Michel Pastoureau serait-il "l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours"?
Je suis tentée de le croire, tant cet animal s'est fait discret, pour ne pas dire invisible, dans presque toute l'Europe.
Alors pourquoi s'intéresser à lui? Précisément parce qu'il aura bientôt totalement disparu, ne survivant que dans les zoos et les cirques de seconde catégorie.
Mais l'ours auquel s'intéresse notre historien n'est pas celui des naturalistes ou des éthologues. Il nous parle de la vie rêvée des ours, dans notre imaginaire, et aussi de sa signification symbolique qui a imprégné les civilisations occidentales.
Dans les mythologies les plus anciennes, l'ours est une divinité, un ancêtre, qui a engendré un peuple de guerriers invincibles. Face à lui, l'homme est faible et désarmé, et pour rivaliser avec le fauve, il doit devenir ours lui-même. Fourrure, griffes, canines, viande, crâne, autant d'attributs que les petits chasseurs cueilleurs transforment en talismans. Vaincre un ours est une prouesse dont seul un chef est capable.
Car ce voisin irascible est doublement menaçant: il est capable d'entrainer dans son antre de belles jeunes femmes pour satisfaire sa libido, de les retenir captives et de leur faire une ribambelle de rejetons, mi-hommes, mi-ours. de nombreux récits donnent foi à cette croyance dès l'Antiquité et au cours du Moyen-âge.
Cette légende persista jusqu'au XVIIè siècle, où un soir d'avril 1602, une jeune fille d'un village de Tarentaise (Savoie) fut déclarée victime d'un enlèvement et séquestrée plusieurs années par un ours. Une chronique de l'époque fait le récit détaillé de l'évènement, de la libération de la bergère et de la mise à mort de l'ours.
Ce diable d'ours est bientôt chargé de toutes les tares: brutal, goinfre, sournois,
stupide, vicieux, paresseux, il faut l'exterminer, l'expulser, le ridiculiser. Il ne sert plus qu'à distraire les badauds et à faire rire les enfants.
Ultime avanie, on en fait un jouet pour les bébés!
Quelques descendants de ce lointain ancêtre mènent une vie solitaire dans des lieux retirés. Timides ou ombrageux, on ne sait, personne n'ose s'approcher d'eux, et on passe devant leur porte sans s'arrêter en disant: "n'allez pas chez lui, c'est un ours!"