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Critique de Mevlan


Corine Pelluchon a consacré sa carrière de philosophe aux problèmes d'éthiques. Elle est particulièrement engagée sur la cause animale. En 2016, elle livre un petit Manifeste Animaliste qui, sans être véritablement convainquant, livre quelques propositions concrètes et intéressantes.

L'essai débute plutôt mal en fondant son discours d'une manière plutôt précaire sur la notion de pitié. On craint donc un discours qui cherche la commisération, plutôt qu'un discours argumenté. le laïus du livre sera de dire que notre rapport violent aux animaux n'est que le reflet de notre humanité en souffrance, de notre déshumanisation : « Nous nous amputons ainsi d'une part de nous-mêmes en étouffant la voix de la pitié ».

Pour autant, si on comprend avec l'auteure qu'en étant indifférent au sort des animaux nous nous déshumanisons, celle-ci semble feindre en permanence de ne pas voir que tous ses propos pourraient tout aussi bien s'appliquer aux relations entre les humains. En effet, est-ce que nos 'sociétés modernes' ne nous déshumanisent pas tout autant, sinon plus, en nous rendant parfaitement insensible aux milliers de migrants se noyant dans la Méditerranée, aux 821 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde, etc. ?
Si, paradoxalement, elle est bien forcée de reconnaître du bout des lèvres « la souveraineté du profit » comme facteur principal dans le problème de la souffrance animale, on devine que la question sociale sera jusqu'à la fin un angle mort de sa réflexion.
Il est pourtant regrettable qu'elle ne songe pas à nous expliquer, comme le fait Jean-Marc Gancille dans Carnage par exemple, en quoi la cause animale pourrait être une chance pour l'humanité, en quoi il est urgent de changer notre paradigme anthropocentré. le fait de dire que notre rapport aux animaux reflète les rapports humains ne suffit peut-être pas. Il manque quelque chose pour que l'on prenne conscience de la gravité de la situation.

L'auteure résume à grands traits les étapes de la pensée animaliste depuis les années 70 avec Peter Singer jusqu'à nos jours en passant par Derrida et Elisabeth de Fontenay dans les années 90. le tout pour conclure, comme Peter Singer déjà, qu'il faut politiser la question animale.
Mais, selon la philosophe, l'avenir n'est peut-être pas si terne, car nous serions à la lisière d'un nouvel âge, qu'elle appelle « l'âge du vivant ». Au nihilisme contemporain, résultant à la fois de l'effondrement de l'idéal communiste et de l'exacerbation de l'individualisme consumériste, s'oppose la philosophie animaliste. La cause animale doit faire l'objet d'un réel projet politique.
Il y a une intéressante réflexion de Corine Pelluchon sur la solution souvent envisagée de « donner des droits aux animaux ». Les animaux ne peuvent évidemment pas être des citoyens à part entière puisqu'ils n'ont pas conscience d'appartenir à une communauté. Il leur faudrait des droits spécifiques.
Or, cela semble contredire le principe selon lequel, dans une communauté politique, la Loi doit s'appliquer à tous de la même manière. Reprenant le concept d'agentivité d'Amartya Sen pour l'appliquer aux animaux, Corine Pelluchon imagine le principe de droits universels de base et de droits différenciés. Ainsi, dans Zoopolis (2011), Donaldson et Kymlicka distinguent trois catégories d'animaux : les animaux sauvages, les animaux domestiques, et les animaux liminaires qui vivent à proximité des lieux d'habitations humaines pour y trouver de la nourriture. Les animaux ne seraient ainsi pas des citoyens mais des sujets politiques qui auraient des droits en fonction de leur répartition.


Le dernier chapitre, intitulé « les revendications pour en faire l'objet d'un large consensus » est sans nul doute le chapitre clé de ce manifeste puisqu'on y trouve les propositions concrètes et rapidement applicables pour faire avancer la cause animale.

Corine Pelluchon part du constat que ce sont les personnes travaillant dans ce secteur (les acteurs du Carnage dira Gancille) qui opposeront le plus de résistance. Mais, puisque la question sociale est occultée, la philosophe va chercher à ménager la chèvre et le chou :« évitons de nous tromper d'ennemis en les désignant comme les bourreaux des animaux […] Il faut d'abord voir que leur résistance est presque normale ». Si l'on envisage le capitalisme comme l'horizon indépassable de notre société, il est effectivement possible de penser cela comme 'normal'. Business as usual. Rien de plus.

En conséquence, Corine Pelluchon fera tout un laïus sur la reconversion et le volontarisme. Elle propose par exemple dans un premier temps d'encourager, à coup de subventions, l'élevage en plein air contre l'élevage intensif. Aucun mot sur le problème de l'impact des pâturages ainsi démultipliés et de la déforestation qui s'ensuivrait.
Évidemment, certains éleveurs devront se reconvertir intégralement. On est un peu perplexe en lisant que l'on pourrait « revaloriser » les savoirs-faire de ces entrepreneurs qui « englobe l'entretien des paysages et le développement de campagne ». Ou bien elle parle des grandes firmes agro-alimentaires et là ce serait juste de la folie de leur confier cela, ou bien il s'agit des petits éleveurs traditionnels, mais là l'impact est bien moindre puisque, selon les chiffres que donne Gancille (ce dont se garde bien Corine Pelluchon) 80% des animaux d'élevages ne voient jamais le jour.
Qu'à cela ne tienne, dans une veine toujours productiviste, la philosophe veut voir le salut dans l'innovation. Un pays qui encouragerait, toujours à coups de subventions, ce genre de reconversions devrait y gagner sur le plan social et économique : « Car le nombre de personnes soucieuses du sort des animaux et désireuses de réduire leur consommation de produits animaliers augmente [...] Il y aura des débouchés considérables pour les industries et les entreprises qui auront su innover ».
On peut difficilement s'attendre à voir la face du monde changer en se basant toujours sur le profit ou « l'innovation », autre nom de la concurrence capitaliste.

En dehors de cette histoire de reconversion, il faut tout de même signaler ces quelques propositions qui pourraient faire consensus.
La philosophe envisage ainsi la fin de la captivité (dans les zoos et les delphinarium), l'interdiction de la corrida, la suppression de la chasse à courre et l'interdiction de la fourrure et du foie gras.
Des mesures phares qui permettraient de lutter contre cette propension humaine à la violence contre les animaux, contre plus faible que soi. Corine Pelluchon explique très bien que la mission de 'sensibilisation' des zoos n'est qu'une sombre hypocrisie. « Le zoo manifeste et renforce le sentiment de supériorité que les humains ont sur les animaux […] Prétendre que les zoos ont une fonction éducative est un mensonge, car cela revient à affirmer qu'il est légitime de placer un animal en captivité pour satisfaire la curiosité de spectateurs ». de même dans les delphinarium, comment croire qu'un cétacé capable de parcourir quotidiennement 100 à 150 km soit au mieux dans une piscine chlorée de quelques dizaines de mètres carrés ? le cirque animalier n'est qu'un spectacle dégradant où l'on va « admirer la beauté prise au piège, la force domptée, l'animal vaincu par l'humain ». C'est toujours consacrer la domination. La chasse à courre est une relique de temps révolus déjà interdite dans nombre de pays. Enfin, fourrure et foie gras sont des produits de l'industrie du luxe dont on peut facilement se passer. Ce qui soulagerait de nombreuses souffrances animales. le récent massacre envisagé au Danemark de 17 millions de visons exploités pour leur fourrure ne fait que confirmer l'urgence à légiférer là-dessus.
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