Le titre du dernier roman de
Pierre Péju est magnifique et le sujet était bien de nature à me captiver puisque l'auteur y narre la vie d'un psychanalyste américain, Horace Frink, qui fut un des pionniers de cette "dangereuse méthode" sur le nouveau continent. Cet homme fut même un temps le représentant officiel de
Freud aux Etats-Unis avant de devoir céder sa place pour cause de ... dépression. La vie de ce Dr. Frink est plutôt romanesque : abandonné très jeune par ses parents aux bons soins de son grand-père médecin, il devient à son tour médecin, spécialité psychiatrie. Il épouse son amie d'enfance, Doris, et découvre la
psychanalyse avec un collègue, Abraham Brill, qui fut lui-même initié à cette méthode à Zurich par Bleuler et Jung. C'est ainsi que Brill et Frink se retrouvèrent tous les deux là, sur le quai, lorsque
Freud, en compagnie de Jung et Ferenczi, débarqua à New-York en 1909, pour y donner une série de conférences qui furent publiées plus tard sous le titre "
Cinq leçons sur la psychanalyse". On nous a souvent narré l'histoire (contestée) de
Freud disant à Jung alors qu'accoudés au bastingage, ils regardaient s'approcher la statue de la Liberté : "ils ne savent pas encore que nous leur apportons la peste !". C'était une belle idée "de cinéma" que de prendre le plan opposé et de montrer deux jeunes et ambitieux psychanalystes américains, regarder s'approcher le bateau où se trouvait le père de la
psychanalyse dont la renommée en Amérique allait connaître l'ampleur que l'on sait.
La vie de Frink prendra, elle, un tour tragique quand Brill lui adressera une patiente, Angelica Bijur, extrêmement belle et extrêmement riche. Et bien-sûr névrosée. Frink, malgré ses efforts désespérés, finira par succomber à ses avances et ce sera pour lui le début de gros ennuis, qui l'amèneront quelques années plus tard sur le divan de
Freud au 19 Berggasse à Vienne. Mais apparemment, ni Brill (qui fut son premier analyste), ni
Freud ne parvinrent à le délivrer de ses angoisses, de cet "oeil de la nuit" qui ne laissera jamais aucun repos jusqu'à sa fin tragique et, elle aussi, très cinématographique.
La vie de Frink valait bien un roman et c'est tout à l'honneur de
Pierre Péju de s'être emparé de cette histoire rocambolesque. Je suis certain que son adaptation au cinéma serait aussi captivante que fut le film de
David Cronenberg "A dangerous method" sur le triangle sulfureux
Freud/Jung/
Sabina Spielrein. Pourtant je reste un peu sur ma faim à la fois pour des questions de fond et de forme. Sur le fond, je suis un peu gêné par le tableau qu'il fait de la
psychanalyse. Qu'il brocarde les attitudes insincères des psychanalystes américains est une chose dont je ne saurais m'offusquer. En revanche, l'image qu'il trace d'un
Freud désinvolte donneur de conseils matrimoniaux et peu enclin à comprendre véritablement ce dont souffre son patient me semble vraiment caricaturale et détestable. Un
Michel Onfray en ferait ses choux gras. Par ailleurs j'ai trouvé que l'auteur lui-même ne s'intéressait pas assez à son personnage : si les épisodes de sa vie sociale sont largement étalés, sa vie intérieure est, elle, trop escamotée à mon goût. La raison à tout cela est peut-être que
l'inconscient n'intéresse pas vraiment
Pierre Péju en dépit du titre qui en est pourtant une belle métaphore. Sans cette dimension intérieure, le roman m'a paru plutôt froid et désincarné.