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Critique de Takalirsa


Les études le montrent : « La capacité d'attention de la génération des millenials, est de 9 secondes. Au-delà, son cerveau décroche. Il lui faut un nouveau stimulus, un nouveau signal, une nouvelle alerte, une autre recommandation. Dès la dixième seconde. Soit à peine une seconde de plus que le poison rouge ». Et ne nous leurrons pas : le phénomène tend à se généraliser, créant une addiction nouvelle, une « servitude numérique » qui ne touche pas que les jeunes. Ainsi « tel le poisson, nous pensons découvrir un univers à chaque moment, sans nous rendre compte de l'infernale répétition dans laquelle nous enferment les interfaces numériques auxquelles nous avons confié notre ressource la plus précieuse : le temps ». Ce constat de l'auteur, qui avoue être lui-même « dépendant des signaux qui encombrent l'écran de mon téléphone » est saisissant car on réalise qu'effectivement, personne ne peut se targuer d'avoir échappé au grignotement progressif des sollicitations numériques (« L'existence sur smartphone est une vie par procuration dont la clé de voûte est la peur de disparaître sans le regard et les jugements électroniques des autres »)…

Plus saisissante encore, la partie expliquant les manipulations du « capitalisme numérique » pour mieux nous enferrer. Une méthode directement inspirée des casinos, « qui sont pensés pour produire une servitude psychologique entièrement construite sur la dépendance qu'engendre la récompense aléatoire » (elle-même démontrée sur des souris de laboratoire : si l'animal comprend qu'à chaque activation, le levier procure de la nourriture, il arrête de l'actionner, rassuré ; si la délivrance est aléatoire, la souris appuie beaucoup plus souvent pour s'assurer d'obtenir sa récompense…). Ainsi, « le bric-à-brac désordonné des fils Twitter, de la timeline de Facebook, où ce que l'on peut trouver va du sublime au minable, de l'utile au dérisoire, du sérieux au ridicule, produit l'effet d'une machine à sous qui délivre tantôt 5 centimes, tantôt 100 000 euros ». Les algorithmes qui régissent les réseaux sociaux sont donc paramétrés de façon à entretenir le caractère aléatoire des résultats afin que l'utilisateur reste « accro ». de même sur Netflix, « ce qui compte n'est pas la qualité de la série, mais la frustration liée au visionnage incomplet. L'enchaînement des vidéos vise à ne pas interrompre la dépendance par d'autres sollicitations ». Autant d'exemples édifiants qui nous ont tous concernés un jour ou l'autre et qui font froid dans le dos (« Ce confort, agréable dans un premier temps, devient vite nécessaire, et prend le pas sur la zone de contrôle du cerveau »)… L'effet de cette « captologie » (l'art de capter l'attention de l'utilisateur, que ce dernier le veuille ou non) est bien sûr dévastateur sur la psychologie humaine, surtout chez les plus jeunes dont il profite des faiblesses (« Chez les enfants, la capacité à effectuer un choix raisonné qui ne succombe pas à la tentation immédiate n'est pas encore totalement formée »). Notre vie culturelle et intellectuelle est devenue « stroboscopique » : nos parcours et nos décisions sont guidés non pas par nos choix raisonnés (comme on le suppose) mais bien par des algorithmes, et « les suivre aveuglément en croyant à leur promesse d'optimisation a fait de nous des somnambules ». Pire, ils nous emprisonnent dans une « bulle d'informations », nous enferment dans notre propre vision du monde et « nous endoctrinent avec notre propre opinion » en affichant en priorité des données (et des contacts) allant dans le sens de ce que (ou qui) nous sommes habitués à regarder (au lieu de nous ouvrir à de nouvelles possibilités).

La seconde partie, axée sur l'information, m'a moins enthousiasmée (beaucoup de références, de notions, de désignations techniques en anglais), même si les propos sont très justes. L'auteur évoque à la fois la multiplication des sources depuis le numérique et l'influence du contexte de réception (il fait notamment référence à l'anecdote du lancement de la guerre des mondes par Orson Welles) qui font qu'il est devenu bien difficile de distinguer les vraies des fausses nouvelles (« la polyphonie numérique » et « l'incertitude globale »). Il analyse les conséquences d'un monde inondé par les « pseudo-événements » fabriqués par l'industrie du spectacle, du divertissement et des médias qui mettent en avant « une personne célèbre à cause de sa célébrité » : le choc émotionnel provoqué possède « un potentiel viral » important (puisqu'il sera « partagé, commenté, recopié ») et donc une grande valeur économique dans un modèle fondé... sur la publicité. Il est en effet dépité de voir que désormais, « moins on sait, plus on affirme, et plus on affirme, plus on est visible sur les réseaux »…

Dans cet embrouillamini d'informations, quid de la presse ? Autrefois média principal (pour ne pas dire unique), descendant (du journaliste au lecteur), avéré (faits vérifiés), elle est aujourd'hui dénaturée, noyée dans le flot quotidien des « opinions, enquêtes, erreurs, mensonges, témoignages, canulars, calomnies, communiqués » balancés pêle-mêle. Soyons honnêtes : sur les réseaux, la presse se fait déborder de façon permanente (« en nombre comme en intensité de messages, elle ne peut lutter ») et a perdu son monopole. Les organisations journalistiques, les citoyens et les interfaces de distribution forment désormais un cercle aux relations complexes. L'objectif majeur n'est plus l'authenticité mais la performance (« les histoires les plus regardées ») et la préférence (« celles qui sont les plus appréciées »).

Dès lors, comment agir ? Bruno Patino propose deux pistes, insuffisamment développée selon moi : tout d'abord, la « désintoxication technologique » (« Il s'agira d'avoir non plus accès à la connexion, mais à la déconnexion », comme le traite si bien Loïc le Borgne dans son roman jeunesse le garçon qui savait tout soit dit en passant). Cependant il n'est pas question de renoncer aux extraordinaires potentialités de la société numérique qui rend accessible à tous connaissances et culture : « Il nous faut simplement comprendre que la liberté s'exerce dans la maîtrise » et surtout former les jeunes (et les moins jeunes...) à sa bonne utilisation afin de lutter contre « ces humains au regard hypnotique, enchaînés à leurs écrans, qui ne savent plus regarder vers le haut » ni autour d'eux, bref jouir de la vraie vie.
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