AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eskalion


Ce roman est le second d'une trilogie entamée avec « Tokyo, année zéro ». le troisième opus devrait donc, en toute logique, paraître l'année prochaine.

Tokyo, 1948. Dans une ville encore sonnée par la gifle magistrale que lui a infligée l'Histoire, un homme se présente dans une banque. Il s'annonce médecin du ministère de la santé et vient pour vacciner l'ensemble des salariés contre une épidémie de dysenterie qui vient de se déclarer dans le quartier. Quelques minutes après avoir bu le vaccin, 10 morts s'étalent sur le sol, quelques rares survivants bougent encore, deux mourront un peu plus tard. C'est le début d'une histoire retentissante qui a véritablement marqué la capitale japonaise au sortir de la guerre.

En mettant en place une structure narrative complexe mais magnifiquement maîtrisée, c'est d'abord à un incroyable exercice de style parfaitement réussi auquel s'est livré David PEACE. Les mots s'entrechoquent portés par des rythmes variants qui les font rentrer en résonance pour nous délivrer un récit d'une grande musicalité .Car « TOKYO, ville occupée » c'est un roman qui se lit à voix haute. Il porte en lui, malgré la tragédie qu'il évoque, une certaine poésie qui est livrée au lecteur au fil des pages.

C'est à travers douze voix, douze témoignages, douze chandelles (celle des morts, d'un policier, d'une survivante,...etc...) qui s'éteignent au fur et à mesure qu'elles ont éclairé leur pan de vérité, que nous sont rapportés les évènements, de près ou de loin, du côté des morts ou de celui des vivants. Et ce, comme autant de pièces d'un puzzle qui ne demande qu'à être reconstruit.

Sauf que les pièces ne se rassemblent pas, que le puzzle ne se reconstruit pas. La vérité est un faux semblant dans ce Tokyo vaincu .

Tokyo est une ville occupée, possédée. Par l'occupant, mais aussi par son passé venimeux. Car Tokyo est une ville empoisonnée par son histoire récente. Les chandelles éclairent une réalité terrible qui s'esquisse dans les ombres qu'elles projettent et qui renvoient à des unités spéciales qui ont oeuvré en Chine, et à des pratiques expérimentales funestes sur l'être humain. Car Tokyo est une ville évanescente et occulte, où rôdent les fantômes d'un passé qui ne veut pas mourir et qui viennent maudire les vivants.

Tokyo a fermé les yeux, a brisé les miroirs. La ville refuse de voir, de reconnaître et de faire sienne une page d'histoire dont elle n'est pas sortie glorieuse et qui entache son passé millénaire. Alors la ville ignore, et se ment. A travers ces pages lyriques et poétiques souvent incantatoires et qui relatent ce crime odieux commis dans une banque, c'est finalement un parallèle qui est fait avec la mécanique mise en oeuvre par ce pays et ce peuple vaincu, pour se construire une autre histoire que l'on devine.

Comme l'explique parfaitement David PEACE dans l'interview qu'il a accordé à France Culture dans l'émission Mauvais Genre c'est parce que les japonais ignorent encore aujourd'hui dans leur grande majorité les exactions commises par l'armée impériale, qu'ils ont pu se construire une image de victime de la guerre (avec Hiroshima et Nagasaki) réfutant de fait celle de l'agresseur. Dès lors les japonais pouvaient entreprendre une reconstruction effrénée de la ville et du Pays pour se lancer à corps perdu dans le développement économique à tout crins.

Mais le passé est un fantôme lui aussi qui parfois peut remonter à la surface et troubler les consciences.

C'est donc , un très grand roman qu'a enfanté David PEACE. Il devient incontestablement un auteur majeur du roman noir. Il maîtrise aujourd'hui à la perfection sa technique d'écriture, chaque fois réinventée.

cette critique a été faite dans le cadre de l'opération " Masse critique" organisée par Babelio et les Éditions Rivages que je remercie.

Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}