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Critique de si-bemol


“La nature humaine, c'est de l'ombre maquillée. A la regarder de près on voit la grimace, le démon sous le brave homme.”

En quelques phrases, une ambiance est créée, en quelques pages le décor est planté, le contexte esquissé : celui de la guerre d'Algérie, de la tension qui monte entre les communautés, d'un racisme exacerbé par les attentats du FNL et qui se transforme en haine. Une haine décomplexée, revendiquée et violente envers ceux qui furent peut-être jusqu'alors des étrangers plus ou moins tolérés mais ne sont désormais plus que des “Arabes”, de potentielles menaces et des cibles à abattre.

C'est dans ce contexte de haine apeurée et réciproque, de provocations mutuelles et de rixes sanglantes où, de part et d'autre, le goût du sang peut servir d'exutoire à la médiocrité intellectuelle, à la petitesse des âmes, aux raccourcis faciles et aux simplifications excessives que se situe le récit, tandis qu'au fil des pages passe et s'installe une ombre furtive et clandestine, presque un fantôme, un homme en fuite, “homme lisière, à l'écart du ciel (à qui il) faut la futaie, l'abri des branchages, le haut couvert des arbres.”

Le rythme soutenu, les chapitres courts, l'écriture rapide, nerveuse, délibérément “prolétaire” mais en réalité extrêmement élaborée, émaillée de petits détails qui ressuscitent avec une crédible authenticité la France populaire et besogneuse des années cinquante, tissent une intrigue faite d'histoires imbriquées que viennent nourrir les lambeaux du passé en un récit plein de suspense, de mystère et de choses tues - car “les mots, il en est qui vous écorchent la bouche, trop grands qu'ils sont. On les ravale.”

L'analyse psychologique, les descriptions et le sens du détail donnent un relief particulièrement convaincant à des personnages aux aspirations ordinaires, aux plaisirs simples, ne demandant a priori rien d'autre que le droit de gagner leur vie difficile et précaire sans faire de tort à quiconque et sans qu'on leur en fasse, des “homme fourbus (qui) savent le petit bonheur d'un café ordinaire, de la chaleur d'une soupe.” Mais dans le monde obscur des hommes, tout est apparence, illusion, “hével”, et les atrocités de la guerre d'Algérie, le bourbier des circonstances et les brumes toxiques du passé arrachent les masques, dénudent la vérité des coeurs et font basculer les destinées.

Une très belle plume, une reconstitution historique minutieuse, un récit complexe, profond et passionnant… Bien au-delà du “simple” roman noir, Patrick Pécherot signe ici, avec "Hével", une belle page de littérature. Et j'ai vraiment beaucoup aimé.

[Challenge Multi-Défis 2020]
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