Chère Anne, ma très chère Anne,
Permettez-moi que je vous appelle ainsi, parce qu'après ce que j'ai lu de vous, après ce témoignage poignant, je ne peux que vous considérer que comme une amie très chère.
Vous avez vécu ce que d'autres avant vous ont vécu, ce que d'autres vivront et ce que moi je vivrai.
Votre émotion, votre pudeur, vos mots percutants et si justes, si poétiques aussi, m'ont emmenée dans ces vertiges de l'émotion et j'ai pleuré, oui, j'ai pleuré.
Vous commencez par raconter la mort de votre père et votre sidération.
« Je m'étais retrouvée seule avec lui, mon macchabée, ma racaille unijambiste, mon roi misanthrope, mon vieux père carcasse, tandis qu'au-dehors tombait doucement la nuit ».
Et là, je suis tombée dans le chagrin.
Le décès est suivi de toutes les formalités, du choix du cercueil aux chants à l'église, et aux paroles prononcées lors de l'inhumation. Vous avez bien saisi toute l'inhumanité de cela, car la vie continue et est en hiatus avec l'abîme dans lequel vous êtes plongée. Et ce décalage effroyable, vous le racontez avec humour, ce qui permet de ne pas sombrer.
Et puis vient ce temps du deuil où vous pensez sans cesse à votre père, mais aussi à votre enfance. Votre père n'était pas « une idole », comme dit le curé, il était violent avec votre mère, alcoolique. Votre frère et vous en avez souffert. Mais à l'heure de lui dire vraiment adieu, à l'heure de vider la maison, vous opérez un travail d'historienne de l'âme, vous voulez retrouver ce père tout entier, dans toute son ambiguïté, dans toutes ses failles et dans toute sa gloire intime. Les objets dont votre père s'entourait, ses petits objets du quotidien acquièrent pour vous une valeur sans nom. N'oublions surtout pas la lettre pleine d'humanité que vous envoie à cette époque l'amie d'enfance de votre papa. C'est important, l'enfance, même celle de ses parents, surtout celle de ses parents lorsqu'ils sont morts.
Lentement, ce deuil vous enveloppe et vous déchire.
« Ce qui me semblait le plus difficile, c'était de ne plus l'entendre du tout, de ne plus avoir de nouvelles de lui, et au début, machinalement, je regardais mon téléphone pour vérifier qu'il ne m'avait pas appelée, mais non ».
Et doucement, j'avance avec vous. Je lis avec vous ce haïku choisi dans le recueil de votre père et je le murmure avec vous :
« Je pense seulement
À mes parents
Crépuscule d'automne »
Et enfin, j'écoute avec vous Céline Dion, « et puis là, sans prévenir, le refrain m'a sauté à la figure comme un animal enragé :
'Mais avant tout, je voudrais parler à mon père'.
Dans mon coeur, ça a fait comme une déflagration et je me suis mise à sangloter sans pouvoir m'arrêter. Mes toutes dernières larmes sont sorties ce jour-là. J'avais enfin accepté ».
Merci pour votre partage intense. Pour votre douleur. Et enfin pour votre apaisement, votre acceptation. Vos mots intimes sont universels et pour cela, vous m'avez aidée.
Merci.
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Les morts vont vite. Le chagrin a besoin de lenteur.
Aux premières pages, l'émotion est déjà là, mais masquée derrière les fous- rires.
Entrée dans la nef sur les pas du cercueil de son père, au bras de son amie, comme une fiancée qu'elle mènerait à l'autel, à l'heure des manifs anti mariage pour tous, Anne, la narratrice doit attendre deux heures d'un interminable sermon par un curé qui parle plus de l'épouse exemplaire et maltraitée que de son brutal et défunt epoux, ( pour un peu elle devrait suivre le convoi qui mène son père à sa dernière demeure sur l'air des Chariots de feu alors que c'est un cul-de-jatte qu'on enterre!), mais elle se voit confisquer le dernier mot par un croque-mort-en-chef ivre- mort - dernier hommage foutraque et cocasse à son père alcoolique...
Un premier portrait de Jean-Pierre Pauly est déjà brossé, à grands traits hâtifs : mari violent porté sur la bouteille, handicapé et vivant pauvrement dans une solitude farouche, dont les enfants, Anne et Jean-François ( la mère est morte d'un cancer depuis des années) , ne retiennent pas que de bons souvenirs.
Mais si le fils est plein de colère, la fille, elle , est partagée : exaspérée par l'égoïsme d'un père qui semble n'avoir jamais pensé qu'à lui et débordée de tendresse pour ce grand escogriffe maladroit qui l'aimait.
Leurs fous-rires à tous deux sont l' acclimatation à une disparition brutale, si rapide qu'elle ressemble à un escamotage. le rire traduit cette inadaptation des rythmes.
Comme chante Lénore, dans le poème d'August Bürger: "Les morts vont vite".
Les morts vont vite - et le chagrin a besoin de lenteur.
Tout le récit , sincère, juste, aussi émouvant dans ses rires incongrus que dans ses larmes irrépressibles, est une danse de deuil pour retrouver le pas, le rythme et mettre enfin cette mort fugace, sauvage, emballée au pas si lent de l'amour orphelin.
Comme dans un morceau de musique, après la carmagnole cruellement burlesque du début, surviennent trois moments magiques.
La lettre de Juliette comme un thrène, un chant d'apaisement, une douce consolation- qui dit à Anne les mots que personne n'a su dire et redonnent au défunt tendresse, douceur, humanité.
Les piles jumelles et leur étrange électro-cardiogramme qui scandent le ballet mesuré du temps, l'attente de la mort. Et provoquent un adagio vibrant à la patience du défunt, son attention à la modestie des choses. Anne s'avoue vaincue: " j'ai cru mourir d'amour et de melancolie ".
Et enfin la chanson de Céline Dion qui provoque une pop-catharsis d'un genre inattendu chez cette programmatrice du festival queer, Loud & Proud, ... qui se découvre soudain un coeur de midinette.
Bouleversée, Anne retrouve l'image vraie et réhabilitée d'un père tendrement chéri: les larmes peuvent jaillir.
Les morts vont vite. Le chagrin a besoin de lenteur.
D'ailleurs tout est devenu signe : le mort a encore des choses à dire à ses enfants qu'il a quittés trop vite ou trop mal. Il faut que les remords ou la colère s'apaisent. Il suffit parfois d'une R 10 déglinguée à l'angle d'un carrefour ou d'une pie dans la tempête.
Un livre qui m'a bouleversée et dont j'ai relu plusieurs fois, dans les rires et dans les larmes, bien des passages.
Anne, ma soeur Anne, ton livre fait du bien à tous ceux, toutes celles qui ont mis du temps, parfois, à retrouver, comprendre, vider et dépasser leur chagrin.
Les morts vont vite. Le chagrin a besoin de lenteur.
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L’écriture, fine, alerte, au style marqué, déborde d’humour et de tendresse pour formuler ce qu’est l’ambivalence envers son père malade, malade, au fond, de bien d’autres choses tenues masquées par son alcoolisme de son vivant. Toutes l’intensité et la pudeur de la relation père-fille y sont narrées avec une grande justesse. Chapeau bas pour ce premier roman !
Lire la critique sur le site : Actualitte
Anne Pauly signe “Avant que j’oublie”, un premier roman à l’écriture agile et humoristique dans laquelle “la magie de l’ordinaire” prend sa place. [...] On lit ce livre en riant et en s’essuyant les yeux car derrière le détail le plus minimaliste se cache le grand vide, l’absence définitive.
Lire la critique sur le site : Telerama
Dans son premier roman, Anne Pauly porte un regard cruel et humoristique sur notre monde, sur les heures et les jours qui suivent la disparition d’un être cher.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Encore aujourd'hui, quand j'entends, dans les reportages sur les violences conjugales, des gens s'indigner de ce que certaines femmes n'aient pas le courage de partir, j'ai envie de leur dire "J'aimerais bien vous y voir". J'aimerais bien vous voir, un dimanche soir, la paupière bleuie et la chemise de nuit déchirée, préparer une valise à la hâte pour un foyer d'urgence éclairé au néon. J'aimerais bien vous voir, couverte d'insultes et de menaces, trouver l'énergie de courir à la gare avec vos enfants pour monter dans un train sans savoir si le retour sera possible et à quelles conditions.
INCIPIT
Le soir où mon père est mort, on s’est retrouvés en voiture avec mon frère, parce qu’il faisait nuit, qu’il était presque 23 heures et que passé le choc, après avoir bu le thé amer préparé par l’infirmière et avalé à contrecœur les morceaux de sucre qu’elle nous tendait pour qu’on tienne le coup, il n’y avait rien d’autre à faire que de rentrer. Finalement, avec ou sans sucre, on avait tenu le coup, pas trop mal, pas mal du tout même, d’ailleurs c’était bizarre comme on tenait bien le coup, incroyable, si on m’avait dit. On avait rangé les placards, mis la prothèse de jambe, le gilet beige, les tee-shirts et les slips dans deux grands sacs Leclerc, plié la couverture polaire verte tachée de soupe et de sang, fait rentrer dans la boîte à médicaments – une boîte à sucre décorée de petits Bretons en costume traditionnel – le crucifix de poche attaché par un lacet à une médaille de la Vierge, à un chapelet tibétain et à un petit bouddha en corne.
On avait sorti du chevet des petits sachets de moutarde, une compote abricot, un paquet de BN, faut pas se laisser entamer, une pince à épiler en plastique, un menu de la semaine sur lequel il avait essayé de noter quelque chose, des mots fléchés force 4, sa petite bible, un recueil de haïkus, son livre sur Gandhi, son étui à lunettes mité en skaï bordeaux, trois critériums dont un très ancien, une gomme, huit élastiques multicolores, une paire de lunettes rafistolée, deux tubes de Ventoline, un rouleau de Sopalin, son portefeuille et la fiche bristol sur laquelle il tenait sa petite comptabilité d’hôpital (télé, chambre, 18 €, 70 €, téléphone 12 €, Anne distributeur 60 €). Dans le cabinet de toilette, avec des gestes précis, j’avais réuni, dans sa trousse vert foncé le rasoir électrique plein de restes de barbe, les rasoirs Bic et la crème à raser, le bidon d’eau de Cologne Bien-Être Lavande dont il me faisait tamponner son mouchoir, la serviette-éponge et le savon, glissé dans le gant encore humide.
Mon frère avait déplié le fauteuil roulant, posé dessus la prothèse de rechange, les béquilles, le petit ventilateur Alpatec acheté chez Darty quelques heures plus tôt – la mort, s’approchant, semble donner chaud –, les sacs Leclerc, puis m’avait dit avec une douceur inhabituelle : Je descends à la voiture et je remonte. Un mec pratique, mon frère. Je m’étais retrouvée seule avec lui, mon macchabée, ma racaille unijambiste, mon roi misanthrope, mon vieux père carcasse, tandis qu’au-dehors tombait doucement la nuit. Non, tandis qu’au-dehors, en direct du septième étage de l’hôpital de Poissy – tadaaa ! –, tellement magnifique, quelle écrasante beauté Maïté, les lumières de la ville et le ciel orangé de la banlieue. Il aimait ça, les couchers de soleil. Il nous appelait toujours pour qu’on vienne les regarder.
Les infirmières avaient fermé ses yeux, coincé son visage dans une mentonnière et habillé son corps d’une petite blouse vert pâle façon sweat-shirt. C’était triste et drôle, ça l’aurait fait rire, cette petite blouse verte qui lui cachait à peine le genou. J’ai regardé son pied violacé, la vache ! le pauvre, sa barbichette miteuse et son beau visage déserté. En gardant sa grande main qui tiédissait dans la mienne, j’ai souhaité de tout mon cœur ne jamais oublier son odeur et la douceur de sa peau sèche. Je lui ai demandé pardon de ne pas avoir vu qu’il mourait, je l’ai embrassé et puis j’ai dit à haute voix, ciao je t’aime, à plus, fais-nous signe quand tu seras arrivé. Je suis sortie dans le couloir lino-néon, une aide-soignante est passée en savatant et mon frère est arrivé. On y est retournés une dernière fois, pour vérifier. Et puis on a plié les gaules, comme il disait toujours. La vie, cette partie de pêche.
Dans le miroir de l’ascenseur, nos gueules d’adultes, défaites. Coucou l’impact de la mort, bisous. Et la plus-que-certitude, en étant côte à côte, chacun avec sa part de gènes, qu’on était bien les enfants du défunt. On a juste dit bonsoir à une femme enceinte, souri à un interne : on s’est montrés urbains, polis, dignes dans la douleur. On a traversé le hall désert en silence, franchi la porte vitrée, atteint la voiture – mouip mouip – et puis on a pris l’autoroute, déserte elle aussi. Veille de Toussaint, lune claire, ciel dégagé, route à peine réelle.
Bon, t’as un crayon et un papier ? Je voudrais te montrer un truc que j’ai appris à mon cours de chinois. J’ai fouillé mollement dans les tiroirs de la table basse devant nous pour en extraire un crayon de couleur violet tout mâché et une vieille enveloppe décachetée. Il a commencé par dessiner ce qui ressemblait à un peigne à trois griffes, puis en dessous, une agrafe au bout gauche distendu, puis encore en dessous, deux tirets verticaux soulignés d’un sourire pris dans une parenthèse puis, finalement, le chiffre 17, tordu comme si on l’avait cogné. Tu vois, cet idéogramme, ça veut dire l’amour. Ok, j’ai dit, soulagée d’avoir à me concentrer sur autre chose que la maladie, la mort et leur sinistre cohorte de significations. Regarde, le râteau, à trois dents là, en fait c’est une main, ok ? Ok. Le truc allongé en dessous, c’est un toit, le visage en dessous, c’est le symbole du cœur, et le 17 de travers, ça signifie la personne que l’on respecte ou l’ami, ok ? Ok. Je comprenais pas grand-chose mais je hochais la tête. Donc, si on reprend, globalement, l’amour, c’est de protéger avec ta main le cœur d’une personne que tu respectes, ok ? Ok, j’ai encore répondu alors que le joli message qu’il m’adressait l’air de rien se frayait peu à peu un chemin jusqu’à mon cerveau. Et tu sais le moyen mnémotechnique que les professeurs donnent pour se souvenir de la manière dont il faut composer ce caractère ? Eh ben, c’est simple. Plus loin sur la feuille, il a redessiné le peigne à trois griffes. Ça c’est la pluie qui tombe du ciel, juste au-dessous, le toit, c’est un parapluie, et encore dessous, c’est le cœur de ton ami. Alors, l’amitié, tu vois, c’est ça. C’est protéger le cœur de ton ami de la pluie et des intempéries.
Dans la salle d'attente, il y avait déjà un grand flic sinistre qui portait une valisette, deux zombies endimanchés des pompes funèbres et l'aumônière laïque de l'hôpital, une petite femme menue, affable et fripée qui, déambulant en veste bleu marine dans le service oncologique, ressemblait sans le vouloir à l'ambassadrice de la mort. Elle avait pourtant l'air d'être habitée par une foi sincère, rien à voir avec ces dindes replètes bardées de bons sentiments qu'on trouve à la sortie des églises ou dans les kermesses.
Non, la vie n’était ni une pause gourmande ni un instant de détente, ni un océan de fraîcheur, et ça me rendait dingue que tout le monde fasse comme si de rien n’était. La mort rôdait, le monde s’écroulait et pourtant, il fallait choisir entre le « Délice de Surimi » et le « Saumon Sensation », trouver exquises des salades dégueulasses, intéressantes des choses qui ne l’étaient pas, vivre au superlatif et acquiescer au mensonge général.
Lors de sa venue en rencontre aux Curiosités de Dialogues, Hannelore Cayre nous a confié 3 conseils de lecture...
Opus 77 d'Alexis Ragougneau https://www.librairiedialogues.fr/livre/15590306-opus-77-alexis-ragougneau-viviane-hamy
Avant que j'oublie d'Anne Pauly
https://www.librairiedialogues.fr/livre/15516548-avant-que-j-oublie-anne-pauly-verdier
La Grève d'Ayn Rand https://www.librairiedialogues.fr/livre/10968251-la-greve-atlas-shrugged-format-poche--ayn-rand-les-belles-lettres
Bonnes lectures !