Survie, amour, humilité.
Amour, survie, humilité, dans cet ordre précis. L’amour arrive en premier.
Je me dérobe à cette pensée, refusant d’évoquer de bons souvenirs de lui. De nous… Je dois le haïr. Heureusement, mes émotions commencent à passer au second plan alors que mon corps faiblit et que la survie devient également une priorité.
Avec un sourire, elle gonfle ses petits seins. Bien sûr, elle ne porte pas de soutien-gorge. Ses tétons pointent sous le tissu fin. Elle passe la lanière de son sac par-dessus son épaule et prend sa bière, l’emportant dans le couloir des toilettes, sans doute pour éviter que je mette quelque chose dans son verre.
Petite maligne.
J’ai renoncé à l’amour. Je ne peux pas le ressusciter, tout comme je ne peux pas récupérer les 40 % de ma fonction cardiaque définitivement perdue. La haine s’est imposée et a pris le dessus. Maintenant que la raison de ma haine a disparu, mon cœur est vide. J’ai fait l’expérience de la peur, de la douleur, de l’angoisse, de la colère et même de l’enthousiasme… Toutes ces émotions ou impulsions liées à l’instinct ou à la survie. Mais je ne ressens pas d’amour… Je ressens le soulagement d’être en vie, mais pas de joie. C’est ingrat. Pitoyable. Pathétique, vraiment. Mais je ne peux pas m’en empêcher.
J’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de romantique chez lui… Sinon, pourquoi aurait-il tatoué amour, survie et humilité sur sa peau ? En ce qui me concerne, j’incarne sans doute la survie. Il a planifié mon meurtre parce qu’il croyait que je l’avais trahi. Il ne m’aimait pas assez pour me laisser m’expliquer. Un jour, il m’a dit que l’humilité, c’était de porter toutes les responsabilités de ses erreurs, mais pas tous les mérites de ses accomplissements. Eh bien, moi, je porte l’entier fardeau de l’aimer.
Ce n’est plus le garçon de dix ans que j’ai laissé derrière moi, avec ses manches miteuses et ses genoux marqués à force de tomber de son vélo. Il est grand et mince, vêtu d’un costume qui exsude le pouvoir, avec une chemise blanche et une cravate noire. Vingt ans ont passé, mais je reconnaîtrais ses traits de faucon, ses yeux d’un brun glacial et ses cheveux noirs entre mille. Nous tenons nos visages des gènes de notre père.