Là-bas, août est un mois d'automne…Là-bas, en Suisse où en août déjà les matins sont frais et où les soirées à l'extérieur ne se déroulent pas sans châle ou couverture, où au verger certains arbres tirent déjà sur le jaune.
J'ai découvert ce petit livre, édité aux belles éditions ZOE Poche qui publient des auteurs suisses comme
Gustave Roud ou Ramuz, grâce à la somptueuse critique de @mesrives, une critique mettant en valeur un livre tout en délicatesse et poésie s'inspirant librement de la vie de
Gustave Roud, poète dont j'avais juste entendu parler. Cela m'a donné envie de découvrir l'oeuvre de ce poète de la ruralité avant de lire le récit de
Bruno Pellegrino. J'ai jeté mon dévolu sur «
Air de la solitude » le mois dernier, magnifique recueil qui est à présent un de mes livres de chevet. Quelle joie de ce fait de venir à ce livre avec les textes et les photos de
Gustave Roud en tête !
C'est en effet à partir du poète
Gustave Roux que
Bruno Pellegrino, dans ce premier roman, invente le personnage de Gustave. Pas vraiment un roman biographique, un véritable roman juste inspiré par le poète, d'où des libertés, et parfois quelques petits mots de l'auteur pour nous le rappeler non, sans une pointe d'humour, comme ce post-it utilisé par Gustave, chose impossible, totalement anachronique dans les années 60, et cette phrase de l'auteur nous interpellant « et pourquoi pas ? Il a bien le droit, pour une fois, d'être un peu en avance sur son temps ».
Deux protagonistes, un homme et une femme. Non pas ce que vous croyez. Cela n'a rien à voir. « Ce qui les lie est d'un autre ordre, d'une tout autre puissance. Leur tâche, pour les années à venir, est de perpétuer ce qui peut l'être – très peu de choses – et d'accompagner le reste à son terme. Ce qu'elle et lui sont l'un pour l'autre est encore plus simple : le dernier vivant, la dernière vivante. A croire que ces deux-là n'existent qu'à seule fin de prendre congé ».
Un frère et une soeur. Gustave et Madeleine. Tous deux célibataires et sans enfant, à l'automne de leur vie, vivant ensemble et entretenant la maison familiale comme les derniers vestiges d'une longue descendance. Elle a en charge les soins et l'attention, lui aide sa soeur et surtout crée avec sa plume et son appareil photo.
Nous les voyons vivre, au gré des saisons, au gré des multiples tâches à mener dans la maison, dans le jardin, au gré des moissons. Il y a comme un balancier dans ce livre, un tic-tac incessant et rassurant, balancement entre le frère puis la soeur, entre souvenirs d'enfance et moments présents, entre travaux domestiques et créations artistiques. L'auteur s'en tient aux saisons, aux lumières, aux faits et gestes comme les photos de
Gustave Roud qui ne cesse, après de longues pérégrinations dans la campagne suisse, de photographier des paysans en plein travail, des hommes aux torses nus surtout , « les pieds qui s'enfoncent dans la boue de mars, les bras qui soulèvent des gerbes de foin ou qui retiennent la bride d'une jument fourbue, les lèvres, le matin, contre l'aluminium brûlant d'une tasse de café bue sous un arbre, des gestes qui font des vies ».
Oui, des gestes qui font des vies, des gestes simples et immuables, pérennes, voilà ce que capte également
Bruno Pellegrino en imaginant ce frère et cette soeur dans leur maison, en un récit éminemment sensoriel. Des odeurs, des couleurs, des bruits, des lumières sont décrits avec une telle délicatesse que nous les sentons, les voyons, les entendons, en sommes nous-même éblouis.
« Par les interstices de la paroi à claire-voie filtre une lumière choisie qui habille le vaste espace, vide depuis trente ans et des poussières. le vide a l'odeur des récoltes vieilles d'un siècle. Ça sent les fantômes de foin, les crottes de fouine desséchées, les débris de rongeurs décortiqués par les chouettes. le bois de la charpente pèle, jamais poncé jamais verni, soumis aux changements de températures radicaux de cette contrée sauvage, de ce pays de loups, on l'a toujours dit. Accrochées tête en bas aux chevrons, les chauves-souris dorment nerveusement ».
Éloge de la lenteur, d'un rapport au temps autre et d'un lien avec la nature oublié, ce livre distille une mélancolie pour la campagne qui m'a enveloppée de son aura vert-de-gris, suranné, telles des réminiscences d'une simplicité perdue à jamais mais tellement désirée…
« Quand je lève les yeux, je vois simplement des arbres là où Gustave et Madeleine voyaient des tilleuls, des aulnes, des acacias, des érables. J'écris sur des gens qui étaient capables de nommer les choses, les fleurs et les bêtes alors que j'ai besoin d'une application sur mon téléphone qui identifie les oiseaux par leur chant, les plantes par la forme de leurs feuilles, et je dois vérifier sur des sites de jardinage la période de semaison du blé et de floraison des cyclamens. C'est peut-être ce qui me fascine, chez ces deux-là, leur manière lente et savante d'éprouver l'épaisseur des jours. Et puis les doutes qui subsisteront toujours : je n'ai aucun moyen d'établir avec certitude si le corridor, à leur retour ce soir-là, sentait le clou de girofle, l'humidité ou la cire d'abeille, le feu, la viande ou la naphtaline ».
Un récit d'une grande sensibilité dont je suis sortie apaisée. Un livre simplement beau qui offre une petite parenthèse hors du temps dans laquelle nous retrouvons le rythme et les beautés de la nature. Sans oublier, un roman qui permet de faire connaissance de manière délicate et pudique avec le poète
Gustave Roud.