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Critique de fuji


Le bonheur de retrouver l'écriture, flamboyante comme un coucher de soleil, de Pierre Pelot ne se boude pas. le lecteur se délecte d'un vocabulaire riche, de phrases longues mais nécessaires, car ce diable d'homme sait où il veut nous emmener.
L'intrigue de ce roman noir est touffue mais jamais confuse.
Nous prenons connaissance d'un drame la mort d'un couple Maxime Dansher et sa compagne Anne-Lisa. A priori Maxime aurait tué Anne-Lisa et se serait pendu. L'enquête est close et le curé interdit les obsèques religieuses.
Lorena, petite-fille de Maxime, ne croit en rien à cette thèse. Pour cela elle interroge celui qui… Simon Clavin, ami du défunt, vivant lui aussi à part, car il suit son bonhomme de chemin.
Le chapitre 3 est juste, à mon avis le modèle absolu, de ce qu'il faudrait faire pour installer une atmosphère et renforcer l'impression de mystère.
Par l'attitude de chacun, d'un côté la famille Dansher, de l'autre le clan Derandier, le lecteur sent immédiatement les non-dits, les secrets, qu'il peut y avoir. C'est d'un réalisme, que seul un oeil avisé peut livrer, pour montrer à la fois ce que chacun peut avoir à cacher, ce que sont les diktats sociétaux et comment chacun va se dépatouiller de tout cela.
Lorena décrit sa famille ainsi : « Ça se réduit à ça, en fait, la famille Bansher, le tronc et les branches. Un gros tas de cousins-cousines. Même si c'est pas toujours l'appellation, à la lecture des fiches d'état civil, ou sur les réseaux sanguins… je sais pas. On arrange, c'est la manière, et c'est comme ça que ça marche. Tout ce qui descend des deux Américains : des cousins… La tribu. Des fois, on se dit qu'il n'y a que cette engeance, dans Purgatoire… dans Purgatoire, et même que ça en déborde… »
Peu à peu on découvre la vie et ses habitants. Les moeurs du coin, les vérités et les « on dit ». Lorena arrivera-t-elle a percé le secret et à faire éclater la vérité.
« Quelques personnes descendaient la rue à pied, des habitants de Purgatoire étrangers à l'enterrement de l'Homme des loups, qui ne faisaient qu'aller à leurs propres occupations. Une grosse dame à vélo, un cabas de paille tressé arrimé sur son porte-bagages, pédalant comme une forcenée dans la montée de la route et qui devait avancer deux fois moins vite en zigzaguant un peu que si elle s'était contentée de marcher. »
La lectrice que je suis aime les beaux textes, ceux qui sont ciselés par l'auteur qui pense que le lecteur est un être intelligent et qu'il sait lire.
J'aime lorsque chaque phrase me fait sentir que je vis, le temps de l'histoire, à Purgatoire ce village des Vosges, et que je vais découvrir l'histoire de cette famille. Car Lorena ne lâchera rien, elle sera l'ongle qui gratte la peau écorchée. Pour cela elle n'aura de cesse que de mettre à contribution Simon Clavin, écrivain, misanthrope, peu loquace mais qui sait beaucoup.
L'histoire est si finement construite que j'ai l'impression d'ouvrir un vieux meuble remisé dans un grenier, d'ouvrir ses multiples tiroirs et de sentir que je vais découvrir des fonds secrets.
Un peu de cocasserie ne nuit pas dans le noir, et le personnage de Henri Rouy alias Zébulon est inénarrable sur son vélo, criant à se faire péter les cordes vocales.
« — Il m'a dit, et c'est pour ça qu'il est venu, il m'a dit avoir vu des gars rôder dans la forêt. Des gens armés. C'est de ça qu'il est allé avertir ton père, je pense.
— C'est Zébulon, dit Lorena.
— C'est Zébulon mais c'est Henri Rouy, aussi. D'abord. »
L'art subtile de créer un tableau de la ruralité, d'une justesse incontestable, tant dans la gestuelle que dans les dialogues. Des dialogues tellement vrais, qui sous une simplicité apparente implique mille choses. Alors non, il n'y a pas de longueurs ni d'égarements au fil des pages. Chaque mot donne à voir, à penser, induit des situations, des morceaux de voile qui se déchire sur le mystère.
Très savoureuse la façon dont Simon joue au chat et à la souris avec Lorena. Chaque face à face déroule l'histoire sur un credo :
« —C'est sûr qu'il y a beaucoup à savoir, que tu ne sais pas, mais la plupart ne savent pas non plus. Ou ne veulent plus savoir. Sauf certains. »
Et soudain, comme un orage qui tonne dans un ciel noir, le lecteur perçoit que Simon est le double de l'auteur, un portrait du duo père-fils. La véracité même transposée saute au coeur. Des images emplies de tendresse, d'amour désespéré voilées de pudeur. L'amour filiale éclate comme un produit révélateur met au jour un négatif argentique.
Absolue subtilité est de savoir que Simon a écrit un livre qui lui a valu une notoriété et que son titre est Braves gens du Purgatoire.
Cette mise en abyme du livre qui est entre les mains du lecteur est juste géniale.
Pierre Pelot joue avec nos nerfs, mais pas seulement, c'est comme s'il voulait à travers le mystère de ce meurtre nous faire vivre dans ses Vosges, terre dure où le paysage n'est pas seul à pouvoir inquiéter.
C'est dense comme une forêt peut l'être, le vocabulaire est d'une richesse à servir d'exemple, la construction si subtile que le lecteur ralentit sa lecture pour mieux savourer ce bel ouvrage. Pas de précipitation il faut savourer la beauté de l'écriture, la majesté des métaphores, cette poésie et l'humanité qui se dégage du tout.
Il est si rare l'écrivain, celui qui sait raconter une histoire qui a du fond et de la forme, en plus de cinq cents pages sans redondances, sans surenchères. de beaux portraits particulièrement ceux des femmes.
Au mitan du livre se trouve un passage sur le travail de l'écrivain qui est aussi savoureux que désespérant, car d'une justesse qui broie le coeur du lecteur, celui que les mots attirent comme le miel pour les abeilles.
L'ensemble est d'une densité éblouissante.
Un livre rare qui m'a donné envie de relire C'est ainsi que les hommes vivent, lu en 2003 à sa sortie.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 25 avril 2020.
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