent que Jésus-Christ glorieux, et non pas Jésus-Christ souffrant : comme ils ont fait dans les Indes et dans la Chine, où ils ont permis aux Chrétiens, l'idolâtrie même, par cette subtile invention, de leur faire cacher sous leur habits une image de Jésus Christ ».

Pascal fait constater que les jésuites s'intéressent plus à l'extériorité qu'à l'intériorité. On pourrait même ne pas aimer Dieu et se limiter à la bonne exécution et pratique des sacrements.
C'est donc moins par sincérité ( donc par qualité) que par intérêt ( donc par quantité) que les jésuites cherchent à conquérir le coeur des fidèles. Il faut rappeler que la Compagnie a été autorisée suite à la Réforme pour reconquérir le plus possible de fidèles. de là, la vision de Pascal quant aux Jésuites, qu'il finit par décrédibiliser par son inventaire riche d'arguments.

Que sont finalement les Provinciales ? Un écrit polémique, pamphlétaire, dans lequel Pascal tourne en dérision les jésuites et leur pratique de la casuistique, certainement. Mais les Provinciales peuvent se voir sous plusieurs angles tant cette oeuvre est protéiforme.

Les Provinciales sont-elles un plaidoyer ? Sans doute, par la défense d'Arnaud et de Port Royal. Sont-elles un réquisitoire ? Là aussi par la dénonciation de la conduite jésuite, qui est à dessein, exagérée. Ou encore sont-elles une apologétique de la vraie foi ? Par le respect strict des Ecritures, par le retour à la vérité de la foi, aux conciles, en définitive, à la vérité établie par l'autorité.
C'est en fait un procès qui est mimé : il met en scène les deux parties et le triomphe de la vérité. Pascal fait de la raillerie une arme pour la vérité contre la violence et les propos calomniateurs des jésuites. Les jésuites dans les lettres, l'accusent de tourner en raillerie " les choses saintes". Pascal montre que les maximes jésuites n'en sont pas.

Pour justifier sa stratégie de raillement, Pascal souligne que c'est « un devoir pour la vérité de railler l'ignorance ».
Là encore : " Ne voit-on pas que, selon cette conduite, on laisserait introduire les erreurs les plus extravagantes et les plus pernicieuses, sans qu'il fût permis de s'en moquer avec mépris, de peur d'être accusé de blesser la bienséance, de peur d'être accusé de manquer de charité ?".

Il tente par là de rendre possible la satire, l'ironie, la raillerie, qu'elles ne sont pas contraires à la religion.
C'est finalement une liberté de la pensée qui est justifiée.


Pour cela, il s'appuie sur l'ironie johannique, qu'utilise Jésus dans les Evangiles ( l'épisode de Nicodème) et prend appuie sur les Pères de l'Eglise, comme Tertullien « ce serait les autoriser que de les traiter sérieusement » ( les maximes erronées des jésuites) et saint Augustin : « qui oserait dire que la vérité doit demeurer désarmée contre le mensonge ? ». (p.158). La vérité est offensée, il faut savoir la défendre. C'est dire que l'ironie de Pascal se justifie comme une arme pour établir la vérité et gagner le procès.
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