Corrado fuit, de colline en colline, de ville en campagne, de couvent en forêt. Il fuit les Allemands, les fascistes, mais aussi la ville, la foule, les femmes, les autres...Peut-être surtout lui-même. ..
Nous sommes en 1943. La défaite des fascistes n'a pas ramené la paix. Au contraire: la guerre, la vraie, s'allume comme un incendie, se propageant de village en village, de colline en colline. Les Allemands toujours, mais surtout la guerre civile, entre" reppublicani", les "noirs" de la république de Salò, dernier suppôt du fascisme, et les "partigiani " des maquis communistes, assoiffés de justice et de vengeance, après tant d'années d'humiliation et de persécution.
Le désordre et l'insécurité sont permanents, dans le calme trompeur des collines piémontaises.
Ces feux, comme un enfant qui jouerait à la guerre, Corrado, d'abord , les esquive. Il oscille entre la ville de Turin où il donne ses cours et la chambre "in collina" qu'il loue à Elvira et à sa mère, qu'il appelle élégamment "ses vieilles".
Sans prendre parti, il cherche la solitude dans les bois et les champs qu'il arpente avec le chien de la ferme. Parfois, il se laisse attirer par l'Auberge des Fontane , pleine de chants et de mouvements, où semblent se retrouver ceux qui , contrairement à lui, sont décidés à agir. Il y retrouve Cate, un ancien amour, qu' il a abandonnée assez vilainement, sept ans auparavant, sans crier gare. Elle a un fils, Dino, diminutif de Corradino. Cet enfant serait-il son fils?
Corrado l'indifférent est troublé mais pas au point de s'en mêler vraiment.
Le "professore" veut bien faire un peu de morale politique à ces jeunes partisans plein de fougue, inconscients du danger, mais il ne porte pas assez d' intérêt aux autres, pour prendre parti, ni pour porter secours. Comme le lui dit très justement Cate, "il faudrait juste aimer un peu".
C'est ce qu'il ne sait pas faire.
Le danger se précise et frappe, en ville et sur la colline, mais toujours à côté de Corrado. Comme s'il n'avait ni visibilité, ni consistance. Comme s'il n'existait pas. Ne méritait pas même un châtiment.
Autour de lui ce ne sont bientôt plus que razzias et représailles, village contre village. Après un bref passage dans l'enceinte d'un couvent, Corrado fuit cet abri trop clos qui lui paraît une nasse. Plus de transhumance pendulaire entre ville et colline, entre la maison d' Elvira et l'auberge de Cate: il devient un "fuggiasco", un fuyard erratique et déboussolé ..que personne pourtant ne recherche ni ne semble poursuivre. Obsédé par l'idée que seul son village natal pourra l'abriter, il erre de colline en colline, spectateur pétrifié de la violence fratricide, incapable de choisir son camp.
Deux nouvelles qui en sont les brouillons, complètent et éclairent ce roman sombre, cette analyse lucide et tourmentée d'un mal- être existentiel où se lit , bien évidemment, celui de Pavese, dont Corrado est le double romanesque. La guerre, dans sa brutalité, pose des ultimatum violents: choisir, agir , s'engager, protéger. Quand, comme Corrado, comme Pavese, on découvre sa pusillanimité et son repli , vient le dégoût de soi, et après lui, celui de la vie .
Quelques années après la parution de ce roman, Pavese se suicide laissant aux siens, un billet laconique et ironique. "Je pardonne à tout le monde et à tout le monde je demande pardon. Ça va comme ça? Ne faites pas trop de commérages."
Seuls les morts ont la réponse au drame guerrier de l'existence, c'est ce que dit, en substance, la dernière phrase de la casa in collina.
A lire un jour de grand moral.
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Maintenant que j'ai vu ce qu'est la guerre, ce qu'est la guerre civile, je sais que tous, si elle finit un jour, devront se demander : - Et de ceux qui sont tombés, qu'allons nous faire? puisqu'ils sont morts? - Moi je ne saurais que répondre. Pas maintenant, du moins. Je ne crois pas que les autres le sachent. Peut-être que ceux qui le savent ce sont uniquement les morts, et c'est seulement pour eux que la guerre est vraiment finie.
- Tu n'es quand même pas fasciste? me dit-elle.
Elle était grave et riait. Je lui pris la main et plaisantai:
- Nous le sommes tous, ma chère Cate, dis-je doucement. Si nous ne l'étions pas, nous devrions nous révolter, jeter des bombes, risquer notre peau. Qui laisse faire et s'accommode est déjà un fasciste.
Per questo ogni guerra è una guerra civile: ogni caduto somiglia a chi resta, e gliene chiede ragione.
Pour cela toute guerre est une guerre civile: tout homme qui tombe ressemble à celui qui reste, et lui en demande raison.
Perché la salvezza sia toccata a me e non a Gallo, non a Tono, non a Cate, non so. Forse perché devo soffrire dell'altro? Perché sono il più inutile e non merito nulla, nemmeno un castigo?
Pourquoi était- ce arrivé à moi, d'avoir la vie sauve, et pas à Gallo, ni à Tono, ni à Cate, je ne sais pas. Peut-être parce que c'est par l'autre qu'il faut que je souffre? Parce que je suis le plus inutile et que je ne mérite rien, pas même un châtiment?
Cate mi guardava, seria.
-Sai tante cose, Corrado, disse piano, e non fai niente per aiutarci.
Cate me regardait, grave.
- Tu sais tant de choses, Corrado, dit- elle doucement, et tu ne fais rien pour nous aider.
« […] Jour après jour, Saba - de son vrai nom Umberto Poli (1883-1957) - compose le “livre d'heures“ d'un poète en situation de frontière, il scrute cette âme et ce coeurs singuliers qui, par leur tendresse autant que leur perversité, par la profondeur de leur angoisse, estiment pouvoir parler une langue exemplaire. […]
[…] Au secret du coeur, dans une nuit pétrie d'angoisse mais consolée par la valeur que le poète attribue à son tourment, cette poésie est une étreinte : à fleur de peau, de voix, une fois encore sentir la présence de l'autre, porteur d'une joie qu'on n'espérait plus. […]
Jamais Saba n'avait été aussi proche de son modèle de toujours, Leopardi (1798-1837) ; jamais poèmes n'avaient avoué semblable dette à l'égard de l'Infini. le Triestin rejoint l'auteur des Canti dans une sorte d'intime immensité. […]
[…] Comme le souligne Elsa Morante (1912-1985), Saba est plutôt l'un des rares poètes qui, au prix d'une tension infinie, ait élevé la complexité du destin moderne à hauteur d'un chant limpide. Mais limpidité n'est pas édulcoration, et permet au lecteur de percevoir deux immensités : le dédale poétique, l'infinie compassion. » (Bernard Simeone, L'étreinte.)
« […] La première édition du Canzoniere, qui regroupe tous ses poèmes, est fort mal accueillie par la critique en 1921. […] Le Canzoniere est un des premiers livres que publie Einaudi après la guerre […] L'important prix Vareggio de poésie, obtenu en 1946, la haute reconnaissance du prix Etna-Taormina ou du prix de l'Accademia dei Lincei, ne peuvent toutefois tirer le poète d'une profonde solitude, à la fois voulue et subie : il songe au suicide, s'adonne à la drogue. En 1953, il commence la rédaction d'Ernesto, son unique roman, qui ne paraîtra, inachevé, qu'en 1975. […] »
0:00 - Titre
0:06 - Trieste
1:29 - le faubourg
5:27 - Lieu cher
5:57 - Une nuit
6:32 - Variations sur la rose
7:15 - Épigraphe
7:30 - Générique
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Référence bibliographique :
Umberto Saba, du Canzoniere, choix traduit par Philippe et Bernard Simeone, Paris, Orphée/La Différence, 1992.
Image d'illustration :
https://itinerari.comune.trieste.it/en/the-trieste-of-umberto-saba/
Bande sonore originale : Maarten Schellekens - Hesitation
Hesitation by Maarten Schellekens is licensed under a Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International License.
Site :
https://freemusicarchive.org/music/maarten-schellekens/soft-piano-and-guitar/hesitation/
#UmbertoSaba #Canzoniere #PoésieItalienne
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