Suivait une note sur la traduction la plus adéquate de l'expression utilisée par Bartleby : I would prefer not to. Fallait-il écrire, comme la traductrice l'avait fait dans une précédente édition : Je préférerais n'en rien faire, ou moderniser l'expression en optant pour ce : J'aimerais mieux pas, moins poli mais plus ferme ? La difficulté résidait dans ce not to final, particularité anglaise intraduisible chez nous. Or, toute la détermination de Bartleby vient de cette opposition entre l'apparente politesse du conditionnel I would prefer et le tranchant de ce not to.
Là, j'ai perdu patience.
-Arrête de me faire chier avec tes mots en italique et tes précautions à l'anglaise, Loussa! "je crains que...", "tu veux dire...", "je suppose...", "en quelque sorte...", nous ne sommes pas deux anciens de Cambridge occupés à parler cul en ménageant les formes, putain de merde!
Bon Dieu, cette réponse... l'éternelle et même réponse de tous les salauds du monde, avec ou sans uniforme:
- J'obéissais aux ordres.
Arrête de me faire chier avec tes mots en italique
p.41 :
"Thérèse et Jérémy cultivent depuis toujours cet art du quiproquo qui fait le sel de leurs relations. D'accord sur tout, ils ne s'entendent sur rien. Leur façon de supporter le bail perpétuel de la fraternité."
Maman souffrait de n'être pas deux.
... j'ai entendu la réponse de Planche à Voile avec un dégoût familier. Bon Dieu, cette réponse...L'éternelle et même réponse de tous les salauds du monde, avec ou sans uniforme :
- J'obéissais aux ordres.
- Je préférerais mon papa, répondit le Petit sans toucher à son potage.
Ce conditionnel présent hanta ma nuit.
Je préférerais.
Le Petit avait bien dit : Je préférerais mon papa.
J'ignorais que le mode d'un verbe pût vous glacer le sang. Ce fût bel et bien le cas.
Malraux avait raison : le vingt et unième siècle sera spirituel; le chômage s'y emploie.
[Ben est en train de relire "Bartleby", de Herman Melville]
Tout en lisant, je me surpris à traduire en anglais la revendication du Petit. Tant qu'il était resté sur la terre ferme du mode indicatif : « Je veux mon papa... I want my daddy », je ne m'étais pas inquiété, j'y avais même vu une invite à l'aimable rigolade. Les choses s'étaient gâtées quand le Petit avait troqué le verbe vouloir contre le verbe préférer et cet indicatif de bon aloi contre ce conditionnel retors, « je préférerais mon papa ». « I would prefer my daddy. » (…)
Le fait est que depuis ce maudit conditionnel le visage du Petit avait perdu toute expression. Seules ses lunettes roses paraissaient encore vivantes. Ni chagrin, ni envie, ni colère... Pas même de la détermination ! Un visage désert. « Je préférerais mon papa. » « I would prefer my daddy... » Une préférence qui se suffisait à elle-même. Aucun doute, le Petit était atteint de bartlebisme. Et les lecteurs de Bartleby savent à quelle extrémité peut conduire cette affection !