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Critique de horline


Le rire de l'ogre est assurément un roman où rien n'est simple et lumineux ; tout est inquiétant, sombre, voire terrifiant à l'image de cet ogre pas encore affamé qui surprend deux jeunes enfants égarés s'aventurant dans la forêt, et qui fait résonner son rire plein de cruauté tout au long de ce roman …oui, c'est un conte fantastique qui sert de bobine de fil qu'il faut tirer pour dérouler un récit énigmatique.

Au début des années soixante, Paul Marleau, jeune garçon timide et introverti, passe l'été dans un village allemand qui garde enfoui dans sa mémoire un drame terrible lequel va hanter durablement et implicitement la conscience du garçon et de Clara, rencontrée dans ce village bavarois. Ce drame évoque la résurgence des horreurs de la guerre ou comment le massacre d'enfants juifs commis par la Wechrmacht va pénétrer l'esprit et la chair d'un de ses officiers revenu à la vie normale mais qui ne connaîtra pourtant la paix qu'en égorgeant ses propres enfants dans la forêt noire surplombant la vallée de Kehlstein, à la manière d'un ogre affamé.
Bien qu'épargnés par la guerre, Paul et Clara se découvrent inaptes au bonheur une fois adultes, comme si leur âme était imprégnée des mêmes blessures secrètes provoquées par cette guerre qu'ils n'ont connue, comme s'ils étaient eux-mêmes broyés par une guerre invisible.
Unis par un lien puissant et énigmatique, ils vont chacun de leur côté tenter de comprendre tout au long de leur vie ce mystère de l'horreur humaine. Devenus sculpteur et photographe de guerre, ils n'auront d'autres outils que la gradine et l'appareil photo pour exprimer leur vision de la monstruosité dont est capable l'homme.

Avec ce roman, Pierre Péju explore les effets du passé, ces traumatismes qui peuvent se cristalliser même sur ceux qui sont étrangers aux tourments du chaos. La mémoire se révèle alors vivace tellement elle est étouffante, violente tellement elle est sombre, et ce d'autant plus qu'elle affecte des adolescents. A l'âge où le cerveau est perméable à tout ce qui l'entoure, les fantômes du passé ne pouvaient que s'accaparer ces esprits fragiles.
Indubitablement, c'est un passé chevillé au corps qui ne laisse pas indemne ses héros que nous raconte l'auteur.
Toutefois, dans cette ambiance obscure l'écriture de P. Péju apparaît paradoxalement lumineuse et même romantique tant il maîtrise la description des ressorts psychologiques de ses personnages. Il pose un regard clairvoyant, pénétrant sur les évènements et les émotions qui agitent Paul, avec une finesse d'esprit qui sied à un philosophe. Jamais d'excès de sensibilité, mais une écriture raffinée qui parvient à rendre visible ce qui relève de l'imperceptible…une prose qui éclaire une trame constellée d'énigmes et de mystères qui ne font qu'intensifier l'atmosphère inquiétante.

Cependant, la césure du roman entre l'adolescence et l'âge adulte de Paul m'a laissée perplexe. Cette césure révèle deux univers différents qui m'ont laissé suggérer qu'il y avait peut être deux romans tant la tonalité est dissemblable. La première partie déborde de tristesse, de brume et même de malaise.... avec un index particulièrement appuyé sur une inquiétude trop mystérieuse, l'atmosphère est parfois pesante. La narration s'en trouve affectée. le désespoir apparaît démesuré et les coeurs en ruine tant l'auteur s'attache à marquer le drame au burin…Heureusement la seconde partie n'obéit pas aux mêmes codes. Peut être parce qu'avec le temps, Paul a pu accéder à une certaine sérénité et qu'il n'est plus l'adolescent ombrageux au regard grave et intransigeant.
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