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sur 100 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Maldits soient les Zorzi Vila ! ». Parce qu'ils ont été chassés des terres du Nord par les riches propriétaires et la famine, parce que le Duce leur a donné un domaine agricole fertile à eux des métayers crève-la-faim sur une terre jusqu'alors abandonnée aux marécages et aux anophèles, les Peruzzi, dix-sept enfants et autant de petits-enfants, Ferrarais dans le sang, ont revêtu la chemise noire du fascisme.

Ainsi présentée ce pourrait être une fresque familiale bien sombre, mais sous la plume d'Antonio Pennacchi elle prend les couleurs d'une conquête de l'Ouest italien étrangement savoureuse.

D'abord parce que c'est une famille, que dis-je un clan, une tribu noyautée par des liens indéfectibles, qui porte en elle le sens de la révolte et de l'orgueil. Chez les Peruzzi, on ne courbe pas l'échine, on remonte les manches pour la terre, les bêtes, et on n'hésite pas à sortir le couteau chaque fois que l'on manque de respect ou de bienveillance à leur égard ou à l'ami de la famille, le Duce.

Ensuite parce que le récit fait appel à la mémoire familiale : riche de racontars ou « contars », l'histoire des Peruzzi nous est transmise par un descendant de la lignée doté d'un bagou désinvolte, comme si avoir le sang chaud était un atavisme. Adoptant le style de la transmission orale, le texte révèle une plume pleine de verve et de spontanéité, entre expressions populaires et langage de charretier, elle se révèle même impétueuse au regard des nombreuses ruptures temporelles du récit. le ton est parfois péremptoire lorsqu'il s'agit de révéler la vérité, ou plutôt la vérité des Peruzzi car le narrateur n'hésite pas à jouer avec l'Histoire et même la vraisemblance lorsque les abeilles se mettent à parler, de sorte qu'on sourit face à ce qui apparaît loufoque. Il n'hésite pas non plus à faire des comparaisons anachroniques pour dissimuler ce qui ressemble à un excès d'enthousiasme ou à de la mauvaise foi.

Doté d'un réel talent de conteur, l'auteur pourrait être accusé de réécrire l'Histoire de l'Italie tant il se montre complaisant à l'égard du fascisme. Mais à lire entre les lignes, on découvre tout simplement un récit absous d'idéologie, résolument orienté sur la condition paysanne du début du XXe : des miséreux coincés entre révolutions avortées et incurie politique qui ont davantage adhéré au fascisme par loyauté lorsque le Duce a entrepris de bonifier les terres de l'Agro Pontin en construisant un canal et asséchant les marais, que par conviction politique. Dés lors, des milliers de paysans du Ferrarais et de Vénétie se sont transformés en pionniers ayant conquis de nouveaux territoires exploitables, prêts à accepter tous les discours des dignitaires au pouvoir - hommes providentiels -, à combattre les Méricains pendant la Seconde guerre, pourvu qu'on leur laisse leurs terres.
C'est une oeuvre dense qui prête à sourire mais qui éclaire d'une manière magistrale une part de l'Histoire italienne que je ne connaissais pas : la condition paysanne et les rapports du peuple italien avec les politiques.

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"La faim. C'est à cause de la faim que nous sommes partis. Et pour quelle autre raison, je vous le demande? Sans la faim, nous serions restés là-haut. C'était notre village. Pourquoi l'aurions-nous quitté? Nous y avions toujours vécu et toute notre famille y habitait. Nous connaissions le moindre de ses recoins et la moindre pensée de nos voisins. La moindre plante. le moindre canal. Jamais nous ne serions venus autrement.
Nous avons été chassés, voilà la vérité. A coups de manche à balai; Par le comte Zorzi Vila. Il nous a dépouillés...."

Difficile de ne pas accepter le voyage, après ce début!
Racontée par un des petits fils, né dans des circonstances bien particulières dans lesquelles des abeilles ont un grand rôle, voici donc l'histoire d'une famille de paysans , la famille Peruzzi, du début du siècle à la fin de la seconde guerre mondiale. Très inspirée donc de la propre famille de l'auteur qui a pris le parti , puisque c'est un roman, de raconter l'histoire de cette population paysanne à travers les souvenirs de ceux qui l'ont vécue à la place où ils étaient. C'est à dire celle de gros travailleurs , cultivant les terres de propriétaires terriens, sur lesquels un désastre est tombé en 1927, le quota 90:
"Et bien , le Duce a soudain annoncé: " Je réévalue la lire. A partir de maintenant, c'est le quota 90 , jamais plus de 90 lires pour une livre sterling....Nous autres aussi, les Peruzzi , nous avons commencé sur le moment" Nom de nom, l'est habile not' Duce."

Seulement les Peruzzi n'avaient pas réalisé que non seulement cela divisait leurs revenus presque par deux, mais qu'aussi , tenus de partager la récolte avec le propriétaire- en quintaux et non en lires- et les frais- eux en lires-" ils se retrouvaient nus comme des vers. Une main devant et une derrière,voilà à quoi ils nous avaient réduit. A l'état de crève la faim.."

Et c'est ainsi que la famille Peruzzi et ses 17 enfants , ainsi que 30 000 de leurs compatriotes se sont retrouvés dans une région pas très hospitalière, celle des marais Pontins, à creuser les 31 kilomètres du canal Mussolini.
"Ce fut un exode. Trente mille personnes en l'espace de trois ans- dix mille par ans- parties du Nord. de la Vénétie, du Frioul, du Ferrarais. Emmenées à l'aventure au milieu d'étrangers parlant une autre langue. Ils nous traitaient de " bouffeurs de polenta"; pis encore de "Cispadans", ce qui, dans leur bouche, signifiait " envahisseurs" . Ils nous regardaient d'un sale oeil . Et ils priaient Dieu pour que la malaria nous emporte."

Région inhospitalière, travail très dur et dangereux, mais promesse donnée par Mussolini de leur donner des terres si le pari est gagné... Et donner des terres à un paysan qui a toujours travaillé pour les autres auparavant, c'est l'acquérir à sa cause. C'est ainsi qu'en tout cas comme cela que moi j'ai compris sans aucun problème ( avec des liens plus personnels assez savoureux) l'engagement de la famille à côté de leur Duce!
Après, oui, de la mauvaise foi, il y en a , bien sûr, mais pleinement assumée et assez réjouissante! Et quelques vérités qui ne manquent pas de sel; par exemple ( mais il y en a plein dans tout le roman):
"Le roi avait ordonné qu'on arrête le Duce et, juste après, les hiérarques conjurés. Il les avait roulés eux aussi. le fascisme était tombé, point final. Qu'on n'en reparle plus. Je ne vous dis pas les fêtes dans toute l'Italie. Jusqu'à l'année précédente, les gens criaient à l'unisson: " Du-ce, Du-ce" et " Nous gagnerons." Désormais personne ne l'avait jamais supporté. Exactement comme chez les socialistes en 1919-1921. Ou le PCI et la Démocratie chrétienne vers 1994. Ne parlons pas de Craxi. D'ailleurs, vous verrez, ce sera bientôt le cas de Berlusconi et de je ne sais qui dans cent ans. " Quoi, moi? Tu crois vraiment que j'ai pu voter pour une telle plaie?"

L'auteur est le roi de la digression, chaque anecdote en entraine une autre, ce qui, avec le style oral ( très bien traduit) rend quelquefois ce roman foisonnant un peu difficile à suivre. Mais c'est vrai qu'après quelquefois des pages de digressions en tous genres, on s'aperçoit de l'habileté de la construction du récit !
J'aime les romans qui me racontent L Histoire par le biais d'une histoire familiale, je ne pouvais qu'aimer celui-ci qui m'a raconté l'Italie dans un roman dense, plein d'énergie et souvent très drôle, mais qui n'adhère que très peu, c'est vrai, au politiquement correct!


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"Quoi qu'il en soit, pour être honnête […], je vais vous raconter la vérité jusqu'au bout, tout au moins telle que je la connais et telle que mes oncles me l'ont relatée : nous avons, nous aussi, magouillé un peu. "

C'est ainsi que commence l'histoire des Peruzzi, à l'heure de leur gloire c'est-à-dire sous Mussolini, des années 1920 aux années 1940. Des années que le narrateur n'a pas connues mais dont il a entendu maintes fois le récit de la bouche même de ses oncles. Canal Mussolini a reçu le plus prestigieux des prix italiens, le prix Strega en 2010, récompensant un auteur atypique, lui-même fils de colons ayant émigrés pour mettre en valeur les Marais pontins, qui avaient une sinistre réputation due aux nombreuses bestioles mortelles qui y traînaient. Venue du Nord, la famille de Pennacchi – tout comme celle des Peruzzi – fait partie de la main d'oeuvre (30 000 personnes !) envoyée pour les assécher (700 km2 de bourbier !), et les faire prospérer. Contre l'avis de Mussolini, on y construisit même des villes comme Latina et Sabaudia.

Pour y parvenir, le Duce décide d'y faire passer un canal : "C'est le Canal Mussolini qui donne naissance à l'agro-pontin". Il faudra 8 ans pour y parvenir. C'est donc autour de cette grande aventure que s'articule l'histoire de la famille Peruzzi, étroitement liée au mouvement fasciste.

Une histoire extraordinaire racontée à la manière d'une épopée, saupoudrée d'un humour qui nous fait oublier que ce sont les heures les plus sombres de l'Italie qui nous sont narrées ici … Et cela fonctionne grâce au pacte passé d'emblée avec le lecteur : "vous devez me croire, sinon mieux vaut laisser tomber. Je n'invente rien. Je peux tout au plus m'embrouiller dans mes souvenirs".

Il faut donc croire ce narrateur plus que partial et le laisser nous guider dans les méandres politiques, économiques et sociaux de l'Italie de l'entre-deux-guerres. Même si on ne connaît rien à cette période, tout semble devenir clair et limpide après ces quelques 500 pages : on ne peut que vivre ce roman dans une complète immersion, auprès de cette tribu (17 frères et soeurs, étroitement liés) forte en gueule et en couleurs, mais attachante malgré tout. Pour les Peruzzi comme pour les autres, Mussolini est celui qui a promis la redistribution des terres, les faisant passer du rouge marxiste au brun fasciste, dans la lutte éternelle des pauvres contre les riches.

Dans un style original – très oral, peuplé de termes paysans, d'interjections au lecteur – Antonio Pennucchi nous livre sa version de l'histoire du fascisme (d'où débats forts en Italie au moment de sa publication), qu'il nous revient de ramener à sa juste mesure et de nous rappeler ses dérives (ce qu'il reconnaît lui-même à plusieurs reprises : «Mettez-vous bien dans le crâne que nous ne parlons pas de gens honnêtes.»)

Un roman passionnant, qui décape à chaque page, déstabilisant le lecteur qui ne sait plus quoi penser. Il fallait certainement un vrai talent de conteur pour faire passer cette pilule et en faire un vrai bon roman historique remarquablement construit (et très bien traduit en français, soit dit en passant, par Nathalie Bauer), à découvrir absolument.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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Saga familiale contant le destin des Peruzzi, paysans sans terre du Ferrarais. La tribu, dix-sept enfants, va participer au grand chantier fasciste de l'assèchement et de la bonification des Marais Pontins. 

Evènement fondateur :  1926, expulsion des Peruzzi, métayers ruinés  par la dévaluation Quota 90, du domaine du Comte Zorzi-Vila dont le nom sera maudit comme un refrain par toute la famille. 

En prologue : la rencontre du grand-père en 1904 avec Rossoni , à la suite d'une bagarre, l'incarcération de Peruzzi dans la même cellule que Rossoni pendant un mois. Rien ne prédestinait Peruzzi à devenir fasciste. Bouffeur de curé, d'un milieu plutôt socialiste Peruzzi était  à gauche. Rossoni vint un jour à la ferme en compagnie de Mussolini qui fit grande impression sur les Peruzzi. Cette rencontre sera décisive: les Peruzzi seront des fascistes de combat! En première partie, l'histoire de l'Italie se déroule, vécue par ces paysans du nord de l'Italie : luttes syndicales, première guerre mondiale, création des Faisceaux (1919) et agitation prolétarienne Biennio Rosso(1919-1921) . Bien sûr, les Peruzzi participent à la Marche sur Rome (1922).

Ce fut un exode. Trente mille personnes en l'espace de trois ans - dix mille par an  - parties du Nord. de la Vénétie, du Frioul, du Ferrarais. Emmenées à l'aventure, au milieu d'étrangers, parlant une autre langue. Ils nous traitent de "bouffeurs de polenta" ; pis encore de "Cispadans", ce qui, dans leur bouche, signifie "envahisseurs"....

La deuxième partie raconte la Bonification des Marais Pontins, l'installation des colons, sous la direction de L'OEuvre nationale des combattants, institution fasciste qui choisissait des paysans anciens combattants de la Grande Guerre connaissant le travail de la terre et bons fascistes. Elle raconte le creusement du Canal Mussolini, drainant les eaux descendant des monts Lupini et bloquées par la dune en marais sauvages et malsains. Elle raconte encore la construction des villes mussoliniennes. Racontée par le plus jeunes des Peruzzi, on assiste à l'installation, et à la vie quotidienne de la tribu. Aspects techniques, agricoles mais aussi politiques. On voit évoluer la doctrine fasciste vers les fastes impériaux:

Désormais, tout le monde avait une idée fixe - bien sûr je ne discute pas, c'était la faute du Duce et du fascisme qui n'arrêtait pas d'en parler - l'idée fixe de la romanité et des fastes impériaux qui nous revenaient de droit à nous autres Italiens, mais aussi cette notion un peu païenne selon laquelle les hommes n'étaient pas pour ainsi dire, tous égaux.

Et à la suite de ces "fastes impériaux" sont venues les guerres coloniales, en Afrique d'abord, puis la Guerre d'Espagne et enfin, à la suite d'Hitler la seconde guerre mondiale, et l'invasion de l'Albanie et de la Grèce. Bien sûr, les Peruzzi- chemises noires -  participèrent à l'aventure coloniale et furent engagés sur tous les fronts.

En Ethiopie, ils retrouvent les eucalyptus qui ont fourni leur contribution à la bonification des Marais pontins

l'eucalyptus - qui était pour le Fascio le monumentum perenne, le monument éternel de la bonification

Même les arbres sont un symbole politique!

Les guerres tournent à la catastrophe, pour l'Italie comme pour les Peruzzi. Quand les Alliés avancent pour libérer l'Italie en 1943, les Peruzzi combattent du côté des Allemands. Ils croient défendre leurs domaines.

Difficile de résumer en quelques lignes ce roman-fleuve, cette saga, roman historique passionnant. J'ai lu récemment la Storia d'Elsa Morante, et le Christ s'est arrêté à Eboli de Carlo Levi qui témoignent de cette période de l'histoire italienne avec une critique radicale du fascisme qui me semble évidente. Plus éloignée de ma vision de l'histoire : ce récit  de paysans fascistes loin d'être irréprochables : Pericle, le héros des Peruzzi est un assassin et une brute, leur ami Rossoni, un dignitaire fasciste très proche de Mussolini, le Duce est présenté plutôt sympathique. La bonification des Marais pontins est aussi présentée comme une entreprise positive.

Malgré toutes mes réserves, mes craintes, je me suis laissé emporter par ce livre. Pennacchi a recréé un monde riche, pas forcément sympathique. Il a donné la parole à des paysans pour raconter l'histoire  telle qu'ils l'ont vécu.
Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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C'est un livre très dense . J'ai bien aimé bien que je me suis sentie perdue par moment. J'avoue avoir eu un peu peur en découvrant le sujet et le nombre de pages, car j'avais peur de passer à coté et ce ne fut pas le cas.

C'est une grande fresque historique, sociale et familiale de l'Italie d'entre deux guerres. On entre à l'intérieur d'une famille fasciste ce qui nous plonge en totale immersion dans cet univers. L'auteur ne se pose jamais ni en censeur ni en défenseur de cette idéologie laissant le lecteur se faire son idée. On en apprend plus aussi sur les communistes de l'époque.

On suit donc la famille Peruzzi qui sont des paysans . Les Peruzzi c'est trois générations avec leurs terres, leurs drames, leurs convictions , la guerre et la politique. La famille Peruzzi et ses 17 enfants , ainsi que 30 000 de leurs compatriotes se sont retrouvés dans une région pas très hospitalière, celle des marais Pontins, à creuser les 31 kilomètres du Canal Mussolini.

C'est très plaisant à lire car on apprend aussi sur la vie, le patois et les régions de l'Italie de cette période. C'est très documenté et précis. Les personnages sont attachants à leur manière.

Il y a très peu de dialogues et beaucoup de description. le lecteur est souvent interpellé par le narrateur créant ainsi une complicité. L'écriture est agréable et elle m'a transporté. Ce n'est pas du politiquement correct et ça ajoute au charme de la plume de l'auteur. On est pas obligé d'adhérer à la manière de vivre ni de voir les choses de la même manière qu'eux, mais qu'aurions nous fait à cette époque et à leur place ? Il y a dans ce livre un mélange de mauvaise foi (assumée) et de vérités qui nous invite à réfléchir.

Un glossaire en fin d'ouvrage permet au lecteur de se documenter sur l'activité et le rôle de certaines personnalités de l'époque.

C'est passionnant et j'ai adoré.

VERDICT

Je le conseille à tous les adorateurs de grandes fresques familiales et les passionnés d'histoire. C'est vraiment un très bon roman
Lien : http://lilacgrace.wordpress...
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Une savoureuse fresque politique et familiale de paysans de Ferrare, sur 40 ans d'Italie fasciste.

Publié en 2010, à soixante ans, le huitième roman d'Antonio Pennacchi, est de son aveu même, "l'oeuvre de toute une vie", préparée par l'ensemble de ses écrits précédents, incluant le remarqué "Mon frère est fils unique" de 2003, superbement porté à l'écran en 2007 par Daniele Lucchetti.

"Canal Mussolini" a été truffé d'éléments autobiographiques savamment agencés et réarrangés par cet auteur atypique, authentique fils d' "émigrés intérieurs" de la Vénétie vers le Latium dans les années 30, tour à tour séminariste pendant 2 ans, inscrit au néo-fasciste MSI pendant 2 mois puis au PCI, comme ouvrier chez Alcatel Italia, pendant 30 ans, avant de reprendre ses études à temps partiel et de commencer une carrière d'écrivain à 44 ans...

"Canal Mussolini", entièrement raconté "à l'oral" par un narrateur qui ne sera identifié qu'à la dernière page, nous plonge dans la saga familiale des Peruzzi, prolifique famille de cultivateurs pauvres, métayers dans la Vénétie de Ferrare, devenus massivement fascistes après la première guerre mondiale, séduits par les promesses de terres du premier programme mussolinien, avant que, totalement ruinés par les effets de la politique monétaire mussolinienne, ils n'acceptent avec joie de participer à l'exode intérieur massif qui conduit 30 000 familles italiennes de Vénétie à coloniser les ex-marais Pontins, au sud de Rome, jadis vaste marécage livré à la malaria, que les grands travaux fascistes (et notamment le percement du canal Mussolini) ont (c'est une vérité historique) rendus parfaitement cultivables...

Une fresque exceptionnelle qui court de 1910 à 1950, embrassant aussi bien des dizaines de drames familiaux que les errements de la "grande politique" mussolinienne, mais aussi les complaisances politiques des uns et des autres, rendus incroyablement savoureux par la forme orale et dialectale de l'ensemble de la narration (la traductrice, à l'instar d'un Serge Quadruppani confronté au verbe de Camilleri, livre d'ailleurs ses réflexions et ses partis-pris dans une excellente postface).

"À partir de ce moment-là, Giolitti n'a plus voulu les voir. Il était fait comme ça - aujourd'hui avec toi, demain avec un autre -, il ne se perdait pas en subtilités en matière d'amis et d'ennemis. Quand il avait besoin d'une voix au Parlement, il l'achetait au premier venu ; exactement comme maintenant, en fin de compte, si bien que tout le monde affirme qu'il a inventé le transformisme. Il a même inventé les repentis, et il a battu la Camorra en enrôlant les camorristes, il a tout inventé, et si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait même inventé le centre gauche. Il y a plus de cent ans. Ce sont les réformistes qui n'ont pas voulu. Alors, il a inventé la Démocratie chrétienne."

"En effet, les bonifications ne sont pas une invention de Mussolini, mais un problème que l'Italie unitaire s'est posé aussitôt après le Risorgimento et l'unification. Les plaines du Centre et du Sud étaient abandonnées depuis des siècles : les gens s'étaient retirés sur les montagnes pour se défendre des Barbares et des Sarazins, puis avaient été chassés par les latifundia et la malaria. Un désert. À la fin du XIXe siècle on promulgue donc - toujours et surtout dans la vallée du Pô - les premières lois et entame les premières grandes interventions de bonification à l'initiative de particuliers qui souhaitaient à juste titre accroître leurs cultures et augmenter leurs gains. Il ne faut pas croire que c'étaient des philanthropes.
Or, dans le centre et le sud de l'Italie - les régions plus pauvres et davantage atteintes par la malaria -, on n'avait jamais touché au moindre brin de paille : il n'existait pas de classe d'entrepreneurs à proprement parler ; les riches propriétaires terriens se contentaient de réunir les fruits de leurs terres et de les manger dans leurs palais en ville. c'est ainsi que les cercles de Nitti et de la Banca Commerciale décident d'introduire le capitalisme : "Si les riches du Sud n'en sont pas capables, nous prendrons leur place, nous autres du Nord." Avec l'argent de l'État, évidemment."

"Quand nous avons envahi la Grèce, Adolph - qui avait répété au Duce sur tous les tons "laisse tomber les Balkans, n'y ouvre pas un nouveau front, concentre-toi sur l'Afrique du Nord, prenons Suez et l'Egypte" - a eu une syncope : "Qu'esse t'es allé fout' en Grèce sans rien m'dire ? T'aurais au moins pu m'avertir, non ?
- Tu m'a peut-êt' averti quand t'es allé envahir la Pologne, la Tchécoslovaquie et maint'nant la Roumanie ?"
(...) "J'pouvais quand même pas leur laisser l'pétrole !" a-t-il lancé au Duce en guise d'explication. L'Italie avait lu la nouvelle dans le journal. le Duce avait piqué une crise : "Ah oui ? Ben, j'vais t'montrer." (...) Et lui - Hitler - s'est sacrément mis en rogne : "Spèce de taré, tu crois qu'y a du pétrole ? Y a foutr'ment rien en Grèce ! Y sont encore plus pauv' que vous, vous n'y êtes allés que pour m'faire enrager, qu'le diable vous emporte !" "
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Satisfait de la lecture mais tout de même légèrement circonspect... Toujours est-il que Pennacchi est un auteur qui possède une personnalité, et qui nous l'offre avec beaucoup de simplicité et d'humour.
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"Ce livre est la raison pour laquelle je suis venu au monde". Entré tard en littérature, après un passage agité dans l'activisme politique (de l'extrême droite à l'extrême gauche), Antonio Pennacchi a jeté toute ses forces dans Canal Mussolini : son héritage familial, dans une saga picaresque et tonitruante, qui dépeint les 50 premières années du XXe siècle en Italie, à travers le prisme bien particulier des més(aventures) de ses ascendants, paysans fascistes jusqu'au bout de leurs sabots et fiers de l'être. le livre, autant chronique historique, fourmillant d'informations, que farce hénaurme déguisée en opéra bouffe est un roman fleuve qui menace à tout moment de déborder et d'inonder la plaine. Pennacchi raconte avec une verve insolente et iconoclaste l'attachement de la famille Peruzzi au fascisme, dont quelques uns des membres moururent d'ailleurs dans les campagnes d'Ethiopie et de Russie. Les personnages sont innombrables, mais la "star" du roman est ce Canal Mussolini, au sud de Rome, et l'entreprise herculéenne que fut l'assèchement des marais Pontins, avec l'aide d'une foultitude de paysans déracinés, issus notamment de Vénétie. L'auteur est le roi de la digression, une anecdote en entraîne une autre et c'est parti pour un long retour en arrière qui précède un nouveau saut dans le temps jusqu'à l'époque contemporaine. Miraculeusement, Pennacchi retombe toujours sur ses pieds et le fleuve reprend son cours. le romancier a une tendresse avouée pour les Peruzzi, normal, c'est sa propre famille, et explique, on peut même dire excuse, son attachement au Duce, qu'elle a côtoyé à plusieurs reprises. Nostalgie pour les années fascistes ? Certes, oui, même si Pennacchi prend soin, de temps à autre, d'émettre quelques menues critiques. Son style est torrentiel, usant du parler fruste de ces paysans, et en apostrophant régulièrement le lecteur pour lui faire comprendre que "c'était comme cela et pas autrement, qu'on vienne lui prouver le contraire". Autant dire que Antonio Pennacchi se contrefout du politiquement correct. Il raconte avec ses mots, exagère et caricature avec une mauvaise foi évidente. de toute manière, c'est à prendre ou à laisser, et ceux qui font la moue ou protestent contre cette subjectivité assumée peuvent aller se faire voir, dixit plus ou moins l'auteur. On n'est pas obligé d'adhérer au propos, mais bien forcé d'accepter le pouvoir d'évocation de ce roman titanesque et outrancier.
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Paysans sans terre de la région de Ferrare, ruinés par la réévaluation de la lire décidée par Mussolini en 1927, aux effets désastreux sur les revenus des agriculteurs, chassés des domaines qu'ils cultivaient du fait de l'avidité des propriétaires terriens qui les employaient, les Peruzzi ont, pour obtenir enfin une terre, émigré vers les marais pontins en 1932, au moment de l'assèchement de ce lieu historiquement deserté à cause de la malaria, assaini avec le creusement du Canal Mussolini.

Les Peruzzi ne connaissaient rien à la politique mais ils rêvaient de justice sociale après leur expulsion brutale par le comte Zorzi Vila (leur propriétaire terrien) ; le grand-père avait un jour défendu Rossoni, ancien syndicaliste ensuite devenu fasciste, proche de Mussolini jusqu'en 1943. Ils ont donc laissé tomber le rouge pour suivre les coups de force des chemises noires lors de l'arrivée au pouvoir de Mussolini.

Le destin de la tribu Peruzzi, les grands-parents et leurs dix-sept enfants, mêlé à celui de l'Italie, nous est raconté par un narrateur, dont l'identité ne nous sera révélée qu'à la toute fin du livre, qui ne cesse de nous interpeller comme si nous étions de vieilles connaissances.

Avec ce style parlé, Antonio Pennacchi rassemble sous un même toit, une fresque historique couvrant la première moitié du XXème siècle, un témoignage exceptionnel sur les conditions de vie des paysans italiens sans terre, sur les contradictions de leurs destins, et, avec plusieurs histoires d'amour très émouvantes, la saga d'une famille aux héros mythologiques – en particulier la grand-mère chef de clan aux visions prémonitoires, le fils Pericle, courageux, sanguin et sentimental et sa femme Armida qui parle aux abeilles.

«Qu'il soit bon ou mauvais, ce livre est la raison pour laquelle je suis venu au monde.» : voici les premiers mots d'Antonio Pennacchi, en introduction à Canal Mussolini. Et ce roman est effectivement l'aboutissement réussi d'une grande ambition historique, personnelle et littéraire.

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Les grands-parents Peruzzi ont eu 17 enfants, oncles et tantes du narrateur, eux-mêmes parents de familles nombreuses. Après divers déboires cette grande famille paysanne se retrouve sans terres, expulsée du domaine qu'elle cultivait par son propriétaire, le comte Zorzi-Vila, maldit soit-il. Originaire du même village du nord de l'Italie qu'Edmondo Rossoni, un proche de Mussolini, la famille est devenue fasciste avec lui. Grâce à la protection de Rossoni ils obtiennent des terres dans l'agro pontin et y participent à la bonification des marais. En moins de trois ans 30000 personnes ont été amenées dans cette région située au sud de Rome pour transformer des marais où sévissait la malaria en terres agricoles.

Après une première partie qui commence avec la première guerre mondiale, présente la famille Peruzzi dans son cadre d'origine et que j'ai trouvée longue et parfois ennuyeuse à lire, il me semble que l'action commence enfin avec l'arrivée des Peruzzi sur leurs nouvelles terres. de la bonification des marais pontins j'avais de vagues souvenirs datant de lointains cours d'histoire. Je découvre une véritable entreprise de colonisation avec création de villes ex-nihilo -dont Latina, Littoria sous le fascisme, où est né et mort Antonio Pennacchi.

L'histoire de la famille Peruzzi croise également celle de l'Italie quand les aînés des oncles participent à la conquête de l'Ethiopie ou aux combats de la seconde guerre mondiale.

Les personnages sont hauts en couleur et forts en gueule et tout ceci nous est raconté avec verve dans une langue vivante qui veut restituer le parler populaire, avec des apostrophes au lecteur et des comparaisons avec le temps présent. C'est très inventif et il y a aussi une pincée de merveilleux quand la grand-mère annonce une catastrophe en rêvant d'un manteau noir ou quand les abeilles de la tante Armida lui parlent. Ce roman a fait polémique à sa sortie en Italie car, vues par les yeux du narrateur, les violences fascistes ont parfois l'apparence d'une farce et le Duce est régulièrement loué pour avoir permis à la famille de devenir propriétaire de ses terres. Cependant les crimes du fascisme ne sont pas cachés, notamment lors de la conquête coloniale avec le massacre de masse de Debra Libanos auquel participe l'oncle Adelchi.

Passées les 150 premières pages c'est un livre que j'ai apprécié.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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