Passionnantes analyses de Péan, à lire en se disant que "même les paranoïaques ont des ennemis"...
Paru en novembre 2010, le nouvel ouvrage de
Pierre Péan poursuit et amplifie le travail effectué (et hautement controversé) dans "Noires fureurs, blancs menteurs" en 2005 à propos du génocide rwandais.
Une partie (relativement brève) est consacrée à se défendre des accusations de "négationnisme" dont
Pierre Péan fait l'objet depuis 2005 : il répète, avec conviction, qu'il n'a bien entendu jamais rien nié, mais que traiter le génocide perpétré par les hutus en 1994 ne doit pas conduire à ignorer les massacres de masse organisés par les tutsis du FPR la même année, puis les nombreux massacres commis par le même FPR au Congo dans les années qui ont suivi...
Le véritable propos de Péan est toutefois de replacer les vingt dernières années de l'Afrique Centrale dans le contexte du réalignement stratégique orchestré par les États-Unis, avec l'aide du Royaume-Uni et d'Israel, autour du tandem Ouganda-Rwanda du FPR, avec l'adjonction par la suite de l'Éthiopie et de l'Érythrée, avec le double objectif de neutraliser le "dangereux" Soudan (en soutenant avec succès les profondes déstabilisations de Sud-Soudan et du Darfour) et de (re)mettre en coupe réglée les richesses minières du Congo dans l'après-Mobutu (en entérinant la conquête du Rwanda et du Kivu par le FPR).
Propos ambitieux, soutenu par de très nombreux documents et entretiens, dont certains sous couvert d'anonymat. Certaines parties sont terriblement convaincantes, d'autres un peu moins...
"D'emblée, mon enquête fut difficile, car, à notre époque - celle qui a débuté après la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989 -, qu'on dit à tort plus "transparente", les faits les plus importants sont escamotés : traduisant des stratégies plus ou moins avouables qu'il importe de cacher, ils relèvent bien souvent du domaine du clandestin, dans la mesure où ils sont l'oeuvre de Forces spéciales, d'agents de services secrets, d'États agissant pour le compte d'autres États, de mercenaires... Ces jeux de l'ombre sont, de surcroît, encore obscurcis par des agences spécialisées, publiques ou privées, qui produisent à jet continu de la désinformation, puisque la guerre est désormais continuée par des batailles de communication. Même quand ils ne sont pas emprisonnés dans un militantisme trop contraignant, les journalistes, coincés par les exigences de productivité et donc par le manque de temps, ont de plus en plus de mal à approcher la vérité."
À lire en essayant de "garder la tête froide", et en se disant que même les paranoïaques ont des ennemis...