Les marines de Doro étaient peintes en couleur pâles et imprécises, comme si la violence même du soleil et de l'air, assourdissante et aveuglante, eût éteint ses coups de pinceau.
Doro était né dans cette maison [...]. J'étais curieux de voir sa tête lorsqu'il serait devant cette grille.
Mais lorsque nous sortîmes de l'hôtel pour nous promener, Doro se dirigea d'un autre côté. Nous traversâmes la voie ferrée et descendîmes le cours du fleuve. il était évident que nous allions à la recherche d'un coin à l'ombre, comme en ville, on va au café. Je croyais que nous irions à la villa marmonnai-je. ce n'est pas pour ça que nous sommes venus ?"
Doro s'arrêta et me toisa." Qu'est-ce que tu crois ? que je voulais faire un retour au sources ? ce qui est important, je l'ai dans mon sang et personne ne peut me l'enlever. Je suis ici pour boire un peu de mon vin et chanter une fois encore avec qui je sais. Je m'accorde une récréation, un point c'est tout."
J'aurais voulu lui dire : "Ce n'est pas vrai !", mais je gardais tout de même le silence. je donnai un coup de pied dans un caillou et tirai ma pipe de ma poche. "tu sais bien que je chante faux"., dis-je entre mes dents. Doro haussa les épaules.
La matinée et l'après-midi se passèrent pour nous en tranquille vagabondage, à grimper et à descendre le long des flancs du coteau. On eût dit que Doro faisait exprès de prendre des petits sentiers qui ne menaient nulle part mais qui allaient mourir dans la touffeur sur une grève, contre une haie ou devant une grille fermée.
(p51)
De jour, sur la plage, c’était autre chose. On parle avec une étrange prudence quand on est à demi nu : les mots n’ont plus le même son que d’habitude, parfois on se tait et il semble que le silence lui-même libère des paroles ambigües.
Rien n’est plus inhabitable qu’un lieu où on a été heureux.
Pour supporter les souvenirs d’enfance d’un autre, il faut en être amoureux.
La lune baignait tout, jusqu’aux grandes collines, d’une vapeur transparente qui voilait et effaçait tout souvenir du jour.
Il n’y avait que quelques jours que j’étais à la mer et j’avais l’impression qu’il y avait un siècle. Pourtant, il ne s’était rien passé. Mais la nuit, quand je rentrais, j’avais le sentiment que toute la journée écoulée- la banale journée de plage - attendait de ma part je ne sais quel effort d’élucidation pour que je puisse m’y reconnaitre.
Non, dit vivement Clelia, nous ne nous sommes pas disputés. Et il n’est pas jaloux non plus. Et il ne me déteste pas non plus. Seulement, il n’est plus le même. Nous ne pouvons pas faire la paix, parce que nous ne nous sommes jamais disputés. Vous comprenez ?
- Quel mal y a-t-il ? ça le distrait.
Ce qu’il y avait de mal, c’était que, comme tous les artistes, Doro ne satisfaisait pas sa femme. « Que voulez-vous dire ? » Il voulait dire que le travail cérébral et nerveux diminuait la virilité, et c’est pourquoi tous les peintres ont des périodes de dépression terribles.
Il me dit alors qu’il ne comprenait pas pourquoi les gens prônaient tellement la jeunesse : lui, il aurait voulu avoir déjà trente ans -autant de gagné- ces années intermédiaires étaient idiotes.
- Mais toutes les années sont idiotes. C’est une fois qu’elles sont passées qu’elles deviennent intéressantes.