Il n'y a pas à dire mais
Michel Pastoureau est fort habile pour nous intéresser à ses sujets de prédilection que sont l'étude des
couleurs, les bestiaires ou l'histoire d'un animal.
«
Le corbeau » est ce qu'on appelle un beau livre. Papier glacé, illustrations
couleurs, format agréable, agencé en grands chapitres chronologiques et l'on suit l'évolution de l'histoire du corbeau parmi les hommes.
Dans la mythologie grecque,
le corbeau d'abord de couleur blanche, trônait aux côtés des dieux ou déesses. Par ses mensonges ou l'échec dans ses missions, les dieux le punirent en le revêtant de noir. Animal protecteur, ayant connaissance du passé, du présent et du futur,
le corbeau est représenté partout : sur les bannières, les armes, les étoffes, les bijoux. En Europe du Nord comme la Scandinavie, il accompagne le défunt dans sa sépulture et devient conseiller du dieu Odin, en raison de son intelligence.
Au Moyen-Age chrétien,
le corbeau, jusqu'alors idolâtré, devient un oiseau de malheur et le restera durant 2.000 ans jusqu'à notre époque contemporaine. du VII au XIIè siècle, la hache de guerre est franchement déterrée, notamment par les armées de Charlemagne. le massacre du plus grand nombre possible du volatile perdurera pendant 200 ans, le désacralisant en lui octroyant tous les vices et détruisant tous les cultes païens où l'on fêtait
le corbeau, les arbres, les pierres. Ces traditions seront remplacées par les fêtes des saints.
Entre le XII et le XIVè siècle apparaissent les premiers bestiaires, ces ouvrages qui donnent une description de la faune. Les ancêtres de la zoologie accordent une position des animaux dans le monde en fonction de leurs caractéristiques physiques : au cochon dont le nez est tourné vers le sol correspond l'homme pêcheur, goinfreur, à la recherche de plaisirs terrestres. Ce sont des descriptions morales ou religieuses.
Du XII au XVIIIè siècle, les ornithologues font leur apparition, les bestiaires consacrés aux oiseaux étant les plus nombreux. Durant le Moyen-Age, aucune innovation, par contre, les textes anciens sont recopiés sous forme d'encyclopédies, de manuels d'agronomie, de fables ou de contes.
Jean de la Fontaine a souvent mis en scène
le corbeau, le décrivant comme un animal stupide, présomptueux ou un voleur, ce qui n'a rien arrangé pour l'oiseau.
En 1555, un premier ouvrage consacré à l'ornithologie digne de ce nom, écrit par le naturaliste Pierre Belon, « L'Histoire de la nature des oyseaux », recense 200 oiseaux classés, dessinés, mais encore sommairement observés quant à leur mode de vie.
Durant le 19è et le 20è siècle, les croyances médiévales dans les campagnes perdurent, de même que la mauvaise réputation du corbeau, encore pourchassé et tué.
La période romantique du 19è siècle associera le noir du corbeau aux ténèbres, au fantastique, à la mélancolie, comme le démontrent les écrits d'
Edgar Poe, de
Baudelaire ou Mallarmé. Dans les
poèmes, fables et peintures, l'oiseau noir y aura une place importante pour véhiculer des images et émotions liées au merveilleux, à la féerie, à la sorcellerie, au fantastique ou au satanisme dont le siècle est friand.
Aujourd'hui, l'espèce est protégée dans quelques pays mais le grand corbeau noir (plus grand que celui que l'on connaît) ne se voit que dans les Alpes, les côtes de la Grande-Bretagne, en Islande, Irlande et Scandinavie. Ce n'est que depuis une trentaine d'années qu'il est reconnu par les scientifiques comme un oiseau extrêmement intelligent. Mémoire, vision, calcul, adaptation, fabrication d'outils, capacité de se reconnaître dans un miroir, apprentissage de la langue, humour, sont les qualités de ce corvidé dont l'histoire liée à celle des hommes aura traversé les siècles, pour le meilleur et pour le pire, mais surtout pour le pire.