Il s'agenouilla sur le sable mouillé et ouvrit son carnet de croquis. Il devait y faire des traces, des traces colorées, n'importe quelles traces, susceptibles au moins de donner une idée d'un fragment de cette scène : la lumière dévorante, le rythme des rochers.
Mais non. C'était impossible. La lune elle-même le frustrait de son projet. La lune, ce cercle imbécile. Ce visage surestimé qui engendrait la lumière, et qui n'avait même pas de lumière propre.
Tout cela puait le romantisme de pacotille. La pestilence d'un million de cartes postales. Une vraie escroquerie.
S'il est impossible d'échouer le sourire aux lèvres, ce n'est pas la peine d'échouer. Échouer est glorieux, vous comprenez. C'est le succès qui semble avoir perdu son éclat le lendemain matin. L'échec, lui, conserve sa fraîcheur. L'échec mérite d'être recherché. Le succès est limité, mais l'échec est infini. Tout cela est plutôt magnifique, en réalité.
D'un pas décidé, elle pénétra dans la cuisine où Ka-Ka, une très vieille femme, mélangeait les mauvais ingrédients dans le mauvais récipient au mauvais moment. L'idée que se faisait Ka-Ka d'un vol-au-vent lui était tout à fait personnelle. Elle était borgne, complètement sourde, et avait le palais fendu.
Ce qui était fort triste, mais Miss Dredger ne pouvait pas toujours faire preuve de compassion. Quand les choses vont mal, il arrive que le lait de la tendresse humaine aigrisse. Miss Dredger arracha la planche à pâtisserie des mains de la vieille femme et l'horrible masse qui était posée dessus passa par la fenêtre.
Elle avait couché avec tant de visiteurs, de résidents et d'autochtones qu'elle était désormais plus une institution qu'une prostituée ; une institution dont on devait s'enorgueillir, hors d'attente des lois ordinaires. Certaines années, son emploi du temps avait été si rempli que son incapacité à accepter plus qu'une fraction des innombrables invitations qui lui étaient faites au nom du plaisir eut pour conséquence paradoxale de lui créer, auprès de ceux qui venaient de débarquer, une étrange réputation : une sorte de chasteté délirante, une timidité incompréhensible.
De long en large marchait Mr Pye en suivant le quai, avec sur son visage ce sourire bien à lui. Un ou deux des passagers qui attendaient, quand ils croisèrent son regard, dirent : "Bonjouré, mais Mr Pye ne répondait qu'en intensifiant ce sourire. C'était comme s'il disait : "Oui, oui... nous aurons bien le temps pour ça, plus tard ; nous serons amis avant longtemps, sans aucun doute (car le futur est plein de promesses)... mais pour le moment, mes amis, soyez patients - le moment n'est pas encore venu."
Interview, sur UK Entertainment Channel (www.ukentertainmentchannel.com) de Sebastian Peake, fils de Mervyn Peake, à propos de son père.
(en anglais, pour les fans !)