Citations sur Naissances (34)
« Fidèlement, timidement ou crânement, le père ne peut que se tenir sur le rivage de toute maternité, bras ballants, un peu maladroit. Patient et impatient. Inquiet et rassurant. Jusqu’au bout. » (Pierre Péju)
S'il y a bien dans l'écriture un désir de dire la "vie courante", une envie d'accompagner le fleuve temps, d'élargir les instants et leur banalité trompeuse, écrire, c'est aussi l'intention obscure de harponner ce qui survient, de harponner ce qui surgit brutalement, vision terrible se dérobant au regard.
Ecrire, c'est vouloir distinguer à travers des mots ce qu'en réalité on ne peut voir: naissance et mort, apparition et disparition fulgurantes des êtres. (p.11-12)
Immense, immense précarité de la paternité qui n'est jamais donnée, comme la maternité, mais conquise, réellement conquise, de jour en jour, d'instants partagés en instants partagés, de mains doucement serrées en jeux turbulents, de questions déroutantes en réponses appliquées, de paroles en silences, d'émotions en habitudes, de confiance en énigmes.
Si le père n'est pas loin, il se tient malgré tout dans un retrait inévitable. Père toujours périphérique. Homme qu'un plaisir fugace a fait père de très loin et très vite, il y a déjà si longtemps. Alors pour être à la hauteur, il décrit du mieux qu'il peut ses cercles d'escorteur. Il protège ou s'attendrit, mais il sait confusément qu'il n'a pas accès au Grand Œuvre.(p.43)
Où sont cachés les stigmates du pire quand la vie courante nous contraint chaque jour à renaître à la banalité écoeurante et splendide ?
Dans son éblouissement d'aveugle, chaque père n'a pu voir que de loin et fort mal la venue au monde des enfants. Mais le père, ce manqueur de mots, cet absent, peut malgré tout assister aux naissances multiples qui perdurent dans l'enfance. L'écriture ne consiste qu'à révéler de tels surgissements modestes, qu'à assister, vaille que vaille, au commencement perpétuel.
On se dit qu'un jour, un texte naîtra peut-être, uniquement parce qu'il aura eu telle nuit de la douleur d'écrire, de la douleur immédiatement réversible en plaisir, telle nuit d'agitation dans l'impossible des mots où l'on se sentait puissant d'une bonne dose d'encre noire dans le corps du stylo, puissant de la pointe d'or du stylet caressant puis griffant et gravant la blanche étendue
Très vaguement, la jeune femme sentit qu'un bras entourait ses épaules, qu'une main secourable et fraîche épousait son front. Derrière la brume, elle entendit une prisonnière qui frappait du poing contre la porte verrouillée et gueulait plus qu'elle n'appelait: " Il y en a une qui accouche !" La voix aiguë, s'égosillant toujours, jurait, tambourinait, puis il y eu des claquements, des grincements, le bruit de talons ferrés qui se rapprochaient.
Voilà, j'écris l'histoire de cette femme d'une vingtaine d'années, arrêtée alors qu'elle est enceinte pour la première fois, et qui s'apprête à accoucher, avant la déportation, dans un camp d'internement français.
"Mais la naissance ne s'écrit pas davantage que l'écriture n'a de naissance". P123
Trois chapitres, trois naissances, la dernière parle d’écriture...
Les deux premières sont d’une sensibilité très forte, certains mots sont douloureux...
Pierre Péju observe, scrute, détaille, attriste...