une lecture pour enfants qui ne les prend pas pour des demeurés. même si pour un adulte il n'y a pas vraiment de suspens, le plaisir est là, au passage on peut apprendre quelques mots de russe. :)
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…nous ne nous retrouvions vraiment, Kamo et moi, qu’une fois la maison devenue silencieuse, nuit bien tombée, dans notre chambre. Les polochons s’envolaient aussitôt. Kamo avait le muscle pour lui, mais j’étais plus rapide. L’essentiel, dans la bataille de polochons, c’est l’esquive : attirer l’autre comme si on était une proie facile, esquiver, et frapper en contre. La tête de Kamo résonnait comme un tambour et vibrait comme un sac de punching-ball. Il titubait sur des genoux devenus liquides mais, au moment où, polochon brandi, je m’apprêtais à l’achever, il se détendait comme un ressort, son arme de plumes me cueillait au menton et m’envoyait valdinguer à l’autre bout de la chambre. Nous assommer mutuellement, c’était notre façon de nous endormir.
Le plus étrange, quand j'y repense aujourd'hui, c'est que le premier souvenir qui m'en reste est celui d'un immense éclat de rire. Mon rire à moi, résonnant dans les rues de Paris. J'avais renoncé à rattraper Kamo. Victorieux, il s'était dressé, debout sur le cadre de la bicyclette tchécoslovaque, il avait ouvert les bras et criait à tue-tête:
- J'arrive, Cathy! Attends-moi, ne meurs pas, c'est moi, Kamo, j'arrive!
- Je vais pénétrer ans l'écran, criait Kamo, je vais t'arracher à la pellicule, Cathy, tu ne seras plus jamais obligée de tourner dans ces navets!
La rue descendait à pic. Debout sur sa bicyclette, un pied sur la selle, l'autre sur le guidon, Kamo fonçait dans la nuit rousse de la ville aussi sûrement qu'un champion de surf sur les rouleaux du Pacifique.
- Je connais une île, dans les Caraibes, je t'y emmène Cathy! Fini le cinoche! Finies les brumes de l'Ecosse!
Et si je devais désigner un responsable, je dirais que c'est l'Histoire. Oui, l'Histoire avec un grand H, celle que nous enseignent les profs, celle qu'on trouve dans les livres, celle qui se dépose goutte à goutte et nous fait une mémoire beaucoup plus vieille que nous, l'Histoire que nous bâtissons, aussi, nous autres, tous les jours, sans en avoir l'air, et qui s'appelle « la vie », avant de devenir l'Histoire.
On n'a pas le droit de traiter des personnages de cette façon-là. Un personnage de roman, c'est comme une personne, ça se respecte !
Par Daniel Pennac
Dans le cadre du festival Italissimo 2024
Piero nourrit une passion pour les voitures de luxe, idéalement dérobées. Pendant un bref moment, le vol lui permet de s'échapper de la routine quotidienne, lui conférant l'agilité et la puissance d'un lynx. Une nuit de brouillard, il stationne sa flamboyante Alfa Romeo sur une aire de repos, prêt à piller la caisse d'un « restauroute ». C'est à ce moment-là qu'il croise le regard d'un adolescent égaré, dont l'assurance et la beauté singulière le foudroient, annonçant ainsi un bouleversement radical dans sa vie. Daniel Pennac, admirateur absolu de cette nouvelle de Silvia Avallone, nous offre une lecture inédite.
À lire – Silvia Avallone, le lynx, trad. de l'italien par Françoise Brun, Liana Lévi, 2012.
L'oeuvre de Daniel Pennac est publiée chez Gallimard.
Lumière par Hannah Droulin
Son par Lenny Szpira
Direction technique par Guillaume Parra
Captation par Claire Jarlan
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