Parce que sa mère, une nouvelle fois, n'est pas venue la chercher à la sortie, parce qu'elle n'était pas là à “l'heure des mamans”, Eva, dix ans, est partie en courant de l'école, affolée de chagrin, trop inquiète pour prêter attention à quoi que ce soit, et s'est jetée sous les roues de la camionnette du libraire Etienne Vollard. L'accident est inévitable, une sale plaisanterie du destin, une plongée en enfer pour la petite fille comme pour Etienne qui “sent bien que ses muscles et sa viande et ses os et ses nerfs et sa cervelle n'en finiront jamais de percuter ce corps enfantin par une fin de journée neigeuse aussi vaste que le temps qui lui reste à vivre.”
Ce drame provoque la rencontre de trois solitudes : celle d'Eva, l'enfant délaissée, quasiment abandonnée, enfant fantôme pétrie d'angoisse et de chagrin jusqu'à l'accident, mutique depuis ; celle de Thérèse, sa mère, une femme à la dérive, errante, précaire et un peu perchée, qui aspire “à n'être plus personne”, à la “tranquillité des femmes imperceptibles” et élève sa fille seule, sans avoir pleinement conscience d'être mère ; celle d'Etienne, enfin, le libraire, asocial, immense, massif, tout empêtré de lui-même et des drames intimes de son enfance, lecteur compulsif et hypermnésique, un amoureux fou des livres dont la mémoire est imprégnée de milliers de textes, “de milliards de mots avalés, mâchés, remâchés, ruminés en une interminable jouissance”.
Trois vies qui chavirent et basculent à l'occasion d'un drame, trois solitudes qui se percutent, se télescopent, se frottent, hésitent un instant à se rejoindre pour une impossible résilience, trois solitudes trop puissantes et trop désespérées pour qu'un avenir puisse encore se construire, pour accueillir le bonheur et conjurer le destin...
“La petite chartreuse” est un roman à la fois lumineux et sombre, que j'ai quitté le coeur serré, des larmes plein les yeux, et que j'ai vraiment beaucoup aimé. J'en ai aimé l'histoire, sensible et délicate comme un très beau conte ; j'ai aimé le style, rapide et presque fiévreux, de Pierre Péju, sa capacité d'évocation dans une grande économie de mots, son sens de la formule (“Ordinaire et gluant, l'événement s'est plaqué comme un poulpe sur les choses” ; “Debout, dans le bruit des pages tournées, découvrir les quelques mots qui paraissent s'adresser directement à soi. L'inespéré noir sur blanc. Intime universel. Musique silencieuse.”...) ; j'ai adhéré à ses personnages, incarnés, touchants et captés avec beaucoup de finesse dans leurs vérités intimes ; et j'ai adoré, enfin, cette belle célébration de la littérature, cette foi ardente et magnifique dans le pouvoir des livres et des mots… impuissants néanmoins, dans ce récit, à réparer la brisure des âmes.
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Evidemment ce n'est ni joyeux, ni optimiste mais c'est une touchante histoire de solitude, d'exclusion, de mal de vivre si tant est que l'on soit un peu différent... Coup de coeur pour ce drôle de libraire empêtré dans un corps trop grand pour lui, et tellement plongé dans la littérature. Une superbe écriture, que j'aimerais bien reprendre encore...
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Qu'est ce que les livres vous éloignent du monde, tout en y restant bien sûr, tout en ayant des amis mais on se sentira toujours seul...sauf s'il arrive qu'on fasse une rencontre assez particulière...telle celle d'un libraire et d'une fille qu'il heurtera avec sa voiture, malgré la gravité de la situation puisque la fille se retrouve dans le coma, Etienne va trouver là une compagne avec qui parler des livres, il y a de quoi ne plus se sentir seul...
Un livre agréable à lire!
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Un soir de pluie et de neige, Etienne Vollard, libraire, renverse la petite Eva, oubliée par sa maman à la sortie de l'école.
Son sentiment de culpabilité et le choc de l'accident le poussent à prendre des nouvelles de l'enfant dont le pronostic vital est incertain.
Très vite, il doit palier au manque d'attention de la mère , femme-enfant, éternelle fugitive un peu lunatique, encombrée de cette petite fille née par accident.
Vollard, grand bonhomme un peu pataud, est hypermnésique et solitaire.
Son cerveau est rempli par les milliers de phrases qu'il a lues tout au long de sa vie et qui surgissent a tout moment dans son esprit telle une masse rampante qui le dévore.
J'ai eu cette impression étrange qu'il était devenu la proie de sa passion pour les livres et qu'elle avait fini par avoir raison de sa vie même.
Le peu de choses qu'on apprend de son passé nous est bizarrement conté par un copain de classe anonyme dans la deuxième partie du récit...
Entre ces deux êtres un brin fantasques, Eva semble bien dérisoire.
Petit oiseau abîmé par l'accident, condamnée dès sa naissance par le manque d'amour et de présence maternels, qui ne se bat pas, certaine sans doute de n'être pas grand chose.
La plume de Pierre Péju est très jolie et rend la lecture très agréable mais j'ai trouvé l'atmosphère un peu lourde, morose entre ces trois personnages tristes.
Je ne me suis pas attachée à eux parcequ'ils ne sont pas attachés l'un à l'autre non plus.
Ils m'ont semblé vides d'émotion..
C'est peut-être un choix de l'auteur mais je sortais d'une lecture tellement intense que celle-ci n'a fait que me plaire, sans plus.
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D'une écriture toute en finesse et en émotions, l'histoire débute sur Eva, petite fille qui au sortir de l'école attend sa mère. Sa mère-enfant, sa mère spectrale.
Prise d'une terreur abandonnique - car sa mère laisse toujours l'attente s'égrainer avec angoisse, elle qui toujours est en retard, elle qui toujours doit se rappeler qu'elle est une mère - Eva court, traverse, percute le pare-brise d'Etienne Vollard. le choc est violent, de part et d'autre. Deux vies qui partent en éclat, chacune à sa façon. Puis l'ambulance. Puis le chaos.
Une mère qui se sauve, d'elle-même, qui se fuit, qui cherche et qui ne trouve pas. Qui sait juste qu'elle serait mieux ailleurs...
Malgré des moments de grâce, surtout au début du livre, puis plus épars, l'histoire n'est pas aussi belle qu'elle aurait pu l'être. Elle reste néanmoins d' une tristesse poétique qui nous parle non seulement de ce que la vie peut en un instant nous surprendre par sa cruauté, mais aussi de la solitude des êtres qui ne savent pas comment vivre.
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Une mère qui ne parvient pas à l'être, un libraire hypermnésique, une petite fille qui court à perdre haleine dans les rues d'une ville sous la pluie… voici les trois protagonistes d'une histoire dont la tristesse est infinie.
On est forcément touché par l'intense solitude qui se dégage d'Etienne Vollard , encombré par un corps imposant qu'il n'arrive pas à assumer, qui a réussi à aménager un quotidien acceptable dans lequel les livres occupent une place centrale jusqu'à ce que sa route croise brutalement la petite Eva.
Le style de l'auteur magnifie l'humanité des personnages, une réelle poésie se dégage de pages dans lesquelles la montagne et la nature représentent un refuge, un espace de sérénité où il est possible de retrouver de fugaces sensations de l'enfance.
Mais quel désespoir, quelle détresse, quelle souffrance. Un court récit à ne lire que si la dépression n'est pas chevillée au corps car on émerge le gris au coeur de cette poignante histoire.
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