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EAN : 9782882950284
Cabedita (01/01/1989)
5/5   1 notes
Résumé :
Dans les trois livres qu'elle a consacrés à son héroïne : Thérèse au temps des barbares - Thérèse bonne à tout faire - Thérèse et le mal de montagnes, Jeanne Patthey évoquait les soucis et les peines du milieu ouvrier et campagnard dans lequel elle a toujours vécu. Thérèse se sauvait par le rêve, par l'humour et par une foi inébranlable en quelque chose qui nous dépasse et finira bien par rétablir l'harmonie.
Avec Belle-Maman, l'auteur nous livre le récit a... >Voir plus
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
- De notre temps, c'était pitié, misère et compagnie.
Je la connaissais par cœur, la naissance de Belle-Maman, quelque part dans le Gros-de-Vaud. Je la connaissais par cœur et pourtant, chaque fois qu'elle l'évoquait, j'éprouvais la même émotion, le même étonnement.
Les fées devaient être occupées ailleurs en cette nuit du quinze novembre mil huit cent septante-cinq lors de votre venue en ce monde. C'était dans une masure, la toiture laissait passer l'eau. Une masure au fond d'un sombre vallonnement, au bord de la Menthue, du côté de Bercher. Le soleil y était rare et tout restait humide. Une demeure : la cuisine et la chambre. Il y avait aussi un réduit, un fourre-tout. C'est là qu'elle dormait avec sa sœur et son frère.
- C'était pitié, misère et compagnie !
A tel point qu'elle perdit sa mère dans les premières années de sa vie. Son père, déconcerté, reprit femme aussitôt. Une femme qui, elle aussi, eut des enfants dans la misère.
- Plusieurs demi-frères. Pour nous faire manger tous, le métier de tisserand de mon père ne suffisait pas. Depuis l'âge de trois ans, ma sœur et moi, on devait partir dans la campagne mendier notre pain. Chacune un panier au bras, on s'approchait des fermes avec beaucoup de peur. Il y avait souvent des chiens, on n'osait avancer. D'habitude, les fermières étaient assez gentilles, elles nous donnaient un peu de pain sec. Ce pain était précieux, car il servait à faire la soupe toute une année durant. Elle avait parfois un goût de moisi.
A ce point précis, Belle-Maman s'arrêtait, son regard partait au loin dans ce passé obscur. Le potage de pain moisi ne passait pas. . . il n'avait jamais passé. Et prise d'une révolte rétrospective :
- J'enrage quand je vous vois pétouiiler dans vos assiettes ! Vous mériteriez d'avoir faim !
- Il arrivait des jours où on n'avait rien dans nos paniers. On s'était endormies en chemin. . . On manquait de courage pour forcer les barrières. Les barrières, les chiens, les portes qui se fermaient quand on approchait, les paysans nous regardaient de travers. " Ouste ! Dehors ! Graine de misère ! "
La graine de misère, le panier vide et le ventre ceux, n'osait pas rentrer au foyer. Ce qui tenait lieux de foyer. Mais pouvait-on appeler foyer cette chose branlante, solitaire, où le soleil n'apparaissait que tard dans la matinée et disparaissait tout aussitôt avant la fin de l'après-midi ? Un endroit sordide où les attendait une marâtre. Elle les battait et les jetait sur la paillasse sans manger. Une certaine fois, elle avait été si fâchée qu'elle leur avait fermé la porte, les forçant ainsi à passer la nuit au plantage, dans les choux.
Belle-Maman se taisait. Nous avions besoin d'un peu de silence. Revivre à jamais l'existence de ces deux petites filles passant une nuit dans les choux, derrière la masure, au bord de la Menthue. La peur au ventre, déguenillées, la main dans la main, leurs corps enlacés contre le froid, elles ont fini par s'endormir, sous les étoiles.
Et puis nous revenions ensemble de cette plongée dans le noir. Toutes deux si semblables aux petites filles, toutes deux amoureuses des étoiles.
- Si on se faisait un petit café ?
- Pour le café, je ne dis pas non.
Le café est délicieux et Belle-Maman cherche dans sa mémoire un événement qui lui donne encore des frissons de bonheur. Elle lui semble urgente, cette histoire qui aurait la vertu d'effacer l'autre, la sordide, l'effroyable. Ses yeux sombres sont pleins d'attendrissement.
- Je voudrais bien revoir cette dame qui nous recevait gentiment. Je voudrais pouvoir la remercier, l'embrasser. Je ne me souviens pas si c'était une paysanne. Je ne vois plus sa maison. Mais ses yeux, son regard, ses mains douces. La Dame.
Belle-Maman reste accrochée à ce souvenir à nul autre pareil. Comment cela pouvait-il arriver, alors que. . . alors que. . . les petites misérables qui traînaient leurs pieds nus dans les chemins des environs de Bercher. . . les petites misérables qui étaient coutumières de l'hostilité, du rejet. . . les petites misérables se trouvaient soudainement reçues comme des reines. Des reines comme en découvre dans les contes de fées. Des petites reines de six et huit ans.
- Elle ouvrait toute grande la porte, nous embrassait, puis elle nous donnait un bain. La tête bien savonnée, elle nous épouillait. Oui, elle nous épouillait, après elle nous mettait du linge propre. Mon Dieu, qu'on se sentait bien ! Dans un autre monde qu'on était !
Belle-Maman reste longtemps à remuer des images.
- Comme je voudrais pouvoir la remercier ! Son visage ? - Pour nous c'était le visage du bon Dieu. C'est près de lui qu'elle doit être. Jusqu'à nous donner du linge propre !
Nous en avions pour un temps à revivre la matinée ensoleillée alors que la Dame de lumière accueillait les petites mendiantes et d'un coup de baguette en faisait des princesses. Elle devait être heureuse de la métamorphose, de son bel ouvrage.
La Dame de lumière rejetait pour un temps les jours noirs. Les jours où les pieds saignent, les paniers restent vides et les estomacs crient famine. Ils saignent tant, les petits pieds dans les sentiers graveleux, que les gens commencent à s'en émouvoir. Ainsi la femme du pasteur de Bercher. Elle chercha et trouva une famille pour Belle-Maman.
- Des si braves gens ! Ils étaient maraîchers. Je ne leur était pas utile, je n'avait pas de force. C'est tout juste si j'arrivais à attacher les bouquets de persil. J'étais plutôt une charge pour eux. Le fait d'être nourrie a provoqué une sorte de révolution dans mon corps. Il s'est couvert de croûtes et j'ai perdu la vue pour un temps. On m'a envoyée à l'Asile des aveugles.
On s'est intéressé à moi. Je l'ai compris très vite, j'étais devenue une malade intéressante. Je peux le dire, ils ont fait tout ce qu'il fallait pour me tirer d'affaire. Je leur dois une fière chandelle. J'allais sur mes onze ans et je n'avais pas fait un jour d'école. Ils se sont arrangés pour m'y envoyer. C'était une école dans le bas de Lausanne.
( . . . )
Donc elle était tombée dans une bonne famille, pour laquelle elle gardait de l'affection, de la gratitude, et avec qui elle échangeait des lettres. Je finis par tout savoir de cette famille accueillante. Elle y était restée jusqu'à seize ans, jusqu'à sa confirmation.
( . . . )
Je cherche à vous compter, tant que vous étiez, enfants de l'assistance. Je vous situe dans les maisons qui, pour vous, s'étaient ouvertes, je vois vos visages graves, et vos yeux étonnés. Vous ne saviez pas rire. Il ne s'était trouvé personne pour vous l'apprendre.
Pour Belle-Maman, bien sûr, il y avait eu une fée de temps en temps : la Dame, la famille de maraîcher, la maîtresse d'école.
Et la voilà qui va sur ses seize ans, et qui ne sait toujours pas où se trouve sa sœur bien-aimée.
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