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4,1

sur 198 notes
Eh bien quelle visite les amis ! Voici un château dont la plume me hantera longtemps : Celui de Gormenghast avec sa lignée d'aristocrates d'Enfer… tout feu tout flamme ! Ne vous attendez pourtant pas à un château plein de fantasy ni d'horreur. C'est un roman d'ambiance gothique, à découvrir pour sa plume ensorceleuse, qui donne vie à ces 400 pages… d'Enfer ! le cycle de Ghormenghast raconte son histoire en 3 tomes (1100 pages). Ce tome 1 est consacré à Titus d'Enfer, du nom de l'héritier qui y naît enfin.


Sous peine, comme ses habitants, de se laisser engloutir par ses ténèbres, Gormenghast est un château que le lecteur doit activement explorer. La plume de Mervin Peake est le meilleur guide : animiste, espiègle, qui fait à elle seule tout le charme de l'histoire et des personnages. Ceux-ci, pour la plupart, n'ont rien d'autre à faire que de comploter les uns contre les autres. Car sous ses faux airs immuables, imperturbables et placides des grandes lignées, une rude bataille de pouvoir est livrée au fin fond de ce château, personnage principal d'une famille entièrement régie par les rituels, et au sein de laquelle chacun a sa place bien déterminée ; Mais ce n'est pas toujours celle qu'il ou elle voudrait… Des gens de sang aux domestiques, tous désirent ce qu'ils n'ont pas : la liberté des uns, le pouvoir des autres, la jeunesse ou l'expérience… l'amour.


« Ce n'était pas souvent que Craclosse contemplait d'un oeil indulgent le bonheur des autres. Il voyait dans le bonheur les germes de l'indépendance, et, dans l'indépendance, ceux de la révolte. »


Et si l'équilibre est bousculé dans le château ancestral du Comte d'Enfer, de son épouse qui parle aux oiseaux (!) et de sa fille évaporée qui nous le fait visiter, c'est que l'héritier tant attendu, Titus d'Enfer, naît le jour de notre arrivée au château. Branle-bas de combat aux cuisines, si goulument décrites, pour le valet personnel du comte bientôt menacé, pour la vieille nounou qui doit trouver une femme au village pour allaiter l'enfant en restant indispensable, pour le canonique maître du rituel et son fils encore plus momifié, pour les tantes jumelles jalouses de l'héritier qui sont prêtes à tout pour prendre sa place, bref : bienvenue au musée des horreurs, où chaque portrait est dépeint comme les bocaux de ces savants fous, faisant naître en nous la vision d'un secret cabinet de curiosités, que la plume virtuose de Mervin Peake chatouille et anime sous nos yeux ébahis. Oui, décidément, l'atout majeur de ce livre est cette plume qui dessine chaque personne et chaque objet, animant chaque détail grâce à ses descriptions quasi-vivantes.


« Nannie Glu tourna ses yeux bordés de rouge vers l'homme imberbe, à la tignasse en bataille et dont les prunelles nageaient comme deux méduses derrière les verres de ses lunettes ».


L'auteur a un don sans pareil pour décrire cet univers gothique de la manière la plus imagée possible. C'est peut-être que, comme Maryam Petrosyan lorsqu'elle a écrit sa sublime et labyrinthique « Maison Dans Laquelle », l'auteur a d'abord dessiné son univers avant de nous le livrer, ce que l'on ressent véritablement à la lecture. Il faut dire que le dessin est autant son univers que l'écriture, puisque ce sont très certainement les illustrations de Mervyn Peake que vous avez à l'esprit lorsque vous pensez à Alice Au Pays Des Merveilles !


Pour autant, comme dans toute maison où l'extraordinaire devient l'ordinaire, on pourrait s'ennuyer si l'auteur ne nous dispensait pas quelques menues aventures, des explorations insolites de ce château qui fait rêver, d'innocentes magouilles ou de plus machiavéliques intrigues, certaines luttes de pouvoir, quelques tentatives de meurtre et, comme dans tout catacombe d'un château de cet envergure… quelques cadavres ! Ajoutez à l'ambiance les noms des personnages qui correspondent à leurs porteurs, et vous aurez un aperçu de cet univers truculent : Glu (la nounou pot de colle), Lenflure (l'enfoiré de cuisto qui pimente l'histoire), Finelame (le commis de cuisine arriviste qui fera l'histoire en manipulant tout le monde), Salprune (le docteur qui lève le coude mais a beaucoup de finesse), Craclosse (le vieux valet sur la sellette) et j'en passe, sans compter le comte d'Enfer lui-même — qui en vit un, dans la prison dorée de sa maudite lignée.


« Nannie Glu entra, portant dans ses bras l'héritier de millier d'hectares de pierres croulantes et de vieux ciment, l'héritier de la tour des Silex et des douves stagnantes, des monts déchiquetés et du fleuve glauque où, douze ans plus tard, il irait pêcher les poissons hideux de son héritage. »


Où en sera-t-on douze ans plus tard ? A nous de le découvrir, en lisant la suite !
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Mervyn Peake était peintre, romancier, et poète. Rien d'étonnant alors à ce que la trilogie de Gormenghast, dont « Titus d'Enfer » est premier tome, soit une oeuvre lyrique fascinante construite comme un tableau.

*
J'ai été extrêmement sensible à ce récit unique, dont l'écriture, poétique, enchanteresse, angoissante, monstrueuse, m'a transportée par son imagination incroyable et sa beauté littéraire.
Chaque scène est décrite avec une minutie de détails, et peu à peu, l'auteur dessine un monde clos et lugubre, un ilot ceinturé de hautes murailles perdu au milieu d'une forêt dense et profonde.

*
Mervyn Peake a réussi à concevoir un ensemble baroque totalement fascinant, troublant, tant l'atmosphère et les personnages sont sombres, mystérieux et je dirais presque surnaturels. J'ai eu l'impression d'être plongé dans l'univers poétique et décalé de Tim Burton.
Si le titre fait référence à Titus, le nouveau-né de la famille d'Enfer, le personnage principal de ce récit est sans aucun doute le château de Gormenghast.

Par certains côtés, il est omniprésent, et donne l'impression d'une masse vivante, imposante, oppressante, intimidante, rampante, vorace, rongée par le temps. On l'imagine aisément, avec tout un labyrinthe de couloirs sinueux et de galeries étroites, de passages secrets, d'escaliers sombres, de greniers poussiéreux, de tourelles et de sculptures menaçantes, remarquable bestiaire fantastique de pierre grisâtre.

Par d'autres côtés, je l'ai perçu à travers un filtre d'irréalité et d'étrangeté. J'ai eu l'impression de voyager le temps d'un songe, ou peut-être bien de vivre dans un autre temps.
En tous les cas, ce monde m'est apparu sous la forme d'un vieux film en noir et blanc. J'ai été captivée par la vision brumeuse qui m'a été offerte, dans laquelle les formes, les lumières, les ombres saturés d'encre de Chine et d'argent se révélaient.

Sur le papier, se dessinent ainsi, peu à peu, le château maudit de Gormenghast, un monstre inquiétant et tortueux dont on sent la respiration et les murmures. Ses contours labyrinthiques créent immanquablement un contraste saisissant d'ombres et de ténèbres transpercées d'éclats de lumière.

« Gormenghast, du moins la masse centrale de la pierre d'origine, aurait eu dans l'ensemble une architecture assez majestueuse, si les murs extérieurs n'avaient été cernés par une lèpre de demeures minables. Ces masures grimpaient le long de la pente, empiétant l'une sur l'autre jusqu'aux remparts du château, où les plus secrètes s'incrustaient dans les épaisses murailles comme des arapèdes sur un rocher. Une ancienne loi permettait à ces taudis de vivre dans une intimité glaciale avec la forteresse qui les surplombait. Sur les toits irréguliers s'allongeaient, saison après saison, les ombres des contreforts rongés par le temps, des tourelles altières et brisées, et surtout la grande ombre de la tour des Silex. Cette tour, irrégulièrement mouchetée de lierre noir, s'élevait au milieu des créneaux en coup de poing de la maçonnerie comme un doigt mutilé, blasphématoire, vers le ciel. Les hiboux, la nuit, en faisaient un gosier plein d'échos. le jour, elle restait muette dans son ombre portée. »

Je me suis attachée à ce vieux château délabré qui garde tout de même une certaine majesté. Mais que serait Gormenghast sans ses habitants ?

*
Dans ce décor sinistre très cinématographique, chaque personnage est remarquablement et follement mis en scène. Mervyn Peake joue avec sa plume, écrivant tour à tour, de manière subtile, délicate, excessive ou outrancière. Chaque portrait s'inscrit dans la mémoire du lecteur par son étrangeté et ses descriptions caricaturales et grotesques.

Dans la famille « d'Enfer », je demande le père, Lord Tombal. Homme solitaire, mélancolique et taciturne, il ne vit que pour ses livres. Je voudrais également Dame Gertrude, son épouse, celle qui m'a fait la plus grosse impression. Femme rêveuse et effrayante, elle vit retranchée dans sa forteresse au milieu d'oiseaux de toutes sortes et des chats immaculés.

« La comtesse descendit enfin de l'échelle à pas de mammouth. Quand elle eut de nouveau les deux pieds sur le sol, elle se dirigea vers le lit sombre, alluma la mèche d'une bougie à demi fondue et, s'adossant aux oreillers, modula entre ses longues lèvres un sifflement d'une douceur particulière.
Elle ressemblait à un arbre d'hiver, soudain gigantesque, paré de son feuillage d'été. Pourtant, ce n'était pas d'épaisses frondaisons qu'elle était couverte, mais d'oiseaux. Cent paires d'yeux étincelaient comme des billes de verre à la lueur de la bougie. »

Vient après, leur fille Fuchsia, jeune fille sombre, sensible, en manque d'affection, et le fils, Titus, futur maître de Gormenghast. Mais pour l'instant, ce petit être au visage disgracieux, abandonné entre les mains du personnel, suscite l'indifférence la plus totale de sa famille.
Pour compléter le tableau de cette famille peu conventionnelle, les deux vaniteuses tantes, Clarisse et Cora, deux jumelles ivres de pouvoir et de reconnaissance.

*
Dans la famille « Personnel de maison », je demande, l'arachnéen et taciturne valet personnel de Lord Tombal, le dénommé Craclosse. Puis, j'appelle le burlesque docteur Salprune et sa lassante soeur Irma, Grisamer le maître des cérémonies et garant du respect des traditions ancestrales, la vieille gouvernante Nannie Glue, Keda la nourrice, Finelame le jeune commis perfide, arriviste et beaucoup trop intelligent et enfin, pour finir, Lenflure le chef-cuisinier pervers et haineux, dont voici une description de l'auteur :

« Il dévore maintenant la double file des maigres apprentis, comme un calmar prêt à avaler une créature des profondeurs. Buvant des yeux les jeunes garçons, le chef sent un frisson sensuel lui parcourir la moelle, car il sait que son pouvoir est absolu. »

*
Les acteurs de l'intrigue sont maintenant au complet, tous les ingrédients de la tragédie sont présents.
Le jeu peut commencer.

« Dans leurs prisons d'argile, les passions allaient butiner maintenant dans les alvéoles de pierre. Il y aurait des pleurs, et il y aurait d'étranges rires. Des naissances et des morts sous les plafonds ombrageux. Et des rêves. Et de la violence. Et des charmes rompus. »

Alors que certains habitants du château vivent dans un quotidien monotone, fastidieux et routinier, indifférents au monde qui les entoure, soumis à des rites aussi immémoriaux que désuets, d'autres avancent leur pion, intriguent et manipulent.

« Les choses doivent être justes. Pourquoi ne le sont-elles pas ? À cause de l'ambition, de la cruauté, de la course effrénée au pouvoir. C'est à cela qu'il faut mettre fin. »

*
Transporté à la fois dans un monde réel, écrasant et fantastique, je me suis délectée de cette ambiance gothique totalement décalée. le monde de Mervyn Peake m'est apparu magique, sombre, excentrique, décalé, onirique, mais aussi très réaliste par les sombres pensées de ses habitants, leurs passions et leurs ambitions mesquines et viles, tout à fait humaines.
La psychologie des personnages est très bien décrite. Ils apparaissent détestables, attendrissants, pathétiques, sournois, monstrueux, charmants, sympathiques, ou irritants. Avec une pointe d'humour et d'ironie, l'auteur révèle leurs obsessions, leurs singularités, leurs désirs, leurs doutes, leur fragilité, leur folie qui se mêlent aux dédales de Gormenghast.

« Les ténèbres résonnaient de passions de plus en plus menaçantes, haine, colère, douleur, et les voix de meute de la vengeance. »

*
Premier tome d'une série de quatre, « Titus d'Enfer », écrit en 1940, est une magnifique surprise. L'auteur a pris son temps pour peindre un univers envoûtant au réalisme magique. Grâce à une imagination délirante et foisonnante, les magnifiques décors s'installent progressivement pour dévoiler des personnages inoubliables et une intrigue habile.
Certains lecteurs pourraient parler d'OLNI pour caractériser ce roman atypique et original, mais c'est assurément pour moi un très beau coup de coeur que je dois à Onee. Je ne connaissais ni l'auteur, ni ce roman, mais sa superbe critique m'a convaincue. Je vous engage à la lire et à lire ce roman pour vous faire votre propre avis.
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Gormenghast est un immense château dressé au coeur des montagnes. C'est un lieu étrange et labyrinthique sur lequel règne l'antique famille des comtes d'Enfer dans les membres semblent vivre ensemble dans une sereine indifférence. Lord Tombal, le chef de famille, passe ses journées enfermé dans sa bibliothèque et cloitré dans sa morne mélancolie, tandis que son épouse communique uniquement avec sa horde de chats et d'oiseaux, dédaignant la compagnie des humains. Leur fille Fuchsia est une adolescente rebelle et fantasque que son imagination trop vive isole du reste du monde. Autour de cette famille peu ordinaire, gravite une nuée de domestiques tous plus excentriques les uns que les autres : le squelettique Cracloss valet de chambre du comte, l'énorme Lenflure le chef-cuisinier, le docteur Salprune, etc. Tout ce petit monde règle son existence sur une suite de rites aussi anciens qu'abscons et les jours s'écoulent ainsi à Gormenghast, monotones, répétitifs, sans surprise… Jusqu'au jour où un héritier mâle voit le jour au château : le petit Titus d'Enfer ! Conjuguée aux ambitions d'un jeune cuistot brillant et malveillant, le rusé Finelame, sa naissance va déclencher une foule d'événements inattendus qui mettront sens dessus dessous les vies bien ordonnées des habitants de Gormenghast.

Premier tome de la trilogie de Gormenghast, « Titus d'Enfer » est un roman des plus troublants, si troublant que j'ai eu un peu de peine à m'y immerger. Tout d'étrangeté, de poésie vaguement cauchemardesque, de folie douce et de mystère, l'univers mis en place par Mervyn Peake ne ressemble à nul autre. Cette bizarrerie omniprésente peut séduire, mais également s'avérer difficile d'accès, selon les lecteurs et leurs affinités. En ce qui me concerne, il m'est arrivé à plusieurs reprises de décrocher légèrement du récit : l'intrigue me paraissait trop immatérielle, les personnages intéressants mais trop archétypaux pour susciter vraiment la sympathie, leurs sentiments trop outrés… En clair, tout ceci était fort beau et magnifiquement écrit, mais un peu trop abstrait pour que je puisse totalement y adhérer. Malgré cette impression de rester un peu à la surface des choses, j'ai pris beaucoup de plaisir à ma lecture et je ne manquerai pas de me plonger dans le tome suivant – d'autant que j'ai bon espoir de trouver dans le jeune Titus (qui pour l'instant manque un peu de présence ; faut dire qu'il n'a qu'un an, le pauvre chou) un personnage auquel m'attacher davantage.

En conclusion, « Titus d'Enfer » est un roman doté d'évidentes qualités et qui n'a pas volé sa place de classique de la littérature fantastique, mais peut-être légèrement hermétique pour qui aime les intrigues plus concrètes et les personnages moins évaporés. Affaire à suivre, tout de même !
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Trouverons nous un jour la clé de ce mystère insondable : mais qui donc écrit les quatrièmes de couverture ? Quel esprit pervers balade les lecteurs entre Charybde « Fallait pas lire, je spoile » et Scylla « Achète toujours, je raconte n'importe quoi »?
En l'occurrence, c'est sur l'écueil Scylla que j'ai failli échouer, partie joyeusement à la découverte d'une « famille farfelue » dans la matrice de la fantasy anglo-saxonne. Sauf que « farfelu » invite à la légèreté et à l'espièglerie, tandis que la famille d'Enfer navigue plutôt entre neurasthénie et tragédie, promenant son ennui (et parfois le nôtre, avouons-le) dans le lugubre et merveilleux château de Gormenghast qui fait irrésistiblement penser au palais de Xanadu dans le poème de Coleridge.
Oui, car ce livre est un long poème stupéfiant, à tous les sens du mot, qui à la fois étonne et engourdit comme une suite d'arrêts sur images qu'un pouce languissant fait défiler dans un flip-book. « Une lune gibbeuse se levait. La terre et les arbres étaient marbrés de taches noires et blanches dont les reflets nacrés se déplaçaient lentement. Une brume impalpable et brillante comme une huître passait au-dessus de sa tête. »
Bon, alors ça raconte quoi? Euh... Laissez-moi réfléchir. Une famille corsetée par une étiquette absurde et immuable glisse dédaigneusement au milieu de serviteurs grotesques et énigmatiques dans un château dédaléen. À moins qu'il ne s'agisse de LA famille, forcément conservatrice et névrosée (« névrosante » me plairait bien, mais ça ne doit pas exister). Ou de notre société à la dérive. On ne sait pas. Et on s'en fiche. La lune est gibbeuse. Craclosse part affronter Lenflure. le lecteur commence à se dire qu'en presque 600 pages un combat à mort, alors qu'un incendie a déjà eu lieu, c'est un peu trépidant comme rythme. Ça y est, il est pris. Il se retient de tourner la page et savoure l'instant étiré. Il n'en veut plus à l'auteur inconnu du « farfelue ».
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Lire ce premier tome de la trilogie de Gormenghast, c'est plonger dans un univers unique, à part, un voyage dans un onirisme sombre, créé de toutes pièces par le peintre, romancier et poète Mervyn Peake. C'est un voyage hors normes dans cette famille aristocratique particulière que sont les d'Enfer (rien à voir avec Cruella), comtes de père en fils sur un territoire (à défaut de pouvoir lui donner un nom précis ; sommes-nous dans un pays particulier ? Un royaume ? Rien ne l'indique), et gardiens d'une tradition familiale plusieurs fois séculaire.

A l'ouverture du roman c'est le soulagement : la comtesse vient d'accoucher d'un garçon, Titus, plus d'une dizaine d'années après la naissance de l'aînée, Lady Fuschsia. La lignée va donc se poursuivre, la comtesse se mettre au vert avec ses oiseaux et sa mer de chats, la maisonnée tourner à nouveau au rythme de rites dont les origines et le sens sont depuis longtemps perdus, et les domestiques mener leur service tout en cherchant à se tuer (l'affreux cuisinier Lenflure – qui porte tellement bien son nom – et Craclosse, le majordome du comte d'Enfer, se vouant tous deux une haine sans bornes) ou bien à intriguer pour s'assurer une position dominante (le jeune, ambitieux et cruel Finelame).

L'intrigue du roman est plus que mince mais pour une fois ce n'est pas un inconvénient, bien au contraire, l‘intérêt du roman se situant dans l'univers que dresse Mervyn Peake, peuplé de personnages tous plus extraordinaires et extravagants que les autres, au premier rang duquel le château de Gormenghast, personnage principal incroyable avec ses tours crénelées dans l'une desquelles nage même une jument blanche et son poulain (normal…), ou d'où sort un arbre gigantesque… Gormenghast forme ainsi son propre écosystème, avec ses enceintes qui protègent ses habitants du monde extérieur, ceux-ci n'en sortant jamais et étant rarement en contact avec le peuple vivant à ses abords, les Brillants Sculpteurs, dont l'occupation principale est de réaliser des oeuvres dont certaines seront exposées dans la galerie du château que personne ne visite jamais. A l'instar du château, les personnages ont ainsi tous une particularité physique (Craclosse et sa démarche arachnéenne et claquante due aux articulations de ses genoux, l'obésité fantastique de Lenflure, le rire agaçant plein de dents étincelantes et carnassières du docteur Salprune, etc.) souvent un peu ridicules par certains aspects. Curieux monde dans lequel d'ailleurs le système de classe se trouve malmené et bouleversé, valetaille et maîtres passant leur temps ensemble, voire même inversé, avec les intrigues de Finelame qui réussit à dominer psychologiquement les deux vieilles jumelles, Lady Cora et Lady Clarice, après avoir fait ce qu'il voulait d'Irma Salprune, la soeur du docteur particulier de la famille.

Un monde régi aussi par l'absence de signification : les Brillants Sculpteurs échangent leurs oeuvres pour quoi ? Pouvoir se promener sur les remblais du château (quelle utilité ?). A quoi servent les rites ? On ne sait plus. Et l'incendie de la bibliothèque, orchestré par Finelame ? Que va-t-il en retirer ? du pouvoir, mais auprès de qui ? Aucune réponse précise n'est apportée.

Le récit est également servi par une écriture protéiforme, tantôt très réaliste dans ses descriptions, tantôt épique (la bataille de Lenflure et Craclosse), avec parfois des traits d'humour savoureux. Mervyn Peake était peintre et ça se sent, les images venant facilement en tête grâce à cette écriture volontiers hyperbolique et volubile confinant au cinématographique. J'ai ainsi eu l'impression de lire une rencontre entre Tim Burton (la scène des jeunes commis de cuisine m'ont fait penser aux Oompa Loompa de « Charlie et la chocolaterie »), Jean-Pierre Jeunet et Wes Anderson (pour « La famille Tenenbaum » et ses membres si particuliers). Un voyage détonnant et original, que je n'aurais pas découvert sans la superbe critique de @HundredDreams que je remercie chaleureusement et dont je vous conseille la lecture (si ce n'est pas déjà fait).
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Est-ce que la littérature de l'imaginaire est considérée comme un genre peu noble ? Pourquoi Mervyn Peake est-il si peu lu en France ? Il y a des amoureux de Tolkien, pourtant. Il y a des amoureux de Lovecraft, aussi. Et Mervyn Peake ? On en parle ?
C'est l'un des auteurs cultes de la fantasy, de ce genre qui concilie le merveilleux et le fantastique. «Le texte de fantasy doit provoquer chez le lecteur, selon J. R. R. Tolkien lui-même, awe and wonder, effroi et émerveillement». (La Fantasy, Jacques Baudou) . Aux sources de la fantasy, il y a le mythe mais aussi le conte populaire, la tradition orale, les contes de fées ou les histoires pour faire peur. La littérature médiévale mêle la mythologie celtique à la tradition chrétienne. William Shakespeare nous fait rêver avec certaines de ses pièces féériques. « Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil. » Avant Tolkien, il y aLewis Carroll ( et Mervyn Peake, cet amoureux du nonsense, illustre Alice au pays des Merveilles). Il y a encore le fameux Neverland de Peter Pan. Et Mervyn Peake alors ?

Mervyn Peake, auteur- illustrateur, a une vision. Il est fantasque, familier, drôle, capricieux , étrange, effrayant. "D'un côté, des lignes pures, comme tracées de bout en bout à la main levée, et de l'autre le sens de l'absurde et de la dérision, la poésie baroque et la drôlerie, les détournements de la culture populaire." "Toute l'ambiguïté fascinante de M. Peake se trouve dans cette confrontation parallèle de deux types de trait : d'un côté, des lignes ténues, fragiles, qui oscillent entre beauté et laideur, vérité et caricature, préfigurant de manière saisissante les tracés à main levée de Moebius, et de l'autre, plus complexe, plus méticuleux, tissant des réseaux de hachures, structurant à l'encre de Chine les volumes alors que le pourtour des objets ou des personnages disparaissent progressivement, comme dans Alice au pays des merveilles". (Gyger Patrick et Jaccaud Frédéric, « Lignes de fuite, Mervyn Peake ») Après son expérience de la guerre, il fait des dessins plus sombres, plus effrayants, les symboliques sont sensiblement différentes, comme ses illustrations de Coleridge, terribles. Chez Peake, il y a un style personnel, original, propre au mythe des origines, qui préserve l'imaginaire de l'enfance mais qui me rappelle un peu, aussi, le grotesque des figures de Goya. C'est un créateur burlesque, ambivalent, protéiforme, polyvalent, qui préserve l'innocence du regard, qui prépare à l'expérience, un peu comme William Blake qui était à la fois graveur et poète. C'est dire à quel point l'oeuvre est un véritable petit bijou, que je recommande à tout amateur de fantasy. Intéressez-vous à la littérature jeunesse de Mervyn Peake si vous manquez du temps nécessaire pour dévorer les trois tomes de sa trilogie, son oeuvre la plus célébrée.

On parle à propos de Gormenghast de roman gothique, et je suis d'accord parce que ce château est en effet un personnage à part entière, une véritable forteresse, moyenâgeuse, avec ses tours, ses meurtrières, ses recoins inexplorés, ses zones d'ombres, inquiétantes. le Château d'Otrante d'Horace Walpole se trouve dans ma liste de livres que je meurs d'envie de lire. Je me demande si j'y retrouverai cette fascination pour l'architecture. Gormenghast reste jusqu'à présent le château le plus fantasmagorique à mes yeux, on dirait « La Maison des Morts » d'Apollinaire.
Depuis la naissance de l'héritier du comte d'Enfer, le temps est suspendu. On nous annonce quelque chose, une menace qui plane. Il y a une sacrée tension entre l'évènement et l'éternité, inhérente au château qui n'a pas d'âge. On entend le silence, cependant. Tout est savamment orchestré par le Maître du Rituel mais le sens des rites ancestraux nous échappe. Rien ne bouge mais ça grouille, ça fourmille, depuis les cuisines jusque sur les toits du château, et au-delà.
Il y a du grotesque chez Peake, un peu comme chez Rabelais, avec ces personnages énormes, comme Lady Gertrude, Lenflure, ou ces personnages tout en articulations qui craquent comme Craclosse ou ces petits êtres qu'on ne remarque qu'à peine, insignifiants jusqu'à ce qu'on mette la lumière sur eux, comme Titus. J'avoue avoir un faible pour Lord Tombal (Lord Sepulchrave dans la version originale), le père, l'absent, l'amoureux des livres. J'admire aussi celui qui surveille les statues, celles qui restent figées pour l'éternité, et ils prennent tous la poussière, les statues comme les hommes.. Ils sont tous incroyables, vraiment, c'est une galerie à découvrir, comme dans un musée de curiosités hétéroclite.

N.B : J'ai puisé dans des vieilles fiches de lecture retrouvées au fond d'un carton pour rédiger cette critique, à propos de la fantasy surtout, et je dis merci à M. Baudou pour toutes ces références sur ce genre si difficile à saisir, parce que les définitions diffèrent indéfiniment. L'oeuvre de Mervyn Peake ne se limite pas à la fantasy ; et le troisième tome de la trilogie relève d'un genre à part, parce que c'est plus sombre et plus flou et plus fou.
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Un héritier vient de naître à Gormenghast. Il est le soixante-dix-septième comte de la lignée d'Enfer. « La comtesse venait d'avoir un fils. Était-ce le moment de se montrer raisonnable ? » (p. 33) Pourtant, cette grande nouvelle agite bien peu le château dont rien ne semble pouvoir briser l'éternelle routine. Lord Tombal n'est pas un père comblé et lève à peine le nez de ses livres et de sa profonde mélancolie. Lady Gertrude ne pense qu'à retourner à ses chats blancs et à ses oiseaux. La jeune Lady Fuchsia est bien un peu furieuse de ne plus être fille unique, mais elle oublie vite cette contrariété pour retourner dans son monde imaginaire et son grenier plein de bric-à-brac. Ils ne sont pas nombreux, ceux que cette naissance émeut. Il y a Craclosse, le fidèle et dévoué valet de Lord Tombal. « Craclosse fut saisi d'épouvante par quelque chose dont il ne pouvait encore saisir toute la signification, mais qui le submergeait d'horreur. » (p. 248) Il y a Nannie Glu, vieille femme minuscule qui ne cesse de s'affairer dans le château et qui semble le tenir à bout de bras. Et il y a Finelame, employé ambitieux échappé de l'enfer des cuisines et bien décidé à prendre la place du nouveau-né sur le trône de Gormenghast. En coulisse, l'énorme et écoeurant Lenflure, chef cuisinier, semble ourdir un terrible plan. Les vieilles jumelles Cora et Clarice ruminent de poussiéreux rêves de pouvoir. Grisamer, maître du rituel, veille que tout se déroule comme cela s'est toujours déroulé. Car elle est là, la grande malédiction de Gormenghast : la lignée des comtes et le vieux château décrépi sont figés dans un cérémonial sans cesse répété. « On ne savait plus ce que signifiait ce rite, car les archives avaient disparu, mais quoique inintelligible la cérémonie n'en était pas moins sacrée. » (p. 346) Et voilà que Titus, à peine âgé de quelques jours, commet son premier sacrilège envers Gormenghast. le jeune héritier sera-t-il le sauveur ou le destructeur de la lignée d'Enfer ?

Quelle délicieuse étrangeté dans l'atmosphère de ce roman qui oscille entre gothique et baroque ! Les couloirs sombres et labyrinthiques semblent abriter à la fois la pire des menaces ou la plus folle des extravagances. Les pièces dissimulent des arbres, des bibliothèques gigantesques et des prisons dont on ne peut pas s'échapper, sauf par la fenêtre. le lierre et la mousse montent à l'assaut des pierres depuis des siècles et personne ne s'étonne de la vieillesse des lieux. Serré dans l'ombre du château, le village abrite des silhouettes informes qui n'existent que par la grâce de Gormenghast et qui participent chaque année à la grande cérémonie des sculptures, autre rite insensé qui perdure depuis le premier comte d'Enfer. Il est donc temps que les choses changent. Nourrisson encore innocent, Titus porte en lui les germes de la nouveauté, pour le pire et le meilleur. « le cycle de douze mois était achevé, et Titus venait d'entrer dans sa seconde année – une année qui, à peine entamée, allait être le théâtre d'un déchaînement de violence dans l'air empoisonné de Gormenghast. » (p. 480)

J'ai été subjuguée par ce roman étrange et irréel. Et je suis convaincue qu'il doit être savoureux de le lire en anglais pour profiter des noms originaux des personnages qui, traduits, correspondent déjà parfaitement au caractère des protagonistes. La suite, très vite !
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Premier tome de cette trilogie que j'ai trouvé en bourse aux livres.
Le moins que je puisse dire c'est que c'est un roman fascinant où l'auteur a une imagination débordante et un humour féroce ; il mêle le tout dans une fiction étrange voire inquiétante.

Tout est bizarre dans ce Château de Gormenghast accroché à flanc de montagne .
Dans un monde impossible l'irréel côtoie une réalité sidérante où se nouent et se dénouent le destin de tous les protagonistes.

Les descriptions des lieus comme des personnages sont minutieusement décrits avec application et délectation. C'est vraiment jubilatoire et passionnant de bout en bout.


A découvrir cette famille farfelue les d'Enfer :
- Lord Tombal d'Enfer passionné par son immense bibliothèque,

- Son épouse Lady Gertrude qui ne vit que pour ses magnifiques chats blancs et les oiseaux de toutes sortes qui vivent avec elle et sur elle 24 heure sur 24,

- Lady Fushia , leur fille adolescente qui s'invente un monde loin de tous dans le grenier poussiéreux au-dessus de sa chambre,

Mais aussi les deux tantes exactement identiques pas très fûtées ; puis Craclosse, Lenflure, Grisemer, Nannie Glu, Dr Salprune,Finelame et toute la valetaille dont le petit peuple des sculpteurs qui vivent dans des huttes au pied du château.

Quelle fantastique écriture ; j'en redemande, il me faudra donc trouvé les deux tomes suivant pour savoir ce qui se passe après le sacre de Titus, enfant de Lord Tombal et Lady Gertrude.

" Nous ne savons pas, mais en lisant Mervyn Peake, il semble toujours que nous attendions l'aurore".


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Au début, j'ai eu un peu de mal à trouver un point d'entrée dans cet immense château. Où m'étais-je aventuré, et qui étaient ces personnages un peu laids, se livrant à des dialogues hésitants autour de sculptures que nul ne venait contempler ? Cela m'a laissé perplexe, mais il y avait déjà cette langue foisonnante et très visuelle, tissant des descriptions pleines de détails raffinés, dont il serait criminel d'isoler des parties pour les citer ici, car chaque segment de texte n'exprime toute sa beauté qu'au sein d'un ensemble plus large (généralement long de plusieurs paragraphes au moins). Comme un tableau.

Et puis, lors de mes errances des chapitres suivants, les tableaux se sont succédé, toujours plus intrigants... mais pas encore unis par une intrigue.

Jusqu'à ce qu'un frêle garçon initie un mouvement, et commence à me montrer un chemin à travers les structures gigantesques du château. Entraîné dans le sillage de sa grisante ascension, il me fut impossible de ne pas m'identifier un peu à lui, et de trouver de bons côtés aux coups de pieds cruels qu'il allait donner dans la fourmilière poussiéreuse de Gormenghast.

Finelame*, car tel est son nom, est le seul à vouloir imposer un changement, à vivre une aventure dans un univers qui resterait autrement figé, condamné à répéter sans cesse les mêmes motifs, sous la forme d'un rituel immémorial, placé entre les mains de figures maladives et obtuses, qui semblent conservées au-delà de leur existence naturelle par ce rite (la comparaison avec le château décrépit s'impose). le rituel ne nous est que très rarement montré, et toujours sous des aspects absolument ridicules, mais chacun s'y plie. Comme aux règles d'un roman s'écoulant platement du début à la fin.

Et dans ce roman, la présence de Finelame joue donc le rôle d'élément perturbateur. Les autres personnages, en interagissant avec lui et en subissant les retombées de ses actions, acquièrent plus de relief, confrontés à ce changement qui remet en cause leur inertie.

Ils se dévoilent donc, d'abord en préambule dans leur attitude typique, puis dans le sillage de l'apparition de notre "héros", ils acquièrent plus de vie et de couleurs, de même que les combles et autres soubassements en ruine du château de Gormenghast, théâtre de leur agitation soudaine. Chaque chapitre nous présente leur portrait sous un éclairage différent, digne des bougies tremblotantes de la comtesse Gertrude, et qui leur confère des aspects aussi grotesques que leur château impossiblement étendu. Les personnages comportent tous des traits physiques et/ou psychologiques exagérés, plus grands que nature : le rire et le côté dégingandé de Salprune, la mélancolie maladive du Comte, les chleuasmes et les complaintes permanents de Nanie Glu… et que dire de la Comtesse, figure même de l'excès, de par sa corpulence, ses nuées des chats et d'oiseaux, et son isolement de la réalité et de ses proches… ?

Pourtant, chacun d'entre eux m'a paru singulièrement réel. Leurs caractères outranciers n'oblitèrent jamais leur crédibilité : Mervyn Peake réussit l'exploit de pousser l'humanité dans ses retranchements sans la trahir. Les personnages ont leurs voix propres, qui en viendront même à se substituer à celle du narrateur, lors de mon passage préféré de tout le cycle de Gormenghast, qui nous fait toucher au comble de la sympathie et de l'empathie, pour ces êtres humains.

Grâce à tout cela, le grotesque échappe au vide et s'avère être une porte d'entrée vers le romanesque et ses péripéties exaltantes : duels improbables (une spécialité chez Mervyn Peake) et fulgurances poétiques. Par moments, l'univers de Gormenghast se condense, le temps suspend son vol, tout semble devenir plus lent, plus simple, plus acceptable, plus beau. Il suffit juste d'une belle image, comme une goutte d'eau qui reflète et contient tout le château. Ainsi, tous les excès des personnages se fondent dans le calme d'une lecture lente et revigorante, d'une incroyable beauté.

Au-delà de la puissance évocatrice de ce roman, le sentiment le plus prégnant que j'en retire est d'avoir vécu à Gormenghast pendant les 1-2 mois qu'aura durés ma lecture. Des vacances de rêve dans un château hanté par des figures familières, qui ne sont que des fragments de nous-mêmes, détachés et grandissant à l'écart du réel pour mieux y retourner, lorsque nous venons, par notre simple lecture, leur superposer nos visions et nos aspirations, pour finalement enrichir ce château-monde.

*La traduction du nom de "Steerpike" en "Finelame" est un triste exemple de tout ce qui peut se perdre d'une langue à l'autre : on abandonne la sonorité venimeuse du nom (qui évoque un crachat de cobra). Et on délaisse également les idées de "tisonnier" ou de "tournebroche" : quelqu'un qui supervise un objet en train de cuire, de brûler… La traduction de Patrick Reumaux est par ailleurs de grande qualité, mais je ne peux m'empêcher de regretter ce choix.
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Par où commencer quand on doit évoquer une oeuvre aussi originale et magistrale que celle-ci ? Il est difficile d'exprimer toutes les émotions ressenties à la lecture de ce fabuleux chef d'oeuvre (trop méconnu), cette histoire originale qui défie tous les codes propres aux romans que j'ai pu lire jusqu'à présent. Titus d'Enfer est un ovni qui a sa place parmi les plus grandes oeuvres fantastiques de notre époque. Imaginé par Mervyn Peake dont il est dit qu'il a influencé la fantasy anglo-saxonne, le cycle de Gormenghast n'est pourtant pas un récit surnaturel au sens propre. L'auteur nous livre plutôt un ensemble de scènes irréelles, fortement influencées par le récit gothique, une oeuvre en clair-obscure qui se teinte d'angoisse, d'absurde, de folie, parfois lumineuse et colorée, parfois désespérée et sombre, autrement dit un livre complètement désopilant, tour à tour drôle et terrifiant tout autant que triste et loufoque.

http://www.mervynpeake.org/gallery/0500.jpgGormenghast, c'est avant tout un lieu sans pareil : un château labyrinthique aux tours innombrables et vertigineuses, aux couloirs sombres qui desservent des milliers de chambres, aux mystérieuses cours sur des toits qui frôlent les cieux. C'est une citadelle isolée du reste du monde et bordée par les huttes du peuple des sculpteurs dont l'existence est presque aussi fascinante que celle des habitants de Gormenghast. Enraciné dans un paysage tragique, on y trouve autour que le désert, la montagne ou les marais.

A l'abri des murs fortifiés de Gormenghast, on célèbre la naissance de Titus, soixante-dix-septième comte d'Enfer, un évènement qui agite tous les habitants du château jusque dans les moindres recoins de la gigantesque forteresse. L'héritier est né, l'honneur est sauf car les coutumes profondément enracinées dans la mémoire du château pourront perdurer. Au fil des saisons, les cérémonies en l'honneur de Titus se succèdent et ne se ressemblent pas. Comme sur une scène de théâtre, elles sont tour à tour dramatiques ou absurdes, mais toujours fascinantes. Chacun rempli son rôle à la perfection dans un but qui lui échappe mais qu'importe ! on perpétue le rituel même si on en ignore l'origine ! Au premier plan, des personnages farfelus s'agitent continuellement dans une parodie de vie presque aussi drôle qu'effrayante. Ils sont tiraillés entre folie et déraison, soif de pouvoir ou désespoir le plus profond. Les dialogues bourrés d'humour noir succèdent aux scènes improbables.

Il y a de belles choses dans ce récit. Des descriptions enjouées de chambres invraisemblables qui recèlent d'étranges trésors. Des personnages pleins de courage prêts à mourir par amour. de la poésie, des couleurs, du rire.

Gormenghast mountainC'est ça Gormenghast : une histoire onirique et fantasmagorique peuplée de créatures absurdes qui évoluent dans une citadelle délirante aux allures de dédale. On côtoie les effrayantes jumelles Cora et Clarice toujours habillées de pourpre, le docteur Salprune et sa verve atypique, la dangereuse comtesse Gertrude d'Enfer avec ses oiseaux et ses centaines de chats blancs, Fuschia, son grenier et ses rêves de liberté, Lord Tombal et son amour des livres qui le conduiront irrémédiablement à la folie, et n'oublions pas le pire de tous : l'ambitieux Finelame aux motivations obscures et à l'intelligence extraordinaire. L'existence de chacun gravite autour de Titus dont la naissance va marquer un tournant dans la vie du château.

Gormenghast c'est le livre des superlatifs. J'en ai beaucoup usé pour rédiger ce billet, mais vous verrez si vous le lisez à votre tour, il les mérite amplement !

Je ne possède pas encore la suite, mais c'est un achat que je compte faire rapidement. Impossible de ne pas connaître la suite des aventures de Titus !
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